Convention nationale du CNEF (2012), premiers enseignements (27/01/2012)

On tourne.jpgN'étant pas journaliste, je me garderai de donner un compte-rendu exhaustif à chaud de la convention inaugurale du CNEF (Conseil National des Evangéliques de France) qui a tenu hier, à Montreuil (région parisienne), sa première journée, devant les caméras.

En revanche, voici quelques premières impressions de terrain, pierres d'attente en vue d'analyses ultérieures plus complètes.

 La journée de lancement de la convention 2012 du CNEF m'a semblé dessiner trois confirmations, trois chantiers, trois interrogations.... et une "surprise du chef".

 

Buchhold.jpgTrois confirmations

Au registre des confirmations, tout d'abord, une identité protestante aux spécificités évangéliques affirmées, autour d'un accent sur l'offre de salut en Jésus-Christ (rappelée le matin par l'orateur et bibliste Jacques Buchhold, ci-contre).

Tout au long de la journée, les nécessités du témoignage ont été rappelées, étayant l'image d'un christianisme de conversion qui considère le titre d'évangéliste (spécialiste de l'évangélisation) comme un honneur.

 

E.Lhermenaultjpg.jpgSeconde confirmation, les relations désormais apaisées avec la Fédération Protestante de France, qui demeure la principale organisation interprotestante française.

Au cours des années 2010 et 2011, l'actuel président du CNEF, Etienne Lhermenault (ci-contre), avait dû gérer, avec ses collègues, des tensions compréhensibles avec la "maison commune du protestantisme", à savoir la FPF, forte de ses 100 ans d'histoire, laquelle considérait l'initiative CNEF comme un peu intempestive au vu de son souci rassembleur préexistant (La FPF compte en effet en son sein certaines unions d'Eglises évangéliques).

Claude Baty.jpgQuelques mois de discussion et de pédagogie mutuelle plus tard, on a assisté, en ce 26 janvier 2012, à un échange chaleureux, marqué par une prise de parole fraternelle de Claude Baty (ci-contre), actuel président de la FPF et lui-même protestant de type évangélique, venu spécialement en dépit d'un voyage imminent prévu à Kinshasa (Congo RDC).

 

Troisième confirmation, au sein du vaste paysage religieux français, le CNEF rassemble bel et bien la grande majorité de la diversité protestante évangélique, bien qu'entre 150.000 et 200.000 évangéliques environ (sur 600.000 pratiquants) n'en fassent pas partie.

cnef,protestantisme,france,évangéliques,claude baty,etienne lhermenault,clément diedrichs,thierry le gall,nancy lefevre,francophonie,francophonie protestante,francophonie évangélique,daniel bourdanneLe rendez-vous de Montreuil a fait salle comble (et la salle était grande!), pour un public vaste et attentif (dont ci-contre, mon collègue Jean-Paul Willaime).

La diversité représentée était impressionnante, à la fois en matière confessionnelle (variétés charismatiques, pentecôtistes, piétistes, baptistes etc.) et géographique (France métropolitaine, outre-mer).

 

Trois chantiers

Trois chantiers ont par ailleurs été dessinés lors de la première journée de la convention CNEF 2012.

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Le premier chantier est celui de la francophonie. Daniel Bourdanné (ci-dessus), secrétaire général de l'IFES et figure de l'évangélisme africain francophone (natif du Tchad), a développé à ce sujet, en début d'après-midi, un discours de haute tenue (salué ensuite, pour sa qualité oratoire, par le député de la circonscription), soulignant à la fois l'ampleur de la francophonie évangélique, ses besoins et ses spécificités (par rapport aux évangélismes anglosaxon et sud-américain, l'un marqué, dit-il, par le conservatisme politique, l'autre par la théologie de la prospérité).

Il a, au passage, vanté la culture française et sa "poésie", plaidé pour l'intelligence de la foi, et pour une incarnation "décomplexée" de l'identité évangélique francophone, qui pondère le sentiment de minorité par l'assurance de la foi en Jésus-Christ.

Fait notable, il a été applaudi y compris au cours de son exposé, lorsqu'il a insisté sur le rôle, dans cet espace francophone évangélique, des jeunes et des femmes (largement oubliés.... y compris dans cette convention CNEF, surtout dans le cas des femmes, voir plus bas).

