Vendues comme esclave par Boko Haram : éléments de contexte (08/05/2014)

bokoharam.jpgIl y a quelques jours, surprise avec ce titre d’un journal français: 

"Les islamistes de Boko Haram

restaurent l'esclavage au Nigeria."

Ah bon, vraiment ?

Parce que l’esclavage avait disparu avant Boko Haram?

Il est grand temps de secouer les écailles qui obturent la vue des bons esprits qui, depuis leurs certitudes d’occidentaux shootés au «progrès» bisounours, regardent de loin, très très loin, les réalités brutales d’un monde contemporain confronté massivement au trafic d’êtres humains.

Le sort tragique des lycéennes enlevées par les milices islamistes de Boko Haram au Nigeria et vendues comme une marchandise s’inscrit dans une réalité déjà bien ancrée: celle d’un esclavage moderne infra-médiatique, bien moins spectaculaire que celui d’antan (le «commerce triangulaire»), mais communément pratiqué en maints endroits de la planète sur fond d’exploitation de la misère humaine.

Cet esclavage prend aujourd’hui de multiples formes parmi lesquelles on peut distinguer quatre types (qui se recoupent souvent en partie dans la pratique). 

 

affiche-fillette.jpg1/ Esclavage à motif prostitutionnel

Il existe l’esclavage implicitement consenti par des familles, qui, poussées par la misère, livrent une ou plusieurs enfants ou adolescentes à des réseaux lucratifs, fondés sur la prostitution féminine, à l’image de ces centaines ou milliers de Congolaises qu’on retrouve ensuite au Maroc ou ailleurs.

Une réalité Sud-Nord, mais aussi Nord-Nord, portées par de puissants réseaux européens qui brassent des centaines de millions d'euros.

Document : « Des mineures congolaises forcées à se prostituer » (agence Syfia Grands Lacs, 28.04.2014)

 

12221252-help-end-slavery-now.jpg2/ Esclavage à motif « travaux forcés »

 Il existe aussi l’esclavage induit par certains grands entrepreneurs à l’abri des dictatures, comme dans plusieurs pays du Golfe arabo-persique (incluant le «vilain petit Qatar» -dixit Pierre Vermeuren-, organisateur du Mondial de foot 2022), où des milliers d’ouvriers travaillent, souvent privés de papiers, dans des conditions de servilité dignes du temps de l’Oncle Tom.

Document : Quarante-quatre «esclaves népalais» morts sur les chantiers au Qatar en 2013 (cf. Le Monde du 26 septembre 2013)

 

mende-nazer-06.jpeg3/ Esclavage à motif confessionnel/ethnique

Une autre forme d’esclavage, plus idéologique, se retrouve dans des aires de conflit géopolitique comme les espaces soudanais, centrafricain, somali, mauritanien.

Des clivages confessionnels et/ou ethniques y induisent des logiques de razzias où la privation de liberté et la resocialisation forcée dans une autre religion apparaît comme légitimable, à l’intérieur de sub-cultures locales bien ancrées, au nom de la sainte cause.

Des milliers d’enfants chrétiens sud-soudanais ou Nuba auraient par exemple été l’objet, au cours des trente dernières années, de ce type de mise en servitude, dénoncée par plusieurs ONGs.

Document : Mende Nazer, Slave, my true story (2005)

 

41AUy7ncAVL-1._.jpg4/ Esclavage à motif domestique

Mais il existe aussi l’esclavage domestique, subtil et mal repéré, qui livre sans défense un individu déraciné dans les mains d’une famille ou d’un dominant (un homme, parfois une femme), qui en fait ce qu’il veut.

Un esclavage repérable depuis longtemps et à grande échelle, notamment en Afrique coloniale française (cf. l’ouvrage en anglais de Martin Klein publié en 1998), et reconnaissable aujourd’hui y compris en Europe et en France, comme l’illustre l’excellent travail d’une association comme le CCEM.

Document : Tina Okpara, Ma vie a un prix, Michel Lafon, 2010 

 

Soulignons que ces dossiers n'ont rien d'une litanie victimaire. Car si les personnes privées de liberté sont réifiées, perçues comme des produits ou des objets, elles ne se résument jamais à ce que les maîtres voudraient qu'elles soient.

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Bibliographie

Rappelons entre autres, pour terminer ce survol indicatif, tout l'intérêt de l'Atlas des esclavages (Marcel Dorigny et Bernard Gainot, Autrement, 2006), les travaux d'Olivier Pétré-Grenouilleau (notamment son Dictionnaire des esclavages, Larousse, 2010), et les recherches de Jean-Michel Deveau, déjà citées précédemment dans ce blog.

Chercheur et expert confirmé, Jean-Michel Deveau a notamment assuré pendant dix ans à l'UNESCO la vice-présidence du comité scientifique La Route de l'esclave, et nous laisse une précieuse synthèse sur le retour de l'esclavage au XXIe siècle (Khartala, 2010). Il a aussi publié en 1998 un Femmes esclaves: d'hier à aujourd'hui (ed. France Empire).

 

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