Trois présidents américains et un évangéliste (02/06/2007)

8d2beb235b96bfc2b66f3df2738d46bb.jpgIl n'en a pas toujours été ainsi. Mais depuis trente ans, l'évangéliste Billy Graham, aujourd'hui âgé de bientôt 89 ans (en novembre), est devenu une sorte d'abbé Pierre américain, c'est-à-dire une figure religieuse consensuelle, considérée comme l'incarnation du meilleur des valeurs américaines.

En bref, il représente une icône incontournable de ce que les sociologues appellent la "religion civile" états-unienne, au sens d'une religiosité générique, confessionnellement peu définie, qui rassemble un maximum de citoyens dans des valeurs partagées. Ceci explique pourquoi, le jeudi 31 mai 2007, trois présidents américains sont venus lui rendre hommage.

Imagine-t-on Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing se déplacer pour faire honneur à une personnalité religieuse française? Et de son vivant, en plus? Difficilement concevable, sauf pour quelqu'un comme l'abbé Pierre (et encore).

C'est ce qui s'est produit avant-hier à Charlotte, NC, pour l'inauguration d'une librairie-musée consacrée au baptiste Billy Graham.

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Bush père, Carter et Clinton écoutent le discours de Graham (31 mai 2007) 

 

J'ai déjà parlé de ce projet de librairie-musée dans ce blog. Il s'agissait alors d'un projet ouvertement controversé en raison des intentions premières de Franklin Graham (le fils aîné, plus rugueux et bien plus conservateur que son père) d'y enterrer ses parents, et ce contre la volonté express de sa mère. Il semble que depuis, les choses soient rentrées dans l'ordre.

Franklin se serait décidé à respecter quoiqu'il arrive le choix de ses parents... Le musée, en tout cas, a été achevé, et c'est pour son inauguration que les anciens présidents Jimmy Carter (un baptiste), Bill Clinton (un baptiste aussi) et Georges Herbert Bush (un épiscopalien) se sont déplacés pour rendre hommage à Billy Graham, qui les avait tous accompagnés à l'époque de leurs présidences respectives. 

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Billy Graham en discussion avec Jimmy Carter,
31 mai 2007 

 

Les présidents n'ont pas été avares en compliments, notamment Bill Clinton, toujours très à son aise dans le registre de l'émotion, qui déclara avec emphase que "chaque vie que Billy Graham a touchée -incluant des gens qui n'ont jamais été présidents, et qui n'ont jamais pris la parole à une croisade d'évangélisation- a été rendue meilleure, parce que (Billy Graham) a été un bon et fidèle serviteur des deux commandements divins les plus importants: aimer Dieu de tout son coeur et aimer son prochain comme soi-même".

Accessoirement, gageons que Bill Clinton et ses collègues n'ont pas non plus été insensibles à l'extraordinaire popularité de Billy Graham aux Etats-Unis, mais aussi à son rayonnement planétaire (Rachel Zoll, de l'agence AP, le décrit dans le Washington Post comme le pasteur le plus largement écouté dans le monde -210 millions d'auditeurs l'auraient vu en personne-).

671ffdad1bda3cb4568074c43f05ce0b.jpgEn entremêlant références politiques (unir des millions d'Américains) et références bibliques (amour du prochain), les présidents américains se sont clairement situés dans l'axe d'une religion civile assez consensuelle, mais marquée de manière privilégiée par le christianisme, dont Billy Graham, aux Etats-Unis, est depuis bien longtemps un "pape" ou une "star", comme j'ai eu l'occasion de l'analyser dans un livre publié en 2002 aux éditions Albin Michel.

Comment a réagi l'évangéliste? Il a commenté lucidement: "j'ai l'impression d'assister à mon propre enterrement" (la foule a ri).... Assister soi-même à un hommage rétrospectif de la part de trois présidents des Etats-Unis est en effet si rare que le seul point de comparaison du vieux Graham est... l'enterrement, occasion où les grands de ce monde viennent habituellement appporter les derniers honneurs aux héros de la nation.

Qu'une telle triade présidentielle se soit déplacée du vivant de l'évangéliste annonce en tout cas la couleur sur ce que seront les funérailles de Graham: une liturgie nationale qui étonnera grandement les Français mais paraîtra naturelle aux Américains, qui communieront, des plus hautes autorités aux plus humbles, dans le souvenir de celui qui symbolise, dans l'Amérique post-Onze Septembre, la tradition d'un christianisme de conversion à l'américaine où chaque individu peut "naître de nouveau".

 

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