 

Le second chantier a été celui de l'implantation d'Églises locales, traité avec fougue et précision par Daniel Liechti, vice-président du CNEF et expert reconnu du sujet.

Son approche contextualisée du sujet, qui le conduit à écarter la stratégie de l'essaimage (en raison de la trop petite taille moyenne de la plupart des assemblées évangéliques françaises), s'inscrit dans une vision prospective portée par le slogan : "une pour 10.000". Derrière la formule, il y a cet espoir du CNEF: une assemblée pour 10.000 habitants, contre une assemblée pour 30.000 habitants actuellement.

Scoop: un site internet très élaboré, intitulé 1pour10000, a été présenté à cette occasion par l'orateur, proposant des outils aux implanteurs d'Eglises.

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Daniel Liechti présentant une perspective prospective sur l'implantation d'Eglises ("1 pour 10.000")

(fin d'après-midi du 26 janvier 2012, CNEF, Montreuil)


 cnef,protestantisme,france,évangéliques,claude baty,etienne lhermenault,clément diedrichs,thierry le gall,nancy lefevre,francophonie,francophonie protestante,francophonie évangélique,daniel bourdanneLe troisième chantier perceptible lors de cette première journée de la convention nationale 2012 du CNEF a été celui de l'amélioration du foncier cultuel, évoqué à la fois, en filigrane, au cours des échanges avec le député Jean-Pierre Brard (ci-contre avec Daniel Liechti), et à l'occasion de la présentation de la commission juridique du CNEF, avec Nancy Lefevre; il est vrai qu'après la période de l'islam des caves, dans les années 1980, on fait désormais parfois face à un évangélisme des caves en mal de mètres carrés cultuels, avec toute la question des modalités (égalitaires et transparentes, ou pas) d'accès à des espaces décents pour des fidèles qui souhaitent pratiquer leur culte.

 

Trois interrogations

Enfin, trois interrogations se dégagent au terme de cette première journée.

La première porte sur l'oecuménisme et l'interreligieux. Si l'évangélisme français tel qu'il se donne à voir au travers du CNEF a effectué, en matière d'oecuménisme, des pas de géant (en particulier ENTRE tendances évangéliques qui ne se parlaient pas il y a 20 ans), il s'affirme manifestement comme très en retrait sur d'autres axes oecuméniques, sans parler de l'interreligieux.

Ce qui n'est pas très surprenant, compte tenu de l'accent traditionnel des évangéliques sur l'offre de salut, préférée aux échanges interconfessionnels!

Si Daniel Liechti, en particulier, a tenu à rappeler que ni le CNEF ni les évangéliques ne prétentent être les seuls chrétiens, on a cependant bien perçu le très peu de place accordée, dans l'organisation, aux "autres" chrétiens (en-dehors de ceux de la FPF), et encore moins aux "autres religions", à peine mentionnées.

Mais il ne s'agit cette année que de la première convention CNEF. Qu'en sera-t-il par la suite sur ces enjeux? Fruit d'une démarche d'ouverture interne, le CNEF débouchera-t-il aussi sur des passerelles ou des invitations ad extra plus affirmées, ou non? La question est ouverte.

cnef,protestantisme,france,évangéliques,claude baty,etienne lhermenault,clément diedrichs,thierry le gall,nancy lefevre,francophonie,francophonie protestante,francophonie évangélique,daniel bourdanneLa seconde interrogation porte sur le rôle donné (ou pas) aux femmes. L'absence de présence féminine sur l'estrade était frappante, lors de la première journée CNEF. Ni pour l'enseignement, ni pour les informations (en-dehors de 2 minutes chrono données à Nancy Lefevre), ni même pour la musique de louange (100% assurée par des hommes, cf. ci-contre), les femmes n'ont été invitées à participer. Cette marginalisation des femmes n'est, en soi, pas très surprenante non plus.

Outre qu'on la retrouve aussi (à des degrés divers) chez les juifs, les musulmans et les catholiques, elle répond aussi, chez les évangéliques, à des argumentaires doctrinaux (appuyés sur une lecture de l'apôtre Paul). Cependant, même par rapport aux réalités de beaucoup d'églises locales, le CNEF tel qu'il s'est donné à voir est apparu plus en retrait en matière de valorisation des dizaines de milliers de femmes qui peuplent les églises évangéliques.

