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Dieu bénisse l’Amérique

medium_Maison_blanche.jpgLa religion de la Maison Blanche

 

Sébastien Fath (Paris, Le Seuil, 2004, 288p)


Le titre de ce livre paru en septembre 2004 était initialement prévu avec un point d’interrogation. L’idée n’est naturellement pas d’invoquer la bénédiction de Dieu sur l’Amérique, mais, au travers d’un slogan mille fois répété (God bless America), de mettre en question l’usage politique qui peut être fait de la religion aux Etats-Unis. Dans ce décryptage, on va bien au-delà du seul champ protestant évangélique, pour parcourir tout l’éventail religieux états-unien, en se concentrant sur les rapports avec le terrain politique.

Une réflexion centrée sur les mutations de la religion civile états-unienne

Cette analyse est partie des pistes ouvertes par l’enquête sur Billy Graham publiée en 2002 aux éditions Albin Michel. Ce dernier peut en effet être considéré comme le principal chef d’orchestre de la religion civile états-unienne depuis Eisenhower. Qu’est-ce que cette religion civile ? Cette notion, que l’on doit originellement à Rousseau, a été reformulée dans le contexte nord-américain par le sociologue Robert Bellah. Elle désigne une forme de religiosité générique, avec un dieu vague, confessionnellement peu défini, qui doit rassembler un maximum d’Américains dans un certain nombre de croyances et de rituels communs. Il s’agit donc d’une religiosité à vocation consensuelle et patriotique, que ce livre cherche à cerner à la fois dans son histoire récente, et dans son actualité (présidence George W. Bush).

Combinant histoire et sociologie, Dieu bénisse l’Amérique est étayé par les recherches publiées sur le sujet, mais il  s’est aussi nourri de sources primaires. En-dehors des matériaux biographiques disponibles, il exploite surtout cinq types de documents. Les quatre premiers proviennent des Etats-Unis : la grande presse américaine, qu’elle soit quotidienne (Washington Post, New York Times…) ou hebdomadaire (Time, Newsweek…), la littérature grise des cercles du pouvoir washingtonien, souvent disponible sur internet (Project for a New American Century, Progressive Policy Institute) ; Christianity Today, principal mensuel protestant évangélique outre-Atlantique, sans oublier… la production cinématographique hollywoodienne, aussi révélatrice de la culture washingtonienne du début du XXIe siècle que Molière pouvait l’être de la civilité parisienne du XVIIe siècle. À ces quatre corpus s’est ajouté l’examen de la presse nationale française.

« une nation avec l’âme d’une Église »

Sur la base de cette documentation et d’éclairages théoriques puisés principalement aux sources américaines (Ammerman, Bellah, Berger…) et françaises (Desroche, Hervieu-Léger, Sfez, Willaime…) Dieu bénisse l’Amérique. La religion de la Maison Blanche propose en neuf chapitres une interprétation dynamique de la religion civile américaine, ciment d’une «nation avec l’âme d’une Église» (Chesterton). Loin d’être figée, celle-ci évolue au gré des rapports de force politiques et religieux. L’hypothèse majeure du livre est la suivante: la Civil religion connaîtrait aujourd’hui un point de basculement. Marquée en partie par l’influence évangélique (qui domine depuis les années 1960), elle ne se réduit pas à une hégémonie des théoconservateurs. Certes relativement influents, les born-again christians évangéliques sont loin de tirer toutes les ficelles du pouvoir washingtonien, dont le cœur leur échappe. Même le président Bush lui-même, dont les expressions de piété sont souvent prises pour argent comptant, est sans doute moins religieux qu’il en a l’air, et beaucoup plus politique qu’on ne l’imagine parfois (voir l’analyse, au chapitre 6, de son positionnement lors de l’affaire Karla Tucker, dont il a signé la condamnation à mort malgré les appels de Jean-Paul II et de Pat Robertson). À regarder de plus près, on se rend compte que la religion civile américaine aujourd’hui se colore d’un messianisme de plus en plus sécularisé où la société américaine s’invite dans le rôle du modèle millénariste jadis renvoyé à l’Autre monde.

