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L'étrange piété filiale de Franklin Graham

medium_natBILLYGRAHAM.jpgFranklin Graham (ci-contre à gauche) est le fils aîné de Ruth et Billy Graham, le couple protestant le plus célèbre des Etats-Unis. Contrairement à son père Billy, "star" évangélique qui a évolué depuis trente ans vers une image de modération qui en fait aujourd'hui un personnage consensuel, Franklin a choisi un positionnement bien plus conservateur, sans nuances. "He has a rocky style", dit-on de lui. On pourrait aussi parler de "style bulldozer", surtout lorsqu'on découvre ses intentions autour du décès prochain de papa-maman...

 

Voici l'affaire: Ruth et Billy sont aujourd'hui très âgés, et près de mourir. Ruth a 86 ans, et Billy, à 88 ans, a sans doute prêché ses derniers sermons. Ces deux immenses figures du protestantisme évangélique contemporain peuvent être critiquées, mais un point est assuré: elles n'ont jamais manifesté de souci d'enrichissement personnel, et Ruth Graham a très clairement exprimé, à plusieurs reprises, son désir d'être enterrée discrètement et modestement, dans des collines, à un endroit (le Cove) qu'elle a elle-même choisi. 

Mais Franklin est d'un autre avis. Officiellement par piété filiale, mais contre la volonté de sa mère, il a pris l'initiative de construire à Charlotte (N-C) une bibliothèque doublée d'une sorte de parc d'attraction à la gloire de Billy et Ruth Graham (voir ci-dessous).

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 D'un goût qu'on peut juger douteux, ce projet est présenté par Franklin comme un outil d'évangélisation qui va permettre, post-mortem, à Billy et Ruth de continuer leur ministère. L'idée est de de faire venir un maximum de cars de touristes et de pèlerins sur le site. Les touristes seront accueillis par une vache au cou articulé, sensée rappeler l'univers de la ferme où a grandi Billy Graham, puis ils parcoureront un couloir de plexiglass illuminé, en forme de croix, assisteront à des expositions multimedia, et à la fin de la visite, on les conduira dans un jardin jusqu'aux tombes des évangélistes.

Mais voilà: pour que ça marche, il faudrait que maman et papa Graham acceptent d'être enterrés là! Pèlerins et touristes viendraient ainsi spécialement se recueillir sur leur tombe, et profiter de l'occasion d'être évangélisés.

Mais Ruth ne veut pas en entendre parler. Elle tient à être inhumée au calme, loin de l'agitation prosélyte ou commerciale. La romancière Patricia Cornwell, amie de longue date de Ruth Graham à laquelle elle a consacré un livre, a visité récemment le projet de Franklin Graham. Elle s'est dit "horrifiée". "Le but principal de cette affaire est de collecter des fonds, dit-elle. C'est une farce. Les gens vont en rire". Ruth, très affaiblie et hospitalisée pour une dégénérescence de la moelle épinière, opine. "C'est un cirque, une attraction touristique", dit-elle.

Mais Franklin insiste.... Et le programme de construction est déjà presque achevé. Ruth et Billy n'ont plus qu'à mourir pour que tout soit prêt... Billy, tiraillé entre son épouse et la volonté de son fils aîné, n'a pour l'instant rien dit.

Mais dans la famille Graham, on se dispute. La fratrie de Franklin ne semble guère apprécier l'initiative de l'aîné, mais comme celui-ci est le boss de la Billy Graham Evangelistic Association, il a les mains libres...


Cette histoire révèle plusieurs choses.

-D'abord, la difficulté de transmettre l'héritage d'un leader charismatique comme Graham. Quand un système repose sur la tradition, la transmission se fait souvent assez facilement. Quand elle repose sur le charisme du fondateur, c'est plus difficile, car le charisme ne se transmet pas de manière héréditaire.... D'où la tentative de Franklin Graham d'essayer, à sa manière, de "capter" post-mortem un maximum de bénéfices (du "mana", diraient Marcel Mauss ou les Océaniens) du décès de son père et de sa mère, renforçant ainsi sa propre légitimité de successeur.

-Ensuite, la tension entre l'identité protestante, qui refuse, en principe, le culte des saints et les "reliques" (à tel point que Calvin n'a pas voulu qu'on puisse connaître son lieu d'enterrement) et le star system à l'américaine qui peut conduire à vouloir tirer un profit maximum de la renommée d'un défunt, que celui-ci soit Elvis Presley.... ou Billy Graham.

-Enfin, cet épisode en dit long sur le personnage Franklin Graham. Très apprécié dans la plupart (pas tous) des milieux fondamentalistes et évangéliques de droite, Franklin Graham révèle dans cette affaire un autoritarisme manifeste (stratégie du "passage en force"). Cet autoritarisme confirme, y compris dans ses rapports familiaux, qu'il est porteur d'une conception du message évangélique où l'écoute et le service passent après la "vision" entreprenariale du leader, au risque (mais ira-t-il jusque là?) de trahir sa propre mère....   

 

Le Washington Post propose un slideshow qui illustre cette histoire.  Cliquer ici.

Un article du 13 décembre 2006 détaille également l'affaire, toujours dans le Washington Post

 

Commentaires

  • Information très intéressante. Mais il faut être prudent. Il nous manque (nous les français) certainement beaucoup d'éléments objectifs pour connaitre TOUS les elements de cette affaire qui mele certainement grandguignolesque, business, maladresse mais aussi subjectivité volontaire d'articles journalistiques souvent orientés. Attendons la suite...Malheureusement la mort de ce vénérable couple.

  • Eh bien! J'espère qu'il n'en arrivera pas à trahir les dernières volontés de sa mère.
    Cette histoire montre bien combien l'évangélisme est paradoxal
    E.C

  • L'auteur de ce blog étant un spécialiste du protestantisme évangélique et notamment du protestantisme évangélique américain, je pense que nous pouvons lui faire entièrement confiance. Malheureusment les chrétiens évangéliques ne sont pas exempts des tentations de ce monde. Mais n'est-ce pas normal : s'ils l'étaient, ils n'auraient pas besoin d'être chrétiens!
    FP

  • Je trouve inutile de donner en pâture des informations qui discréditent les évangéliques dans un pays comme la France où ils ont déjà tant de mal à être crédibles, d'autant qu'on ne sait pas encore ce que va devenir ce projet.

  • On peut former le voeu que la longévité des parents de Franklin Graham lui permettra de réevaluer son projet qu'on peut tout au plus trouver en partie de mauvais goût; et si ce projet devait voir le jour, ie sociologue des religions pourra étudier ce qu'il devient à l'épreuve du temps et en savoir gré à Franklin G.

    Dans le Nouveau Testament (Actes 19 : 12), on lit :
    [...on appliquait sur les malades des linges ou des mouchoirs qui avaient touché son corps, et les maladies les quittaient...]; ceci pour remettre en perspective la dénonciation des reliques

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