En 2010 et 2011, deux thèses de doctorat en langue française ont été soutenues sur les Églises évangéliques congolaises.
Signe des temps ? Témoignage, en tout cas, de l'importance de ces nouveaux terrains de recherche constitués par les Églises de migrants. Leurs auteurs sont Damien Mottier et Sarah Demart.
La thèse de doctorat de Damien Mottier (2011) s'intitule : "Églises africaines en France, pentecôtismes congolais et entreprises prophétiques" (EHESS, 2011, sous la direction d'André Mary, 345 pages + film).
Avec celle de Sarah Demart, soutenue un an avant (qui sera évoquée demain dans ce blog), il s'agit d'une contribution majeure à la compréhension des recompositions protestantes d'expression africaine en Europe et en France.
Avec ce superbe travail de synthèse, dont on attend avec impatience la publication, l'auteur propose un "2 en 1", à savoir un film documentaire de 46 minutes, produit et diffusé en 2009, et un support écrit, le mémoire de doctorat proprement dit.
C'est ce dernier mémoire de Damien Mottier (ci-contre), soutenu à l'EHESS devant un jury de cinq spécialistes le 26 octobre 2011, qu'on présentera très brièvement dans les lignes qui suivent.
Dispositifs de réélaboration du charisme prophétique
L'auteur s'appuie sur une double approche disciplinaire, celle de l'anthropologie et celle de la sociologie, renforcée par une robuste dimension historique.
À partir de trois terrains principaux (la trajectoire du prophète ivoirien Kakou Séverin, la Cité de Sion, les Semeurs du Christ de Shora Kuetu), complétés par de multiples enquêtes de terrain, l'auteur entend étudier les dispositifs de réélaboration du charisme prophétique. Le prophétisme (en milieu majoritairement congolais) est donc au centre de sa recherche.
Cette réélaboration du charisme permet le passage des traditions prophétiques africaines (comme le kimbanguisme) vers un imaginaire pentecôtiste global de reconquête spirituelle. Par le truchement des nouveaux prophètes africains étudiés par Damien Mottier, on observerait une "reglobalisation du christianisme", dans un mouvement de retour des périphéries vers le centre.
Inversion symbolique
Cette évolution vers de nouveaux "pasteurs prophètes" s'appuie sur des dynamiques migratoires nouvelles, encore récentes, qui renforcent une inversion symbolique des schémas de domination hérités de l'époque coloniale.
Elle se joue sur fond de politiques identitaires articulés à des creusets africains (Congo, Côte d'Ivoire (1ère partie), une relecture du prophétisme, entre fabrique des signes et impossible routinisation (2e partie), et des rapports de force interne: ceux-ci prennent tantôt la forme de tensions générationnelles, de compétition autour de l'économie des miracles, du rapport aux femmes, ou de luttes d'influence entre réseaux transnationaux (troisième partie).
Socio-génèse du Charismatisme Troisième Vague en région parisienne
Cette trame générale se voit renforcée par un apport empirique qui offre de nouvelles clefs de compréhension des dynamiques de diversification du protestantisme métropolitain au cours des 25 dernières années, au travers de l'explicitation des filiations, clientèles, écoles et divisions entre entrepreneurs charismatiques.
Un seul exemple : c'est en lisant Damien Mottier qu'on découvre pour la première fois une analyse complète, fine et pédagogique du processus de recomposition majeur qui marque le protestantisme francilien dans les années 1980, à savoir l'affirmation d'un Charismatisme Troisième vague porté par l'Église du pasteur indien Selvaraj Rajiah.
Etudiée aussi dans le livre collectif Dieu change en ville (collection de l'AFSR, L'Harmattan, 2010), cette Église conduite par le pasteur Rajiah (ci-contre) s'appelle, à l'origine, Parole de Foi Evangélisation Mondiale, mais a pris désormais pour nom celui de Paris Centre Chrétien (PCC). Il s'agit de l'une des trois megachurches de l'espace parisien.
C'est à partir de cette communauté multiculturelle (à forte composante migrante et africaine), créée en 1983, qu'une nouvelle génération de pasteurs, formés au creuset de l'école créée par Rajiah, a ensuite diffusé, dans des dizaines de communautés, de nouvelles approches prophétiques.
A noter qu'à l'inverse de la prospérité, l'enjeu de la délivrance (étudié en particulier par Sarah Demart, voir la prochaine note de ce blog) n'est pas au coeur de ce néocharismatisme là.
En revanche, on se situe bien au croisement de deux tendances, celle de la New Apostolic Reformation (mouvement de "restauration des ministère", largement venu des Etats-Unis dans les années 1970-80) et des influences prophétiques africaines spécifiques (congolaises, mais aussi ivoiriennes, ghanéennes, nigérianes)..., de plus en plus diffusées en Europe depuis les années 1980.
