Vous vous souvenez, vous, de grandes festivités nationales à l’occasion des 100 ans de la loi de 1905? Ne cherchez pas, il n’y a rien eu. Niet, nada, peanuts. En-dehors des ribambelles de colloques subventionnés par les collectivités locales et l’Etat, pas grand chose à se mettre sous la dent. Rien à voir avec le mémorable défilé Goude sur les Champs-Elysées à l’occasion des 200 ans de la Révolution. Pour Villepin et Chirac, la laïcité ne valait pas une grande fête. On s’est limité, comme l’écrit très bien mon collègue Jean Baubérot, à une «célébration aseptisée du Centenaire».
Le thème laïque est pourtant utilisé, voire instrumentalisé chaque fois qu’il le faut. Ainsi, face à Sarkozy soupçonné de s’américaniser, le président et son Premier Ministre ne sont pas les derniers à se donner des airs de grands républicains. Nul doute qu’à la sortie imminente du rapport de la Commission Jean-Pierre Machelon diligenté par Nicolas Sarkozy pour examiner la loi de 1905, Monsieur de Villepin rejouera la pose du laïque pur et dur pour enterrer vite fait les éventuelles propositions faites. Mais y a-t-il là autre chose que de la politique politicienne ? On peut en douter. Si Chirac et Villepin étaient les grands laïques français qu’ils prétendent être, pourquoi avoir snobé à ce point l’anniversaire de 1905??
On peut d’autant plus s’interroger qu’en parallèle, Villepin comme le Président aiment les commémorations. Mais pas n’importe lesquelles. Si 1905 ne les a pas inspirés, révélant un impensé moins républicain qu’il en a l’air, 1608 les fait beaucoup plus fantasmer. 1608, c’est quoi? Mais c’est la fondation du Québec bien-sûr! La nouvelle est passée un peu inaperçue en France, mais il faut savoir qu’au Québec, elle a fait les gros titres cette semaine: la France veut que les fêtes des 400 ans du Québec soient «exceptionnelles» (Presse Canadienne, 6 juillet 2006). Lors de sa visite à Paris cette semaine, le premier ministre Jean Charest a été stupéfait de l’enthousiasme du gouvernement français pour cet anniversaire. Qui le président a-t-il nommé pour le comité d’organisation français de l’anniversaire québécois de 2008 ? L’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin en personne. Sur le perron de Matignon, Dominique de Villepin n’a pas manqué d’ajouter, avec le lyrisme qu’on lui connaît, qu’il s’agissait d’un «événement exceptionnel».
A tel point que le premier ministre québécois s’est visiblement trouvé débordé par l’enthousiasme de la mère patrie. «Il est très ambitieux, Jean-Pierre, a-t-il lancé. Il nous a fait un plan de travail qui va nous forcer du côté québécois à répondre». Comme au bon vieux temps où la France dictait ses priorités au Québec? Autant je crois nécessaire de soutenir la francophonie, autant je trouve déplacé que la France dicte le ton d'un anniversaire québécois qui devrait d'abord et avant tout être l'affaire, et l'initiative, des Québécois eux-mêmes. Au-delà du légitime plaisir qu’il peut y avoir à se réjouir avec nos amis québécois de leur temps des origines, je m’interroge. D’un côté, une laïcité clamée, mais honteusement négligée en tant que moment fondateur du pays. De l’autre, un impérialisme français passé de mode, mais qui ressort en catimini à l’occasion d’un événement québécois…. Cette histoire croisée de l’anniversaire trop manqué et de l’anniversaire trop marqué évoque à mes yeux un retour du refoulé. Derrière les discours de façade, la manière dont sont gérés ces anniversaires par le clan Chirac en dit long: voilà de vrais-faux laïques finalement beaucoup moins républicains qu’ils ne le clament, mais qui se révèlent, en revanche, d’indécrottables héraults d’un Empire français révolu. Ce n’est pas avec de tels conducteurs que la France d’aujourd’hui ira de l’avant.
Commentaires
Quel dommage, en effet, que notre République n'ait pas célébré comme il se doit le centenaire de la loi de 1905.
Mais ne serait ce pas parcequ'au fond, la laicité n'est pas encore entrée dans les moeurs. Les disparités de traitement entre les différentes confessions sur notre territoire sont bien réelles. Pas forcément très laique.