Deux énormes enquêtes quantitatives sur les megachurches nord-américaines ont été conduites puis publiées en 2000 et en 2005-2006 par le Hartford Institute for Religion Research.
Dans le cadre de ma recherche actuelle sur les megachurches (Eglises géantes de plus de 2000 fidèles physiquement présents), ces données me sont précieuses. En voici une analyse très partielle, extraite du cours que j'ai donné en Sorbonne en 2005-2006. Vous trouverez ci-dessous des éléments de comparaison entre les données 2000 et 2005, ce qui permet d'apprécier les évolutions les plus récentes.
NB: mes excuses, chers internautes, pour le piètre rendu des tableaux ci-dessous. Ce n'est pas un brouillage volontaire exigé par mon futur éditeur! La vérité est que je n'arrive pas pour l'instant à dépasser cette limite technique sur mon blog.
Le premier enseignement qui ressort des données 2005 traitées par Scott Thumma est que le mouvement de développement des megachurches se poursuit à un rythme accéléré. Entre 2000 et 2005, l’année médiane de fondation des assemblées a bondit de neuf ans…. en cinq ans de temps seulement, ce qui indique que le rythme de création de nouvelles megachurches s’est nettement accru.
Cette croissance accélérée se vérifie si l’on considère les chiffres bruts, qui indiquent un quasi doublement du nombre des megachurches américaines en l’espace de cinq ans! Environ 650 en l’an 2000, elles sont passées à 1210 en 2005. Cette progression presque fulgurante est confirmée aussi par l’augmentation du nombre moyen des fidèles (3,585 fidèles pratiquants hebdomadaires en 2005, contre moins de 3,000 cinq ans plus tôt), et par l’évolution des finances, qui montre un enrichissement moyen assez spectaculaire (voir tableau ci-dessous). En seulement cinq années, le revenu moyen d’une megachurch américaine a augmenté de 28%, pour atteindre les 6 millions de dollars annuels.
La taille moyenne du sanctuaire, en revanche, tend nettement à baisser, en dépit de quelques sanctuaires colossaux comme celui de Lakewood Church à Houston (20.000 places assises, voir ci-contre). Comment comprendre cet apparent paradoxe, qui combine augmentation moyenne de l’assistance au culte, avec diminution de la taille moyenne du sanctuaire ? L’hypothèse explicative principale trouve sans doute sa source dans une demande croissante d’intimité. Les fidèles continueraient à plébisciter les megachurches pour leur offre religieuse diversifiée et leurs infrastructures performantes, mais se retrouveraient davantage dans des petits groupes, des salles secondaires, délaissant un sanctuaire principal trop massifié.
L’hypothèse d’une revendication croissante d’intimité de la part des membres paraît confirmée par l’augmentation significative, en l’espace de cinq ans, des réponses qui définissent la congrégation comme une famille rapprochée. On passe de 48 à 72%. La hausse est très significative d’une tendance forte, qui rend compte à la fois d’un constat, mais aussi d’une demande. L’heure est aux sociabilités chaleureuses et resserrées, dans une société productiviste et individualiste où les occasions de rencontre familiale, hormis la fête de Thanksgiving, sont assez peu fréquentes.
Les données ci-dessus indiquent aussi que la dynamique caritative reste plus que jamais vivace, puisqu’on note une augmentation de 15 points des répondants qui définissent leur megachurch comme au service de la justice sociale. Cette hausse ne signifie pas nécessairement que les megachurches en question aient accentué leur effort dans ce domaine, mais elle révèle néanmoins que pour près de la moitié des personnes interrogées, l’action sociale définit l’identité de leur église.
On observe aussi la persistance d’un niveau très élevé de réponse associant la megachurch à l’innovation, notamment sur le plan liturgique, cultuel et technologique. Le tableau ci-dessous illustre, sur le terrain de la musique religieuse, la poursuite de cette modernité technologique, emblématisée par le déclin du piano au profit de la guitare électrique, de la batterie et des écrans géants numériques.
La tendance lourde à la prise de distance vis-à-vis des appareils dénominationnels est par ailleurs confirmée, les dernières données disponibles montrant un recul supplémentaire des affiliations dénominationnelles. La megachurch type tend manifestement à une forme d’autogestion, préférant de plus en plus le modèle de la grosse PME indépendante à celle d’une filiale de grand conglomérat religieux.
