France: la "suffisance réformée" aurait-elle de beaux jours devant elle? (11/05/2013)

Romain Blachier.jpgMême si elle a été "montée en épingle" par ses promoteurs, la fusion de l'Eglise Réformée de France et des luthériens de l'EELF au sein de l'EPUF (Eglise Protestante Unie de France) est assurément l'événement protestant du mois, et l'un des faits majeurs de l'année au sein des Eglises issues de la Réforme.

Actée en ce moment au cours du synode national constituant de Lyon (8-12 mai 2013), elle donne l'occasion à  Romain Blachier, pertinent blogueur protestant et élu municipal lyonnais (ci-contre), de se laisser découvrir dans la dernière page du numéro de Réforme 3511 (2 mai 2013, p.20).

Très bien réalisé, le portrait vaut le détour, ainsi que le blog de Romain Blachier (lien). J'ai sursauté cependant sur un point: sa spiritualité est présentée comme "bien dans l'air du temps"...

Je n'en suis pas si sûr. Vrai non-conformiste, l'intéressé n'hésite en effet pas à sortir des sentiers battus de l'air du temps. Romain Blachier se montre notamment d'une authentique ouverture d'esprit vis-à-vis de la diversité des protestantismes évangéliques.

 

Préempter l'identité protestante française

Pas si "air du temps" à l'heure où la constitution de l'EPUF ravive à toute allure la tentation, jamais démentie chez les protestants français réformés, de préempter l'identité protestante à leur profit, en vertu d'une étrange spécificité nationale qui fait sourire dans bien d'autres pays, où l'on sait fort bien que le protestantisme se conjugue au pluriel. 

8110h480w640.jpgEn témoigne par exemple le long entretien en trois parties accordé à Sophie Gherardi sur l'excellent site Fait-religieux.com par Laurent Schlumberger (ci-contre).

Le futur président de l'EPUF, que l'on a connu mieux inspiré, ne dit rien sur le caractère minoritaire de l'EPUF au sein du protestantisme français actuel. Même si ce n'était pas le sujet central, beaucoup auraient attendu de ce brillant esprit, a minima, un mot sur les autres protestants, et notamment la diversité évangélique.

Quant à l'AFP, sa dépêche du 8 mai 2013 présente carrément l'EPUF comme un rempart contre le chaos présumé du néopentecôtisme. Rempli de clichés à ne pas remettre entre toutes les mains (espérons que Marine Le Pen ne tombe pas sur la dépêche), on lit notamment: 

"Il y a le souci de faire face au développement, spontané, pour ne pas dire échevelé, d'églises "d'un autre type", relevant d'un "néo-pentecôtisme" exubérant, syncrétique, non soumis à une institution, apparu au Brésil et en Afrique et qui fleurit parmi les populations immigrées."

On comprend l'idée. Des éléments de dérégulation et de recomposition interrogent effectivement les institutions existantes.

Mais le ton utilisé ici va bien au-delà de la neutralité descriptive que l'on attendrait d'une agence de presse sérieuse. Cet extrait est à faire figurer en bonne place dans une future anthologie des fantasmes antiprotestants, cumulant peur du migrant, "souci" devant l'expressivité, mythe de la spontanéité échevelée (sic), et surtout, angoisse de cet "autre type", "non-soumis à une institution", ce qui, dans l'impensé catholico-jabobin français, équivaut à la Chienlit...

Ciel! Des insoumis qui ne se rendent même pas compte que de bienveillantes institutions sont là pour penser pour eux, prévenir ce qui décoiffe (échevelés s'abstenir) et alimenter l'AFP en savoir éclairé!

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Espoir pour les échevelés :-)


"Ou c'est moi, ou c'est le chaos"

L'EPUF ou la FPF ont-elles envoyé un correctif à l'AFP pour atténuer la caricature dont sont victimes ici les "néo-pentecôtistes" et migrants "échevelé(s)"? Il semblerait bien que non.

"Ou c'est moi, ou c'est le chaos", on connaît la chanson...

Mais il est un peu surprenant qu'en 2013, après tant de travaux académiques de tous horizons, on en soit encore à caricaturer à ce point la diversité du protestantisme actuel, au sein de laquelle l'EPUF représente une belle minorité dynamique de pratiquants, et une minorité fidèle de lieux de culte....

Cette minorité unifiée s'inscrit au sein d'un ensemble bien plus vaste et diversifié, où maintes voix osent affirmer cette provocation à méditer: chacun peut apprendre de l'autre (shocking: même des migrantes évangéliques sans papiers et un peu échevelées auraient donc des choses à dire et à enseigner à l'EPUF, la FPF et autres institutions labellisantes?)

Last but not least, ces réflexions autour des recompositions du protestantisme français à l'occasion de la fusion de l'EPUF rappellent les propos hautains et condescendants, et surtout bien mal informés, tenus il y a quelques mois par le futur président de la FPF (Fédération Protestante de France), le pasteur et théologien réformé François Clavairoly.

 

Diversité évangélique: "on verra comment elle peut s'intégrer dans le grand récit"

Celui-ci déclarait confortablement dans Réforme (n°3497, 24 janvier 2013, p.20), qu'il importe qu'au sein du CNEF (Conseil National des Evangéliques de France), les évangéliques "peuvent se raconter leur histoire les uns aux autres", poursuivant d'un royal voeu pieux: "Une fois qu'elle sera racontée, on verra comment elle peut s'intégrer (nous soulignons) dans le grand récit du protestantisme français". 

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Comme si les évangéliques n'étaient pas "intégrés" depuis longtemps dans le "grand récit" d'un protestantisme séculairement pluriel... Ils sont certes très loin d'être irréprochables en matière de collaborations, d'expression commune ou de mise en récit. Mais qui peut prétendre être irréprochable en la matière? Même si la FPF l'était, du haut de son expertise (respectable) est-il pour autant justifiable de lui confier implicitement, à elle ou à l'EPUF, la propriété du "grand récit" protestant?

Avec le "on" de majesté qui va avec? Et le regard en surplomb, façon Bonaparte tirant l'oreille du p'tit: "on verra bien mon brave"... "Hein, un jour, tu t'intégreras!" Mais faudra valider ton récit mon p'tit bonhomme!" 

Et si la question de l'intégration se pose, qui doit s'intégrer? Celles et ceux qui construisent ce récit sur le terrain depuis longtemps, au contact des réalités populaires? Ou les hommes d'appareil qui, du haut de leurs certitudes (parfois maquillées en "doute" et "ouverture" à géométrie variable, Télérama-compatible), croient décerner des bons ou mauvais points d'intégration, oubliant que l'intégration commence par soi-même?

On a pu parler, il y a quelques années, d'une certaine "suffisance réformée" franco-française.

Cet objet sociologique (ou élément d'histoire des représentations) demeure décidément d'actualité, le rideau de fumée des bonnes intentions unitaires et oecuméniques cachant une réalité anthropologique beaucoup moins lénifiante, notamment bien décrite par René Girard: la tendance millénaire à s'unir contre un tiers exclu, regardé de haut.

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