Les médias se sont largement fait l'écho d'une émission de télé-réalité, dite "Jeu de la mort", diffusée ce soir sur France 2 en prime time.
A raison!
L'émission, intitulée "Zone Xtrême", fait froid dans le dos: elle montre des candidats, encouragés et conditionnés par l'animatrice vedette du jeu télévisé, capable d'envoyer des décharges électriques épouvantables à un cobaye.... Jusqu'à la mort.
Heureusement, il s'agit de fausses décharges, d'une fausse mort présumée, et le cobaye est un acteur. Mais les candidats, eux, ne le savent pas!
81% des candidats iront jusqu'au bout, à savoir l'envoi d'une décharge de 460 volts...
Conclusion: sous la coupe d'une autorité supérieure, d'un "pape" ou d'une "papesse cathodique" sanctifiés par les caméras, un individu est capable de perdre tout discernement, et de basculer, sourire aux lèvres, dans la barbarie.
Christophe Nick, petit fils d'évangéliste protestant
Ma spécialisation sur le protestantisme m'invite à souligner un détail qui aura échappé à beaucoup, y compris à Wikipedia: le réalisateur du "faux" jeu télévisé de ce soir n'est autre qu'un petit-fils de pasteur.
Et pas de n'importe quel pasteur! Christophe Nick, interviewé dans le magazine Technikart de ce mois de mars, est le petit-fils d'un célèbre évangéliste protestant, à savoir Henri Nick (1868-1954).
Hasard? Pas seulement.
Né en 1958, l'année de la mort de son grand-père (reconnu "Juste parmi les nations" par l'institut Yad Vachem), Christophe Nick aborde explicitement ses origines protestantes dans l'interview qu'il a accordée à Technikart (mars 2010, p.48 à 52).
1/ Il affirme (p.50): "Tout ça tient de mon éducation protestante. J'ai été éduqué dans l'idée du devoir à accomplir". Le protestantisme nourrirait donc le sens de la vocation et l'éthique de l'engagement, écho des thèses webériennes? Peut-être.
2/ Une autre filiation est suggérée par ce commentaire de Technikart, que je cite tel quel: "Son grand-père, un pasteur rouge, 'haute figure du christianisme social', a sans doute pas mal influé sur le cerveau du jeune Christophe" (p.50).
Henri Nick était effectivement une figure de proue d'un christianisme social en version protestante: il était un grand praticien, plus qu'un théoricien, de ce courant théologique fécond et divers qui a été notamment étudié par Jean Baubérot, au travers d'une analyse du périodique L'Avant Garde (ouvrage réédité chez L'Harmattan l'an dernier).
3/ Compte-tenu du fait que le pasteur Henri Nick, aïeul du réalisateur, nourrissait aussi de fortes convictions évangéliques (à la fin de sa vie, il a fait du Foyer du Peuple, qu'il avait créé, une assemblée évangélique indépendante), j'ajouterais une dernière influence hypothétique, liée au fait que l'évangélisme a longtemps cultivé une très grande méfiance pour les structures d'autorité verticale.
Cette méfiance reste en partie d'actualité, même si ce trait "anar" et anti-autoritaire est moins répandu aujourd'hui chez les évangéliques, notamment dans certains milieux charismatiques où le "pasteur qui bosse" est aussi le "pasteur boss" (patron à poigne).
Au terme de ces trois hypothèses, on peut se demander si, dans l'héritage protestant, chrétien-social et évangélique qui a marqué l'enfance, et l'ascendance de Christophe Nick, il n'en est pas resté quelque chose dans ce souci passionné de dénoncer les dérives des autoritarismes new wave.
Commentaires
Christophe Nick sera à La Maison verte - paroisse de La Mission populaire dont son grand père était proche ! - le 20 mai à 19h30 pour un débat après la projection de son documentaire. Il y aura aussi quelqu'un de la Cimade et d'autres intervenants...
Merci beaucoup Stéphane pour l'info.
Une fois n'est pas coutume (je regarde très peu la télé), je viens de suivre le "Jeu de la mort" et les débats qui ont suivi (avec C.Hondelatte, triste sire qui s'est distingué par son autoritarisme et ses pressions pendant le débat, tout cela coupé au montage:http://www.20minutes.fr/article/391594/A-la-Une-Jeu-de-la-mort-Christophe-Hondelatte-s-en-prend-a-Alexandre-Lacroix.php ).