Qu’en est-il de l’évolution des labels au travers desquels les responsables de megachurches définissent leur assemblée? De manière surprenante, on observe en cinq ans un déclin relatif de la mouvance pentecôtiste-charismatique (moins 3 points pour l’étiquette pentecôtiste, moins six points pour l’étiquette charismatique). Le cliché courant d’un raz-de-marée charismatique-pentecôtiste semble ici trouver un démenti sérieux. Le même recul s’observe pour les étiquettes «modéré» et «traditionnel» qui renvoient sans doute aux anciennes Églises établies, les mainline churches. En revanche, la nette progression de l’étiquette évangélique (+ huit points) confirme que c’est bien au sein du protestantisme évangélique non-charismatique que l’on repère aujourd’hui les principaux bataillons de la cause des megachurches.
Enfin, les dernières évolutions signalent aussi une tendance accrue à la professionnalisation des fonctions. Même si le bénévolat reste important, les megachurches américaines tendent à développer leur personnel salarié, à un rythme de croissance supérieur au rythme de croissance des effectifs moyens. Tandis que l’assistance moyenne a augmenté d’environ 17% en cinq ans, le nombre de responsables payés par la congrégation a augmenté de 65%. Cette évolution vers la professionnalisation est par ailleurs confirmée par une légère baisse du nombre des bénévoles (volunteers) impliqués au moins 5 heures par semaine dans le service d’église: d’une moyenne de 297 bénévoles par megachurch en l’an 2000, ils passent à une moyenne de 284 en 2005, alors que le nombre moyen de fidèles par église a pourtant augmenté dans l’intervalle.
Le pasteur s’avère par ailleurs de plus en plus éduqué… et de plus en plus jeune: 50 ans d’âge en moyenne en 2005, contre une moyenne d’âge de 70 ans pour un prêtre catholique français (1). Sur les rives américaines de l’Atlantique, le «temps des megachurches» rime avec la jeunesse et la modernité, tandis que sur les rives françaises, le bien révolu «temps des cathédrales» laisse aujourd’hui un goût de poussière, de nostalgie et de cheveux blancs.
(1) Si la tendance se poursuit, la moyenne d'âge devrait atteindre 72,5 ans en 2015.
Commentaires
A l'attention de Sebastien Fath
Bonjour
Il me plaît à titre personnel de faire de la prospective et dans ce que j'envisage, les mouvements protestants évangéliques ont une place pour le moins non-négligeable. Pour faire simple, je pense qu'il y a là à terme possiblement un mouvement d'unification des populations mondiales (à part peut-être les musulmans) autour de cette "religion", une unification pouvant possiblement prendre des formes très concrètes.
Ceci mis à part, j'aimerais vous soumettre plusieurs interrogations:
Y a t il selon vous des différences majeures entre les dénominations "évangélique", "pentecôtiste" et "charismatique"? Si oui, lesquelles? Ces différences tendent-elles à s'accroître ou à se réduire?
Avez-vous des données en ce qui concerne les megachurches en France? J'ai appris qu'il y en a une à Mulhouse, y en a t il d'autres? combien? où? fonctionnent-elles à l'américaine suivant ce qui est décris dans cet article?
Merci beaucoup pour les réponses que vous pourrez apporter à ces questions.
Cordialement
Réponse à tsionebreicruoc
Je vous renvoie à ma note générale qui définit ce que sont les évangéliques: http://blogdesebastienfath.hautetfort.com/archive/2006/04/12/les-evangeliques-c%E2%80%99est-quoi.html
En deux mots, les pentecôtistes sont généralement considérés comme faisant partie des évangéliques, mais ils centrent sur le Saint-Esprit plus que sur la doctrine. Quant aux charismatiques, ils sont proches des pentecôtistes mais avec un côté plus interconfessionnel et une définition plus large des charismes.
Sur les megachurches en France, il y a en a au moins trois, dont deux à Paris et une à Mulhouse effectivement (Porte Ouverte Chrétienne). Leur fonctionnement est en effet assez proche de ce qu'on observe aux Etats-Unis, sachant qu'il existe une diversité de fonctionnement aux Etats-Unis même (il n'y a pas UN modèle américain). J'en dirai plus dans ce blog... et dans un livre à paraître, dans quelques temps. Patience...