Embrasement du MALI: vers la fin de la tolérance religieuse? (04/04/2012)

images-1.jpegPour désamorcer l'accusation, excessive, selon laquelle les pays à majorité musulmane ne respecteraient pas pleinement la liberté religieuse et le droit de conversion, il m'est arrivé, au moins à deux reprises, dans ce blog, de donner pour exemple le MALI, étudié par ma collègue au GSRL, l'anthropologue Danielle Jonkers.

Le MALI est en effet longtemps resté paisible sur le plan religieux, la majorité musulmane se montrant très tolérante avec les minorités chrétiennes. Faut-il désormais en parler au passé?

Restons prudent. Je ne doute pas que l'écrasante majorité des musulmans du Mali demeurent, à l'égard des chrétiens, bienveillants et tolérants. Cependant, les récents développements politiques et militaires, suite au coup d'Etat raté qui a permis l'avancée en profondeur des troupes djihadistes du Nord vers le Sud (en lien avec les rebelles touaregs), suscitent l'inquiétude, en tout cas du point de vue des libertés de la population.

 

6.jpgCharia à Tombouctou, CARITAS attaqué à Gao

Alors que les grands médias parlent d'un début d'implantation autoritaire de la Charia à Tombouctou, l'ombre d'Al Qaeda au Maghreb islamique (qui détient plusieurs Français en otage) s'étend, non seulement sur le Mali, mais aussi dans plusieurs pays voisins (Mauritanie, Niger, Libye...). A Gao, la mission locale de Caritas, grande ONG catholique, aurait été menacée puis mise à sac par les miliciens islamistes d'Ansar Din, obligeant son personnel à fuir et mettre la clef sous la porte.

Du point de vue des sciences sociales des religions, il y a de quoi s'interroger. On l'a déjà rappelé à l'occasion de l'attentat contre Charlie Hebdo: depuis des années, nos meilleurs spécialistes français, parmi les politistes, annoncent "la (quasi) fin de l'islam politique".

 4146W9XGTQL._SL500_AA300_.jpgC'était le cas dès 1992 pour Olivier Roy qui décrivait "l'échec de l'islam politique". En 2000 (un an avant le 11 septembre), Gilles Képel publiait à son tour Djihad, vie et déclin de l'islamisme (Gallimard). Plus récemment, des esprits tout aussi brillants que Jean-Pierre Filiu, qui estime voir dans le djihadisme de Mohamed Merah et ses émules une "nouvelle religion" qui ne peut exister sans internet, ou Samir Amghar (qui pense voir dans le même Merah un "anachronisme djihadiste"), sont sur la même ligne: l'islamisme politique conquérant, voire violent et même terroriste, c'est en déclin.

Je ne conteste pas à ces brillants auteurs, que j'apprécie beaucoup et que j'essaie de lire attentivement, ni leur expertise, ni leur intelligence, qui force le respect. La France s'honore d'avoir de tels chercheurs.

 

Djihadisme offensif: pas un phénomène résiduel

Mais, au-delà des petits tabous corporatistes et des soucis de carrière, c'est le propre d'un sain débat intellectuel que de s'interroger sur l'opportunité de maintenir un paradigme explicatif quand la réalité le dément si régulièrement.

 Car enfin, les djihadistes d'Al Qaeda au Maghreb islamique, qui enflamment le Sahel, ou les Chebabs de Somalie qui s'acharnent sur les quelques chrétiens restés au pays, ne surfent pas sur internet 4H par jour. Je suis sûr que Jean-Pierre Filiu finirait, je pense, par en convenir avec moi!

 images.jpegEt dans un tout autre contexte, Mohamed Merah était un jeune-homme d'aujourd'hui, pas un avatar des "Visiteurs", "anachronisme" (sic) revenu des temps jadis.

Je comprends ô combien le souci d'éviter toute diabolisation et toute caricature. Je m'y emploie moi-même régulièrement, face à des commentaires qui dérapent parfois dans l'islamophobie (que je condamne et dénonce!).

 Je serai le dernier à nier que l'immense majorité des formes sociales de l'islam est parfaitement pacifique, et passionnante à étudier, avec toute l'empathie requise.

Mais je comprends beaucoup moins cette obstination à relativiser un phénomène qui, non content de se maintenir, progresse au contraire de manière si spectaculaire: un islam politique revendicatif, non réductible aux logiques piétistes individuelles, qui entend bien conquérir sa place au soleil, et y parvient dans un nombre croissant de pays du Maghreb/Maschrek/Sahel. Au prix, parfois (souvent?) d'un recul des libertés, des conquêtes laïques (quand il y en avait) et du pluralisme confessionnel.

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Vers un nécessaire toilettage des paradigmes explicatifs ?

Pour conclure, j'aimerais inviter ces chers et éminents collègues chercheurs, au talent si précieux, à nous proposer, dans les mois et années qui viennent, des travaux moins préformatés par un paradigme explicatif certes passionnant et souvent pertinent, mais aussi un tantinet discutable.

Une approche plus inductive, c'est-à-dire s'appuyant davantage sur l'épaisseur du réel, ne serait pas une catastrophe académique, quitte à réélaborer ensuite des outils théoriques et analytiques (indispensables), mais à partir d'un terrain ausculté sur la base d'une méthodologie qui limite les filtres.

Quand la théorie et le réel ne s'articulent plus, on ne peut pas changer le réel. Et nier le réel ne tient pas très longtemps. Dans ce cas-là, ce qu'il faut réajuster, c'est la théorie.

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