Une des fonctions sociales de la religion est de canaliser et pacifier la violence, comme l'expliquerait bien plus en détail René Girard.
Mais le religieux peut aussi être vecteur de conflit, et nourrit sous cet angle l'interrogation des sciences sociales au travers d'un récent ouvrage collectif publié sous la direction de Anne-Sophie Lamine (qui signe aussi une introduction et une conclusion très stimulantes).
Ce beau volume consacré aux terrains contemporains est intitulé Quand le religieux fait conflit, Désaccords, négociations ou arrangements (Rennes, PUR, 2014).
La table des matières complète est consultable ici (lien).
On y lira notamment une contribution sur les évangéliques et l'affaire des minarets en Suisse (signée par votre serviteur).
Commentaires
Bjr,
Voilà un livre dont le sommaire donne envie de le lire. Même sans l'avoir fait encore, j'ai à cœur de souligner le vieux problème philosophique de la religion comme source de conflits, alors qu'on s'attendrait à ce qu'elle "relie" les personnes, surtout en un temps où l'on abuse de l'invocation du "lien social". Certains vont jusqu'à proposer de penser que la religion serait une forme de "communion" (Debray).
Si ce n'est pas criant d'évidence, on peut y voir plus clair en posant comme critère le statut de l'"autre" au sein même des divers messages "religieux". Alors on observe que l'idée même de simple "tolérance" est problématique, non élaborée. Une certaine tolérance (et donc pas toutes ses formes, qui peuvent être bien réfléchies) tend à accepter l'autre uniquement dans sa différence "particulière" (dans le caractère schématique du "particulier, de l'"untel"), mais ne s'attarde pas à creuser intellectuellement, et surtout au plan éthique, la différence de l'autre comme "singularité", c'est-à-dire comme écart, certes, mais comme écart qui donne lieu, de par sa distance même, à une méditation sur l'"universel" qui serait telle qu'on y reste "sujet" tout en visant l'universel comme convergence rigoureuse (pas comme simple "généralisation" dont le hamburger mondial serait un exemple.
C'est l'erreur majeure et le danger du communautarisme que de laisser croire que les communautés pourraient se juxtaposer par secteurs, quartiers dans un espace public "tolérant". La distance à l'autre, dans ce cas, n'est pas motif à réfléchir sur l'autre, mais source de stéréotypes et de clichés variables selon les besoins de la "cause". On peut toujours dire que telle catégorie doit pouvoir exercer son culte, mais qu'il lui revient, par exemple de se soumettre à un impôt spécial. On peut dire qu'on l'accepte dans la société mais pas à certaines places et fonctions.On peut aussi lancer les plus monstrueuses calomnies sur l'autre dès lors qu'il n'est posé que dans sa différence particularisante.
Si je comprends bien la "religion" chrétienne, elle a, dans son "anthropologie" biblique, l'intérêt de ne pas enfermer l'Homme dans une "appartenance" automatique.
Adam est d'abord un "homme" avant d'être ceci ou cela (en Islam il est musulman d'emblée). Et quand il est question de "peuple élu", seule une méconnaissance des textes peut prétendre que c'est un privilège ségrégatif: car la place de l'Autre, de l'"étranger", du "craignant Dieu", bref, du "prochain" y est maintenue ouverte et illustrée de nombreuses manières. L'Autre interpelle et altère le Même et relance indéfiniment la réfllexion sur ce que c'est que d'être "Homme". l'"élection" devient une exigence d'ouverture et de respect de l'Autre et non pas, comme certains le comprennent, comme un prétexte pour "coloniser" une "terre promise". (La promesse porte sur l'exigence de s'ouvrir à l'autre, en tout lieu).
Si cette différence entre statut particulariste et statut singularisant de l'Autre n'est pas établie, la religion, source indéfinie de fanatisme et d'irrationnel, de passion, fomente la guerre. Nul mieux que Spinoza l'aura montré et il faudrait le relire.
Bonhœeffer, l'évêque exécuté sous Hitler, propose une distinction intéressante entre "communauté spirituelle" et "communauté psychique". Cette dernière n'a pour fonction que de surenchérir ce qui est déjà son critère de constitution: la ressemblance identitaire, la proximité (même illusoires).
Le critère du "spirituel" rebondit sur l'anthropologie foncière pour y trouver les raisons de surmonter des différences (idéologiques, "raciales", culturelles, voire théologiques) pour ouvrir un espace commun d'adoration, de méditation, de réflexion et de débat, envers et contre toutes étiquettes et slogans (tout camp, toute machette, toute rumeur, toute exploitation, toute annexion).
Vaste programme...
Cordl,gef