L'historien Pierre Chaunu, spécialiste (entre autres) du protestantisme, nous a quittés la semaine dernière à l'âge de 86 ans.
Le Monde, sous la plume de Philippe-Jean Catinchi, lui a consacré une notice équilibrée, tout comme Emmanuelle Giuliani dans La Croix, ou Jean-Dominique Merchet dans Libération.
Je n'ai pas souvent croisé Pierre Chaunu personnellement. Mais je l'ai beaucoup lu.
Une puissance de synthèse exceptionnelle
C'était un historien d'une puissance de synthèse exceptionnelle, qui parlait franc, qui parlait haut, qui voyait large.
Quand je suis entré par la pointe des pieds dans le paysage des historiens du protestantisme français, ils faisait partie de ces rares figures tutélaires qui dominait la scène et brassait les siècles du haut de sa longue expérience et de ses nombreux livres.
C'est un des historiens que j'ai profondément admiré par son souci des données, son art consommé de l'administration de la preuve, sa culture historique prodigieuse, sa passion pour ses semblables (difficile de bien faire de l'Histoire si on n'aime pas les gens), sa perception panoramique de la durée, son sens exceptionnel de la synthèse...
Sans oublier son art du contrepied, lorsqu'il souligne, par exemple, que "les sociétés de loisir sont derrière nous", au motif que l'Amérique pré-colombienne consacrait 4 fois moins de temps que la Chrétienté à la production de la nourriture!
Pratique de l'histoire et réflexion sur les valeurs
Je ne l'ai pas toujours suivi, ai parfois déploré que certaines outrances décrédibilisent inutilement l'exceptionnel apport de son travail d'historien quantitativiste. Pierre Chaunu pouvait être outrancier et très contestable (je pense en particulier à son anti-républicanisme pathologique).
Il prenait des risques, quitte à parfois oublier un peu... beaucoup le nécessaire agnosticisme méthodologique qui doit présider à toute bonne recherche historique.
Mais il n'était jamais étroit ou petit, et sa force de pensée et sa générosité invitaient à lui pardonner ses excès.
Qu'on soit d'accord ou non, ses livres donnent toujours "à penser", invitent à se situer, à réagir, à bouger, car Pierre Chaunu était de ceux qui refusent de dissocier la pratique de l'Histoire de la réflexion sur les valeurs.
Sensibilités de la Réforme
Pierre Chaunu était un vrai anti-conformiste, un intellectuel de haute volée, capable, sur le champ du protestantisme moderne (XVIe-XVIIIe siècle), d'apprécier sans réductionnisme toutes les sensibilités de la Réforme, sans tomber, comme certains, dans la mesquinerie, le conformisme de notable ou les facilités de l'air du temps.
Spécialiste d'histoire sociale et sérielle, féru de démographie, passionné par le protestantisme qu'il avait rejoint (Pierre Chaunu était Lorrain et catholique d'origine), il laisse une oeuvre puissante qui parle pour lui.
S'il ne fallait citer qu'un ouvrage (parmi les dizaines qu'il a signés!) je retiendrais quant à moi L'aventure de la Réforme, le monde de Jean Calvin (Hermé, 1986, réed. 1992), un livre collectif richement illustré qu'il a magistralement dirigé et qui reste, à mes yeux, comme un des meilleurs bouquets d'articles jamais écrits pour expliquer l'affirmation du protestantisme en Europe au XVIe et XVIIe siècle.
Il y décrit cette "Europe moderne, dynamique, lisante et écrivante" (ed. 1992, p.137) avec, en creux, l'angoisse du contemporain confronté à une Europe en proie à la dénatalité, et où l'espérance (que Chaunu articule à la dimension religieuse) lui semble en berne.
"L'Eternel n'aime pas les clones" (Chaunu)
La dernière fois que j'ai croisé personnellement Chaunu est en 2002.
Pierre Chaunu avait alors 77 ans, et participait à une table ronde sur l'historiographie, à l'occasion des 150 ans de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français.
J'avais eu le privilège d'assister et de transcrire, pour le Bulletin de la SHPF, le contenu des échanges.
Une phrase, typiquement protestante, m'avait notamment frappé: "l'Eternel n'aime pas les clones"...
Je pense que la SHPF ne verra pas d'inconvénient à ce que je vous propose en libre accès, chers internautes, le script des notes que j'avais prises à cette table ronde, notes publiées dans le BSHPF d'octobre-décembre 2002 (qu'il est toujours possible de commander!).
Télécharger le CR de la table ronde Chaunu 2002
Commentaires
Pierre Chaunu était certes de droite mais non conformiste. Il avait raconté que dans une manifestation contre l'avortement il avait entendu crier à bas les météques ! Il avait alors proposé de crier " A bas Blanche de Castille " qui n'avait pas
des origines germaniques ! Silence dans les rangs de la manifestation ! Il est un des intellectuels protestants les plus importants de ces 50 derniéres années avec Jacques Ellul et Jean
Carbonnier des personnes non conformistes également.
Merci pour cette évocation Patrick.
L'épisode que vous narrez reflète très bien ce qu'était Pierre Chaunu. "Non conformiste" il était en effet, d'où notamment son ouverture vis-à-vis des différentes orientations de la Réforme.
Sébastien, c'est hors sujet, mais j'ai trouvé la vidéo suivante, peut-être que tu l'as déjà vue...
http://blog.sojo.net/2009/10/30/video-jesus-camp-kids-pray-for-president-obama/