Religions! Prière de signer la "proclamation humaniste des cultes"! (10/04/2015)

BlBiSaeHtXjxuCNrMNxsIDl72eJkfbmt4t8yenImKBVvK0kTmF0xjctABnaLJIm9.jpegDans les semaines de confusion et d'émotion qui ont suivi les attentats de janvier 2015 en France, des initiatives tous azimuts ont fleuri, souvent à la va-vite, pour essayer d'ouvrir des perspectives de guérison.

Pays sécularisé (très) et laïque (pas assez), la France est aussi un creuset de l'humanisme au sens de la Renaissance, à savoir une conception du monde qui place au centre la dignité et le développement de l'être-humain.

D'où cette initiative, qu'on n'imaginerait guère ailleurs qu'en France, d'une "proclamation humaniste" à faire signer aux religions.

Sous-entendu, aux "bonnes" religions, compatibles avec une certaine conception de l'humanisme républicain franco-français. Cette initiative sympathique, quoiqu'un peu folklorique, comporte, dans sa lettre et son fond, bien des éléments qui emportent l'adhésion. Elle aurait pu susciter l'assentiment de beaucoup, si elle avait été assez réfléchie.

A regarder de près, cette proclamation (lien) pose cependant de très sérieuses questions.

 

Pourquoi les seules religions?

images.jpegLa première interrogation est celle de l'opportunité et du sens d'une telle déclaration pour les seules religions. Est-ce laisser entendre que les religions, plus que d'autres, sont suspectes a priori du malaise actuel? Ce serait faire une lecture à très courte vue des tragiques événements de janvier, mais aussi du marasme sociétal massif qui marque la France, et où les politiques (TOUS les politiques) ont une lourde responsabilité.

Ne faudrait-il pas commencer par faire signer cette déclaration aux politiques? Notamment les cumulards invétérés, les repris de justice à des postes de haute responsabilité, les vendeurs de fausses promesses? Messieurs Cahuzac et consorts n'auraient-ils pas eu besoin de déclamer "la primauté de la loi civile démocratique"? 

 

Pourquoi une "proclamation" aussi désincarnée?

images-1.jpegLa seconde question est le caractère presque ridicule d'un ton proclamatoire supposé engager des "communauté(s)" religieuses dans une déclaration d'intention digne d'une candidate à Miss France (pas de guerre en mon nom, paix, tolérance, liberté, etc).

Pense-t-on une seule seconde qu'une telle déclaration, gargarisée de sentiments nobles mais désincarnés, changera quoi que ce soit sur le terrain, dans le paysage formidablement diversifié des religions d'aujourd'hui?

La foi en la valeur performative de cette déclaration me paraît fort religieuse, et bien peu rationnelle, n'en déplaise au label humaniste de ses promoteurs.

 

Pourquoi la "primauté" de la loi et pas celle des valeurs ?

vv.jpgLa troisième question (et de loin la plus sérieuse) porte sur la première phrase de cette "proclamation humaniste des cultes". Elle demande en effet aux responsables religieux ceci: "Nous reconnaissons la primauté de la loi civile démocratique". A très courte vue cela sonne juste. Et dans trente ou quarante ans, au rythme où se dégrade la qualité des programmes d'Histoire dans l'Ecole Publique française, plus personne n'y trouvera peut-être à redire.

Mais voilà: il reste aujourd'hui dans ce pays suffisamment de citoyennes et de citoyens qui ont des notions d'histoire du XXe siècle pour savoir que la "loi civile démocratique" peut parfois déraper.

Commençons par du lourd: Pétain a reçu les pleins pouvoirs dans le cadre des institutions de la IIIe République. Hitler a été élu "démocratiquement" chancelier, et non par un coup d'Etat, même si l'on peut discutailler sur le contexte. La "loi civile démocratique" a parfois couvert, en France, des désastres coloniaux sous la IIIe et IVe République (il est vrai, loin des frontières de l'hexagone). Aux Etats-Unis, la "loi civile démocratique" a longtemps cautionné, avec la bénédiction de la Cour suprême, la ségrégation raciale.

Et demain, si un certain parti politique arrivait, en France, au pouvoir, "la loi civile démocratique" pourrait fort bien déraper à nouveau au regard de principes plus élevés. 

 

Une infantilisation paternaliste des religions

images-2.jpegLe rôle social et politique de la religion, depuis des siècles, a toujours été de s'inscrire dans une "tension féconde" avec le Politique (qu'il soit démocratique, prétendument démocratique, ou pas démocratique du tout). Quand des chrétiens ont refusé les lois nazies, quand d'autres ont refusé l'enlisement algérien de la politique française, quand d'autres encore ont lutté contre la peine de mort (longtemps légale), des croyants ont fait valoir un principe d'objection de conscience.

Contre, y compris, certaines "lois civiles démocratiques". Parce que pour eux, pour elles, la "primauté" ne tient pas dans la loi d'un pays, même prétendument ripoliné aux couleurs de la République et de la Démocratie. La "primauté" est placée dans des VALEURS, articulée à une transcendance (le Divin).

 

IM-2216-Alice.jpgMauvais coup porté à la République

Cet aspect fondamental des valeurs, supérieures à la loi, a été "oublié" dans ce texte, pourtant parraîné par des noms prestigieux tels que Dominique Schnapper, Philippe Joutard et d'autres.... En l'état, le texte invite ni plus ni moins à l'englobement et la neutralisation du religieux dans le politique. Avec "primauté de la loi civile démocratique" sur les valeurs universelles que les religions, chacune à leur manière, cherchent à transmettre.  

C'est non seulement rendre un mauvais service aux religions, infantilisées et formatées dans la pure tradition gallicane et étatiste que traîne notre pays, mais c'est surtout rendre un très mauvais service à la République. Ses praticiens, de plus en plus décrédibilisés par trop d'abus et de mensonges, ont en effet plus que jamais besoin de l'interpellation prophétique de religions attentives à la loi, certes, mais avant tout aux VALEURS qui sous-tendent le "vivre-ensemble" tant recherché.

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