Le fait religieux s'inscrit plus que jamais dans des dynamiques transnationales. Comment étudier le protestantisme français en ignorant ce qui se passe en Suisse?
Et réciproquement!
Encore faut-il, pour parvenir à décrypter ces liens, disposer de partenaires scientifiques et de relais permettant l'échange de données.
Dans le cas helvétique, le principal d'entre-eux (mais pas le seul) s'intitule l'Observatoire des Religions en Suisse (ORS), basé à Lausanne.
Conduit actuellement par Jorg Stölz (ci-contre) après avoir été inauguré en décembre 1999, alors lancé par Roland Campiche, il coordonne l'activité de plusieurs chercheurs dynamiques et compétents spécialisés dans l'étude du fait religieux, parmi lesquels Laurent Amiotte-Suchet, chercheur associé au GSRL, revu avec grand plaisir à Paris lors du récent colloque de l'AFSR.
L'ORS dispose d'un site internet qui vaut le détour: Observatoire des Religions en Suisse.
Un institut de recherche basé à l'Université de Lausanne
Le statut de l'ORS, installé à l'Université de Lausanne, est le suivant: il s'agit d'un institut de recherche, voué en priorité à une mission de diffusion et d'information auprès du grand public.
Pour avoir eu l'occasion, l'année passée, d'une rencontre approfondie avec l'équipe de l'ORS, je peux témoigner de l'efficacité remarquable de l'équipe conduite par Jörg Stolz.
Son actualité scientifique, marquée récemment par la brillante soutenance de thèse de l'un de ses membres, Christophe Monnot (ci-contre), s'adosse à plusieurs opérations de recherche dont bien des équipes françaises (dont la mienne) gagneraient à s'inspirer.
Enquête quantitative sur les lieux de culte
Un seul exemple? La vaste enquête quantitative conduite par l'ORS sur les lieux de culte en Suisse. Elle s'inspire du périmètre et de la méthodologie d'une enquête américaine intitulée Congregations in Switzerland and the USA conduite par Mark Chaves (Duke University).
60% des questions sont identiques avec celles posées dans l'enquête américaine. Le reste est procède d'adaptations au contexte Suisse. Financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNSRS), l'enquête a débuté en juillet 2007.
Au cours d'une première phase, il s'est agi de recenser toutes les communautés religieuses présentes en Suisse, et de décrire ce qu'elles offrent.
L'équipe de l'ORS s'est appuyée pour cela sur la définition d'une communauté religieuse proposée par Chaves, à savoir un collectif qui n'est pas exclusivement constitué de spécialistes religieux, et qui se caractérise par la régularité des réunions religieuses, avec continuité de temps. On ne dévoilera pas ici tous les résultats, appelés naturellement à faire l'objet de publications scientifiques.
5734 communautés religieuses en Suisse aujourd'hui
Soulignons seulement que l'ORS a été en mesure de recenser 5734 communautés à l'échelle de la Suisse, dont 17% de communautés non-chrétiennes et 83% de communautés chrétiennes. Le montant est assez considérable. En effet, les Etats-Unis (pays traditionnellement très religieux) comptent 10 communautés religieuses pour 10.000 habitants, tandis que la Suisse compte 7,5 communautés pour 10.000 habitants.
Une proportion un peu plus faible qu'aux Etats-Unis, mais néanmoins nettement supérieure à ce que l'on peut observer en France ou en Belgique, par exemple.
Une communauté religieuse sur quatre est évangélique
Le spécialiste du protestantisme notera par ailleurs la très forte proportion de communautés évangéliques: 24,8% des communautés recensées sont évangéliques (contre 30,5% de catholiques et 19% de réformées).
Mais le montant catholique inclut des paroisses qui ne proposent pas de messe hebdomadaire, si bien qu'en matière de communautés réunies chaque semaine, les protestants évangéliques suisses apparaissent aujourd'hui en tête du peloton religieux suisse.
Ces données étonnantes, mais fiables (elles n'émanent pas d'un simple sondage, mais d'une étude quantitative) invitent à relativiser très fortement les données de l'Office l'Office Fédéral Statistique, qui ne pensait recenser, avant cette enquête, que 1,5% de communautés évangéliques!! On mesure, par cet écart, l'énorme valeur ajoutée d'une enquête quantitative rigoureuse telle que l'a conduite l'ORS.
La raison principale de la distorsion est liée au fait que l'Office Fédéral Statistique n'utilisait pas (jusque là?) la catégorie "évangélique", invitant à cocher "autre".... ce qui a conduit, jusqu'à cette enquête, à une énorme sous-estimation du poids réel des protestants évangéliques suisses.
Seconde phase par échantillonnage de 1000 communautés
Une seconde phase de cette impressionnante enquête quantitative a consisté à travailler de manière plus qualitative, à partir d'un échantillonnage de 1000 communautés choisies.
Un travail très considérable qui a permis d'observer, par exemple, que les femmes sont plus représentées dans les communautés non-chrétiennes que dans les communautés chrétiennes, ou que l'inter-religieux est bien plus développé en Suisse qu'aux Etats-Unis...
On appréciera l'ampleur exceptionnelle de cette enquête quantitative. La France ne dispose d'aucun équivalent, même partiel. Est-ce en raison d'une population totale bien plus importante que la population helvétique?
Enquête qualitative sur la transmission identitaire évangélique
Last but not least, à suivre aussi avec intérêt les développements et publications d'une autre enquête de moindre ampleur, de nature qualitative (basée sur 40 entretiens approfondis).
Dirigée par Jörg Stolz et Olivier Favre (auteur d'une synthèse sur les évangéliques suisses, cf. ci-contre), elle mobilise une équipe composée également de Caroline Gachet, Andrea Niederhauser, Emmanuelle Buchard, Markus Naef-Egli.
Intitulée Evangelical Identity Project (EIP), elle vise à étudier les processus de construction et de transmission d'une identité religieuse au sein des milieux évangéliques helvétiques.
Il reste à attendre, avec impatience, la publication de l'ensemble des enquêtes finalisées ou en cours, tout en souhaitant "tout de bon" (comme disent les Suisses) à cette équipe qui contribue si bien à élargir la crédibilité et l'expertise des travaux de sciences sociales consacrés aux religions francophones.
Commentaires
Cher Monsieur Fath,
Merci pour cette information très intéressante.
Merci pour votre Blog informatif et de qualité.
Bien cordialement,
Alexandre Fischer
Bonjour !
Est-ce que le rapport mentionné existe en Français?
Je veux faire un résumé pour le journal de notre église.
Suis bi-lingue mais ce serait plus facile en Fr.
Schlussbericht PNR 58 29 mars 2011, 40 pages
http://www.nfp58.ch/files/news/106_Schlussbericht__Stolz.pdf
Tous les résultats des différentes enquêtes sur la religion en Suisse (Programme nationale de recherche 58) sont (pour celles déjà disponibles) ou seront pour les autres se trouvent ici:
en français: http://www.pnr58.ch/f_kommunikation_publikationen_projektpublikationen.cfm
en allemand: http://www.pnr58.ch/d_kommunikation_publikationen_projektpublikationen.cfm
en anglais:http://www.pnr58.ch/e_kommunikation_publikationen_projektpublikationen.cfm
Merci beaucoup Christophe d'avoir pris la peine de poster ces liens très utiles!