Ralentir, C'est le thème phare du numéro de l'excellente revue Sciences Humaines de ce mois-ci (juin 2012) : "Peut-on ralentir le temps ?"
Coordonné par Christophe Rymarski, ce dossier particulièrement réussi décline une valse à quatre temps.... quatre articles ponctués d'encadrés (Slow Science, Slow Food, Slow Education, Slow City...).
On notera que ce thème est à la mode: l'an dernier déjà à pareille époque (juin 2011), Psychologie Magazine, sur un mode plus superficiel, avait consacré un gros dossier au thème "Ralentir".
Ces réflexions, étayées par une bibliographie spécialisée aussi abondante que (souvent) pertinente, m'inspirent une réaction à deux niveaux.
D'abord, au plan personnel du chercheur, je puis témoigner de l'impact destructeur depuis 15 ans, sur nos pratiques professionnelles, de "l'accélération du temps" induite (entre autres) par la Révolution numérique. Et avec Titus Holliday, je dis oui, oui, oui, il est urgent de "ralentir pour accélérer la recherche" (p.38 de SH de juin 2012).
Car sans temps libre pour lire, pour réfléchir et prendre du recul, on devient un rouage conformiste, que ce soit dans les machineries de la recherche fléchée par Bruxelles ou les mécanismes d'évaluation néo-tayloristes qui formatent la production d'idées comme on calibre les crotins de chèvre.
Le temps religieux, un temps ralenti?
Ensuite, au plan scientifique des terrains que j'étudie (religion et laïcité), je me demande si l'on ne pourrait pas faire l'hypothèse suivante: et si le retour en grâce (relatif) de la religion chez les moins de 35 ans, en Europe et en France, n'était pas dû précisément au besoin de ralentir?
A l'inverse des interprétations aussi branchouilles que farfelues qui, il y a encore une dizaine d'années, décrivaient, par exemple, l'évangélisme comme une "fast religion" (ce qui sonnait bien, comme "fast food", suivez mon regard), la conversion et la pratique religieuse fonctionneraient en réalité comme un ralentisseur.
La découverte d'un temps présumé "gratuit", où l'on s'asseoit pendant une, deux, trois voire quatre heures à écouter, lire, chanter, sans injonction de productivité.
Au magazine Time, Bill Gates avait déclaré en 1997 : "juste en matière de rentabilité horaire, la religion n'est pas très efficace. Il a beaucoup de choses plus productives que je pourrais faire le dimanche matin (que d'aller) à l'église" (""Just in terms of allocation of time resources, religion is not very efficient," he explains. "There's a lot more I could be doing on a Sunday morning.")
Et si les raisons qui conduisent Bill Gates à déserter l'église étaient précisément les raisons qui ramenaient certains à l'église aujourd'hui?
Un temps "ralenti", débarassé des injonctions productivistes et de la tyrannie de la rentabilité.
Une hypothèse à creuser.