Territoire circulatoire évangélique congolais
Au-delà des très nombreux autres apports empiriques et théoriques de cette thèse de référence (rapports de genre, "media-church", etc.), Damien Mottier nous permet de mieux comprendre l'histoire récente et les spécificités des centaines de nouvelles Eglises évangéliques congolaises en France (la seule pastorale congolaise francilienne compte 200 pasteurs).
Il confirme aussi l'intérêt de la notion de "territoire circulatoire" empruntée à Alain Tarrius (notion qu'utilise aussi Sarah Demart).
À rebours de la dicchotomie trop simpliste entre transnationalisation et territorialisation locale, le "territoire circulatoire" évangélique congolais balise les itinéraires diasporiques de repères et de pratiques partagés, entre Paris, Brazzaville et Kinshasa (via Abidjan), qui nous montrent la vanité qu'il y aurait aujourd'hui à étudier le protestantisme français sous l'angle purement hexagonal.
Commentaires
Monsieur Fath,
Comme beaucoup de protestants évangéliques j'apprécie la qualité de votre blog, que je lis régulièrement. Mais de temps en temps il m'arrive de me trouver face à des articles qui me plongent dans la perplexité, parce que je ne les comprends pas. Ils me laissent l'impression (et soyez certain que je dis cela sans aucune ironie), d'écouter une conversation entre des personnes qui auraient brusquement changé la définition ordinaire des mots, de sorte que je suis incapable de saisir de quoi elles parlent.
Votre compte rendu de la thèse de Damien Mottier est un bon exemple du problème que je rencontre. L'adjectif prophétique y apparaît de façon récurrente. Or dans mon vocabulaire personnel ce mot est absolument inséparable de la notion de surnaturel. Par essence l'existence de phénomènes surnaturels fait toujours controverse, et je ne demande pas à entrer dans un débat. Mais ce qui dépasse ma compréhension, et que vous pouvez peut-être m'expliquer, c'est qu'on puisse faire une thèse en rapport avec des activités prophétiques, sans porter d'évaluation sur la réalité de ce prophétisme. Je pensais qu'une thèse comportait obligatoirement un caractère scientifique et par conséquent objectif.
Je prends un exemple concret pour expliquer plus clairement ce qui m'étonne. Supposons qu'un doctorant fasse une thèse sur le parler en langues dans les églises pentecôtistes. Je conçois parfaitement qu'il est hors de question que son but soit d'arriver à la conclusion de savoir s'il faut ou non être pentecôtiste. Par contre, il serait inconcevable pour moi qu'il puisse faire une thèse sur ce sujet sans notions de linguistique, et sans les appliquer à son objet. Ou alors c'est moi qui ne comprends plus ce qu'il faut entendre par méthode scientifique.
Ainsi je rencontre entre autres dans cet article : "compétition autour de l'économie des miracles". Je veux bien admettre que le mot "prophétique" puisse être élastique et qu'on me conteste sa relation avec le surnaturel ; mais le mot "miracle"? on ne peut guère échapper ici à sa définition commune. Et on pourrait envisager une démarche scientifique sur la "compétition autour de l'économie des miracles" sans déterminer premièrement si ces miracles existent ou non! Mais s'il s'avère qu'ils sont imaginaires, quel sens donner à leur "économie"? Vous employez par ailleurs ce mot d'imaginaire dans ("imaginaire pentecôtiste global de reconquête spirituelle") ; est-ce à dire que ce qui est imaginé ne corresponde à aucun fait matériel constaté ? Dans ce cas je ne vois pas le rapport avec la science, à qui il faut premièrement des faits.
Peut-être n'ai je pas compris que ces exercices de thèses ne s'intéressent qu'au comportement des gens, et nullement à la réalité de leurs croyances. Cependant il me semble impossible de donner une description adéquate d'un comportement humain quelconque sans le replacer dans le contexte de la réalité objective.
La sociologie me fait l'effet d'un jeu dont je ne comprendrai jamais les règles, et que ne pourrai viscéralement jamais classer dans les sciences.
Cordialement,
Gédéon.
Dans l'attente de vos réponses à Gédéon Pilsett, je suis très intéressé par tout ce qui concerne le Congo ; je suis moi même en contact avec de nombreux congolais, avec leur approche de la vie, et leur(s) pays est devrait être pris bien plus en considération.
En France, je suis admiratif de leur capacité d'intégration ; on parle surtout des problèmes d'intégration, mais j'observe que, au milieu d'énormes difficultés, les congolais arrivent finalement à s'en sortir.
(enfin... DES congolais, peut être va-t-on encore me reprocher des généralisations abusives, c'est vrai qu'il faut aussi penser à ceux qui ne s'en sortent pas).
Egalement existe-t-il des rapports avec l'animisme ? (la réponse est OUI, mais vous n'en parlez pas ? ).
J'ENGAGE UNE GRÈVE DE LA FAIM tant que cette thèse n'est pas en ligne.
Bonsoir tout le monde , j'interviens sur ce forum parce qu'il y a quelque chose que j'ai vu et que je peux dénoncer selon les écritures bibliques.
la Bible nous dit dans LUC 10 : 21