Le débat sur les sectes vous intéresse? Le New Age vous fascine? Deux chercheurs ont labouré pour vous ces champs à l'occasion des séances 3 et 4 du programme GSRL "Religions et religiosités minoritaires en ultra-modernité" pour l'année 2007-2008.
SEANCE 3. 17 décembre 2007: Etienne Ollion (doctorant, chargé de cours à l’Université de Chicago), est intervenu sur l’enjeu des sectes et le rôle des pouvoirs publics
Titre complet de son exposé: «Des hérésies religieuses aux manipulations mentales. Naissance de la ‘lutte contre les sectes’ en France, transformation du mode de dénonciation et rôle des pouvoirs publics».
L’objet de l’enquête conduite par Etienne Ollion est d’effectuer une sociohistoire de la structuration des oppositions anti-sectes, en France, avant même que l’on qualifie cette militance de lutte contre les sectes. Il faut rappeler à ce sujet qu’avant 1983-84, on ne parle pas de lutte contre les sectes.
Comment est né ce mouvement?
L’année 1974 est déterminante, avec la naissance de l’ADFI (rôle des époux Champollion), première et principale association de lutte pour la défense de la famille et de l’individu contre l’emprise jugée excessive des mouvements sectaires.
Après avoir décrit ce temps d’émergence, quelques années après l’inscription, en France, de mouvements comme Moon (1968) ou Krishna (1969), Etienne Ollion est passé dans un second temps de son exposé à un questionnement sur la mutation de la définition même de la secte entre 1974 et 1982.
D’un mode théologique à un mode humanitaire
En l’espace de moins de 10 ans, on est passé d’un mode théologique (la secte est un groupe qui a rompu avec l’Eglise, avec l’orthodoxie) à un mode humanitaire (la secte n’est pas le fruit d’une erreur religieuse, mais est un lieu où s’exercent des atteintes aux droits de l’homme). Le massacre de Guyana, le 18 novembre 1978 (900 morts), est entre temps passé par là. L’onde de choc de cet événement tragique a galvanisé la lutte anti-secte, confortée dans la dangerosité possible de groupes sectaires. A la fin 1978, il existe désormais en France un problème social des sectes.
Avec la création, en octobre 1981, du CCMM par Roger Ikor (ci-contre) suite au décès de son fils, adepte du Zen macrobiotique, la lutte contre les sectes devient une cause consensuelle qui dépasse le clivage Droite-Gauche. Précédemment considérée comme une cause de Droite (portée par l’ADFI), la lutte antisecte touche tous les milieux politiques.
Dans le même temps, le terme de secte devient de plus en plus péjoratif. Au départ, il est surtout un terme descriptif, qui ne contient pas forcément une charge négative. Alain Vivien déclarait par exemple, en décembre 1978: «sur les quelques 240 sectes qui existent en France, la plupart sont honorables, mais il y a aussi des fous dangereux».
Quelques années plus tard, le terme de secte devient plus nettement négatif. Les associations vont réinvestir le terme «secte», le retravailler, de manière à donner une nouvelle définition de la secte.
Un travail de sécularisation de la secte, en somme. Un tract ADFI, à la fin des années 1970, souligne par exemple: « sous couvert de religion, quelques sectes abusives ne sont, en fait que des associations financières ou politiques dont les activités lèsent gravement la liberté individuelle ».
La secte sort donc du champ religieux, pour devenir essentiellement une menace pour les libertés. Elle ne pose plus une question de régulation interne du religieux, mais elle pose question aux Droits de l’Homme. Symptôme de cette évolution, l’évolution de la définition du dictionnaire Robert:
En 1975, la secte est «un groupe organisé de personnes qui ont la même doctrine au sein d’une religion, ou une branche schismatique».
En 1993, la définition est devenue : une «communauté fermée d’intention spiritualiste, où des guides, des maîtres exercent souvent un pouvoir absolu sur les membres».
Après s’être interrogé sur d’un renouveau du registre de l’hérésie religieuse, puis sur les frontières de l’emprise, Etienne Ollion a conclu sur «l’extension du domaine de la lutte» antisectes, où l’enjeu devient, à partir de 1982, une affaire d’Etat, tout en soulignant le caractère non linaire de cette évolution.
On pourra ajouter que les difficultés actuelles du mouvement antisectes à se renouveler, et la volonté gouvernementale de marquer un virage dans son traitement du fait sectaire, confirment en effet qu'en matière de lutte anti-sectes comme ailleurs, les choses bougent, ce qui nourrira le débat 2008 sur la laïcité.
SEANCE 4. 10 janvier 2008: Matthew Wood (Queen’s University, Belfast) est intervenu sur les réseaux New Age
Le 10 janvier 2008, devant un auditoire de 13 personnes, , post-doctorant de la Queen’s University de Belfast, a présenté en anglais un exposé très stimulant qui porte sur sa thèse, publiée sous le titre Possession, Power and the New Age: Ambiguities of Authority in Neoliberal Societies (2007, Aldershot: Ashgate).
Sur la base d’une observation participante, il a mené une enquêté étalée sur 4 ans, entre 1992 et 1996, au sein d’un réseau d’individus (33 personnes, si l’on en croit le digramme distribué).
Ces individus sont structurés autour d’événements, de groupes de méditation, de guérison, de divination, entrecroisant anthroposophie, paganisme et offres spiritualistes.
Ils n’ont pas forcément tous des relations les uns avec les autres, mais par le jeu des appartenances multiples, une circulation par affinités opère entre des individus peu marqués par le conflit, où les enjeux de pouvoir (et les enjeux d’argent) sont très réduits.
Ce réseau, qu’on caractérisera, faute de mieux, comme de type New Age, Matthew Wood le désigne comme le «réseau Nottinghamshire». A partir de ce terrain particulier, Matthew Wood a tiré plusieurs conclusions très stimulantes, appuyé sur des références théoriques très solides (dont l’apport bourdieusien des logiques de champ, utilisé ici avec discernement) . On ne les pointera pas toute ici, se contentant de trois d’entre-elles.
Premier apport, la relativisation critique de la distinction entre religion et spiritualité, si à la mode dans les pays occidentaux. La religion serait du côté de l’institué, du normatif, de la contrainte collective, alors que la spiritualité serait du côté de l’itinéraire, de la liberté, de la subjectivité.
Matthew Wood rappelle que le terrain dit «New Age» ne relève pas nécessairement de la «spiritualité», dans le sens où le normatif y existe aussi (et même très fortement, notamment dans les mouvements païens) Par ailleurs, il souligne que l’accent sur le self et l’intersubjectivité n’annule pas forcément la notion d’autorité. En d’autres termes, ce qu’on appelle un peu facilement «spiritualité» peut fort bien relever de la «religion».
Second apport, l’idée que les acteurs étudiés font partie d’un champ religieux spécifique, mais qu’ils ne jouent pas forcément la règle du jeu de ce champ.
Qu’est-ce que cela veut dire? Cela signifie que les appartenances multiples des individus relativisent les logiques de conformité, développant une identité que Matthew Wood qualifie de «non-formative», c’est-à-dire peu structurante.
Troisième apport, l’idée que l’appartenance à ce type de réseau dénote une sécularisation, mais une sécularisation partielle.
Le développement de ce type de réseau témoigne d’une sécularisation, parce que les individus étudiés ont tous un arrière-plan religieux chrétien (principalement de type Church of England) , qu’ils quittent pour un environnement moins contraignant, où la transmission générationnelle est très faible.
Mais la sécularisation n’est que partielle, car l’implication dans ce type de réseau reste bien de nature religieuse.