L’hypothèse du néomessianisme

On observerait en somme une lente intramondanéisation de l’utopie de Salut, où l’Oncle Sam tend graduellement à remplacer le messie des chrétiens. L’Amérique ne se fantasme plus comme le meilleur serviteur d’un Jésus cosmique et vainqueur, elle se substitue purement et simplement à lui comme vecteur d’un salut mondialisé dont les fruits se dégustent ici et maintenant au cœur de la société états-unienne. Ce processus, dépasse la conjoncture courte: il n’a pas commencé au 11 septembre 2001. Il s’appuie sur deux dynamiques : une lente sécularisation de la société américaine, qui voit le déclin des utopies de salut traditionnelles (avec ce qu’elles comportent de relativisation du politique), et une globalisation accentuée qui projette les nouvelles variations de la religion civile non pas seulement à l’intérieur de la société américaine, mais en direction de la planète entière, notamment au travers du « cinéma de sécurité nationale » popularisé par l’industrie hollywoodienne. Le pivot de cette religion civile nouveau style est décrit dans le livre au travers d’un nouvel outil explicatif, le «néomessianisme». Ce vocable peut être discuté. Il a pour but de stimuler la réflexion et de mettre un nom sur ce qui paraît constituer une trait de plus en plus repérable de la culture et de la religion des Etats-Unis après la Guerre Froide : la tendance croissante à ériger l’American Way of Life en nouvelle figure d’un salut globalisé.

Plusieurs indices plaident en faveur de cette hypothèse lourde : le premier est l’emprise désormais bien connue des néo-conservateurs autour de Bush junior. Ces néo-cons très influents, nourris à l’école de Léo Strauss et d’Albert Wohlstetter, sont habités par une «foi» en l’Amérique qui n’a d’égal que leur détachement à l’égard de la religion traditionnelle. Alliés de circonstance avec les théoconservateurs (qui pèsent des millions de voix), ils sont philosophiquement très éloignés de ces derniers si l’on excepte un même désir de combattre le relativisme moral. Un autre indice tient dans le fait qu’alors même que la pratique religieuse décline lentement, la croyance patriotique n’a jamais été aussi élevée. Le lent recul des Églises d’un côté, et la montée du patriotisme de l’autre, suggère ce basculement vers un messianisme nouveau où le dieu monothéiste se confondrait de plus en plus avec l’Oncle Sam. On observe aussi que la religion civile n’est plus orchestrée au sommet, après 2001, par des religieux, comme le prédicateur Billy Graham, mais par G.W. Bush lui-même, qui s’est instauré en président-grand prêtre.

Le super-héros, figure sécularisée du messie

L’évolution du vocabulaire politique des faucons de la Maison Blanche constitue un autre indice. On a commencé par qualifier l’opération contre l’Afghanistan de Infinite Justice. Ensuite, David Frum et Richard Perle, faucons néo-conservateurs très influents, ont publié début 2004 un livre intitulé tout simplement : « une fin au mal » (An end to evil). Ce vocabulaire attribue à l’Oncle Sam des prérogatives réservées, en principe, au dieu monothéiste. L’inflation du thème de l’Amérique comme nouveau messie dans le grand cinéma hollywoodien doit aussi nous faire réfléchir. Dans nombre de blockbusters, on retrouve les mêmes ingrédients: les États-Unis comme microcosme du monde, dont la société est présentée comme un rêve millénariste assiégé par les forces du mal, jusqu’à l’arrivée du super-héros, métaphore de l’Oncle Sam, qui sauve finalement l’humanité. Enfin, la prospective des néoconservateurs tend à présenter explicitement les Etats-Unis comme un modèle universel, avatar sécularisé du «Royaume de Dieu» sur terre (Cf. le Project for a New American Century) Comme si les terriens du XXIe siècle n’avaient d’autre alternative que de se convertir au modèle états-unien.

La conclusion rappelle que l’évolution décrite n’a rien d’inéluctable. Elle s’inscrit par ailleurs dans un contexte politique qui reste celui d’une grande démocratie, à l’intérieur de laquelle de nombreuses voix s’élèvent pour faire barrage à l’inflation néomessianique. Enfin, l’Europe n’a aucune leçon à donner, elle qui est passée, au cours du XXe siècle, par deux néomessianismes politiques terriblements meurtriers, le stalinisme et le nazisme… Le lecteur aura compris qu’il n’est pas question d’un réquisitoire anti-américain, mais d’une analyse appelée à interpeler tous les démocrates épris de mesure, qu’ils soient américains, européens ou autres. Dieu bénisse l’Amérique est complété par un lexique (oublié dans la première impression, mais heureusement rajouté dans la seconde), un index et une bibliographie.


Recension du livre dans L’Humanité
Recension dans le magazine Lire (Marc Riglet)
Recension dans Le Temps (Antoine Bosshard)

Recensé sur France Culture
 

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Commentaires

  • Bonjour ! Où se procurer ce livre ?

  • Bonjour,

    Avez-vous des books reviews ou des recensions de cette ouvrage ?

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