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Quand Ingrid et Nathalie répondent à Benoît

medium_images-3.3.jpgVu les réactions à ma note précédente (sur mon blog ET sur mon courriel), je voudrais préciser ici quelques points. D’abord un préalable: je persiste et signe, je ne laisserai jamais dire que l’islam se résume à une religion violente. On ne peut pas laisser passer cela, car c’est faux, et source d’intolérance active. Je crains qu'en France et ailleurs, certains supporters d’occasion de Benoît XVI se laissent entraîner par de tels sentiments, alors je dis STOP. Ce n’est pas juste. La grande majorité des musulmans, et des prêches musulmans, n’appellent pas à la violence, gare aux effets de loupe médiatique. Je ne dirai jamais non plus que l’islam se réduit à une religion de paix. Comme je l’ai indiqué, l’islam contient les deux, paix et violence, comme toutes les religions.

Cela ne veut pas forcément dire que toutes les religions contiennent ces deux éléments (paix et violence) dans les mêmes proportions. Les textes fondateurs ne disent pas les mêmes choses, les contextes, eux-aussi, sont variables. Il y a là matière à débat, je l’accorde volontiers. Mais en évitant de jeter un anathème global sur une religion qui, malgré les dérapages dramatiques de nombre d’islamistes, mérite le respect, ne serait-ce (entre autres) que pour sa force civilisationnelle, que ce soit dans le domaine des mathématiques, de la médecine, de la cuisine, de l’art, de la spiritualité etc.

medium_images-2.4.jpg Pour éclairer un peu ce débat, j’aimerais évoquer ici la réponse faite par Ingrid Mattson à Benoît XVI. Qui est Ingrid Mattson? C’est une Canadienne, donc une occidentale, catholique d'origine devenue athée, qui s’est convertie à l’islam en 1987. Elle a depuis cheminé, étudié, jusqu’à devenir récemment présidente du principal réseau musulman nord-américain, la Société Islamique d’Amérique du Nord (fondée en 1963). Professeur d’études musulmanes et de relations islamo-chrétiennes au Hartford Seminary, elle donne un avis éclairé sur le discours du pape. Il est présenté par David van Biema dans l’édition de cette semaine de Time Magazine.

Ce qui en ressort? Eh bien, la citation de Manuel II Paléologue n’est pas un simple dérapage fortuit. Dans une autre partie du discours, le pape des catholiques cite Ibn Hazm, un théologien musulman du XIe siècle, partisan d’un Dieu imprévisible, capable de ne pas respecter sa propre parole. Un Dieu irrationnel en somme. Suivez mon regard…. Le pape Benoît XVI entend ainsi pointer du doigt un divorce préoccupant, en islam, entre foi et raison, source d’après-lui de violence. La réponse d’Ingrid Mattson est éclairante. Elle souligne en effet que cet Ibn Hazm est un penseur musulman très marginal, qui n’a pas fait école, et qui n’est aucunement représentatif du courant majoritaire de l’islam, qui a au contraire généralement valorisé un rapport fécond à la raison, dans un dialogue avec la révélation scripturaire.

C’est comme si un théologien musulman, pour provoquer avec les chrétiens un «dialogue franc et sincère» (dixit Benoît XVI), citait Arnaud Amaury, le légat du pape devant Béziers, auteur du fameux «Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens» (1209). Les chrétiens se sentiraient outragés. C’est exactement ce que ressentent les musulmans aujourd’hui, et à raison.

Je voudrais par ailleurs souligner, sur le fond, que même en oubliant son dérapage, la démonstration du pape n’a rien de convainquant. Contrairement à ce qu’il affirme, le lien foi-raison n’est pas une garantie contre la violence. Se souvient-il des Deutsche Christen, chrétiens allemands très rationnels qui ont appuyé Hitler? Et ont encouragé les nazis (qui étaient plus que la «bande de criminels» décrite un peu vite par Benoît XVI à Auchwitz le 28 mai 2006) aux pires horreurs. L’Inquisition elle-aussi était très rationnelle! La raison n'est nullement une garantie absolue de pacifisme ou d'équilibre. avec son sens des formules excessives, le réformateur Martin Luther disait de la raison qu'elle peut être la "putain du diable"...

medium_images-1.5.jpgJe préfère les excellents rappels proposés cette semaine, dans l’hebdomadaire Réforme, par Nathalie Leenhardt et Jean-Daniel Causse, qui soulignent à partir de la tradition chrétienne, que la foi telle qu'elle est décrite dans le Nouveau Testament s'accompagne d'une part de folie. Dans un édito remarquable, Nathalie Leenhardt observe qu’en mélangeant trop vite raison scientifique et foi, les «pseudo-synthèses» qui en résultent font se dresser la figure du maître je-sais-tout, figure qui peut conduire aux pires intolérances, comme le Moyen-Âge scolastique, pourchasseur d’hérétiques, nous le rappelle.

 

Je termine par un post-scriptum qui va de soi (mais c'est mieux en le disant): la bourde papale ne justifie évidemment en rien les violences, limitées mais scandaleuses, qui ont répondu au dérapage du pape. Carton rouge à ces fanatiques bornés qui n’ont rien compris!!

Commentaires

  • Merci pour ces éléments fort intéressants. L'un des problèmes, c'est que dès lors que des islamistes produisent des actions violentes ou des menaces, il devient difficile de faire entendre autre chose que "soyons solidaire contre les islamistes". Or c'est une façon de les faire gagner, puisqu'ils posent ainsi eux-même les termes du débats. Ca rappelle le fonctionnement des "adversaires complices" selon Bourdieu, complice de l'éviction de tout point de vue tiers. Merci donc de maintenir cette ligne difficile aujourd'hui, comme vous dites hors de l'apologie de l'Islam et hors de sa critique haineuse.

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