Phénomène ponctuel ou tendance durable? On sait qu'historiquement, les sédimentations institutitionnelles ont toujours eu tendance à marginaliser les figures féminines, tandis que les dynamiques locales, au contraire, les valorisent. Le CNEF confirmera-t-il cette tendance, ou s'en démarquera-t-il?

Là encore, l'interrogation reste entière, même si la programmation 2012 donne déjà un indicateur.

 

cnef,protestantisme,france,évangéliques,claude baty,etienne lhermenault,clément diedrichs,thierry le gall,nancy lefevre,francophonie,francophonie protestante,francophonie évangélique,daniel bourdanneEnfin, une dernière interrogation, apparue en filigrane de la présentation, par Clément Diedrichs (ci-contre) et Thierry LeGall des commissions du CNEF, est celle de l'articulation entre institutionnel national, régional, et Église locale. Très clairement posée aussi par Daniel Bourdanné, cette problématique renvoie à un vieux classique de la sociologie des organisations: l'organisation existe-t-elle pour servir une cause, ou la cause finit-elle par devenir un simple prétexte pour servir l'organisation?

On ne peut s'empêcher de se demander si les nombreux efforts de structuration en cours, à partir de commissions et d'outils parfois déjà très performants (cf. le site internet du CNEF, très enrichi en matériaux), passeront dans chaque département "les fourches caudines" de la culture arnarcho-locale des évangéliques, très jaloux de leur autonomie de terrain. Les choses semblent, à ce stade, suivre le cours d'une réelle implantation et crédibilisation du CNEF en tant qu'institution, mais tout cela est à suivre...

La surprise du chef

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On clôturera cette note à chaud (dont les matériaux demanderont plus ample analyse)  par la "surprise du chef".... l'exposé improvisé (mais remarquable) du député et ancien maire communiste (puis apparenté communiste) de Montreuil Jean-Pierre BRARD (ci-dessus), figure bien connue de la lutte anti-secte.

Au lieu de lire son texte, le député BRARD s'est senti "inspiré" (a-t-il affirmé lui-même), partant dans des considérations fort bien dites sur la laïcité républicaine et le "vivre-ensemble".

Avec tous les accents de la sincérité, cet agnostique s'est déclaré sensible à celles et ceux qui s'engagent au service de l'autre sur la base de valeurs (y compris religieuses), et a souligné son rôle dans la mise en place, depuis juillet 2011, d'une jurisprudence plus favorable aux cultes, dans l'obtention de baux emphytéotiques (c'est-à-dire permettant d'accéder à un terrain, pour 99 ans, pour une somme symbolique).

Last but not least, il a débuté son propos... par des regrets concernant une vieille affaire à Montreuil, où un culte évangélique avait été perturbé suite à son intervention, se soldant par un procès (2005)... Revenant sur l'incident, Jean-Pierre Brard a convenu que plus de dialogue aurait permis d'éviter ce regrettable épisode. L'ensemble de l'intervention du député, a priori peu réputé pour une sympathie débordante pour l'évangélisme, a fait forte impression.

Beaucoup pensaient qu'ils ne répondrait pas à l'invitation, et que s'il y répondait, ce serait du bout des lèvres.

 

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Non seulement le député Jean-Pierre Brard s'est déplacé en ce 26 janvier 2012, mais il a effacé symboliquement, et avec panache républicain, le contentieux de 2005 qui avait attaché son nom à une affaire de culte évangélique perturbé. Enfin, il a livré un vrai plaidoyer, percutant et pédagogique, pour une laïcité française honnête et franche, fondée sur le principe d'égalité réelle (d'où le bail emphytéotique pour ceux qui n'arrivent pas à se loger) et le refus du clientélisme (J-P.Brard a cité "une autre religion" dont les représentants étaient venus négocier un terrain avec lui... en échange de leur soutien électoral).

Pour une surprise, cette intervention de Jean-Pierre BRARD était une surprise.

Le député s'est dit, au terme de son propos, "inspiré"...

Si quelqu'un prononce un "amen" pas trop clérical, qui sait s'il n'aura pas l'absolution de Jean-Pierre Brard?

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