J'en suis encore tout secoué.... (sans jeu de mot).
Complément: pour ceux qui cherchent la Maison Verte, cliquer ici: http://blog.lamaisonverte.org/
Petite précision pratique : dans votre réponse, M. Fath, il faut mettre un espace à la fin de l'URL, ensuite seulement la parenthèse et le point. L'URL est : http://www.20minutes.fr/article/391594/A-la-Une-Jeu-de-la-mort-Christophe-Hondelatte-s-en-prend-a-Alexandre-Lacroix.php , sinon le lien ne fonctionne pas.
Concernant les journalistes ou les animateurs de télé, il est vrai que certains ce croient tout permis !
Ce genre d' "expérience" a déjà eu lieu aux USA, il y a plusieurs années, dans le cadre d'études psychologiques sur le conditionnement des individus, et non comme "jeu" télévisé... là aussi le "cobaye" était un acteur et faisait semblant de recevoir des décharges de plus en plus fortes ; les "bourreaux" ( qui eux n'étaient pas au courant que c'était "bidonné" pour les besoins de l'expérience ) devaient poser des questions sur différentes choses au cobaye, et , à chaque réponse fausse le "cobaye" devait être "puni" par une décharge électrique de plus en plus forte .. et beaucoup ont accepté de le faire ( mais je ne me souviens plus si ça allait jusqu'à la "décharge mortelle" .. ) ; ça a au moins 10 ans, peut-être même beaucoup plus ; je ne sais pas comment faire pour rechercher des traces de ces expériences ...
Merci à Patrick: correction faite sur le lien.
Merci à Françoise aussi: oui, il s'agit des fameuses expériences de Stanley Milgram, publiées en français sous le titre "Soumission à l'autorité" (éditions Calmann-Lévy). Ces expériences sont évoquées en détail dans le documentaire de France 2. En fait, le "Jeu de la mort" a cherché à transposer les expériences de Milgram dans le contexte d'un jeu télévisé actuel. Conclusion: si 60% des cobayes de Milgram obéissaient jusqu'au bout, le pourcentage monte à 81% dans le contexte d'un jeu actuel de téléréalité.
Il est intéressant de regarder également l'expérience de Philipp Zimbardo (psychologie sociale) qui fut l'organisateur d'une expérience fameuse à Stanford où il transforma un sous-sol de l'université en prison. Il a récemment sorti un livre passionnant "The Lucifer effect" dans lequel il revient sur cette expérience et sur un travail plus récent qu'il a mené à propos des soldats américains qui se firent prendre en photo avec des prisonniers irakiens humiliés dans la prison d'Abu Ghraib. Une vidéo d'une conférence donnée par Zimbardo au MIT (en anglais): http://mitworld.mit.edu/video/459
Merci pour vos précision Sébastien Fath, mais elles font froid dans le dos : quand c'est sous forme de jeu, c'est encore pire que dans les expériences .....
Frédéric, un grand merci pour ces infos sur les travaux de Philipp Zingaro dont j'ignorais tout.
L'analyse, et les conséquences qu'il tire de la tragédie d'Abou Ghaib (gardiens américains transformés en histrions sadiques et voyeurs) sont à lire absolument.
Où l'on voit que la barbarie ordinaire, tout en n'exonérant pas la responsabilité individuelle, est largement le produit d'une construction sociale fondée sur un mensonge originel (big lie), l'abus d'autorité, le mépris des droits du travailleur (cadences infernales). Toutes choses réunies par les équipes mises en place en Irak par l'ancien président G.W. Bush Jr. et ses affidés (Rumsfeld etc.).
C'était hier.... mais cela peut se reproduire aujourd'hui et demain.
Pour info et les plus agés s'en rappelleront, les expériences de Milgram à Yale ont été à ma connaissance pour la première fois vulgarisées par le film d'Henri Verneuil "I comme Icare" où le juge (Montand) s'adresse à un chercheur (Milgram) de l'université LAYE (pour YALE) et toute une scène du film montre alors cette expérience si importante devenue fameuse.
Merci encore pour ce post, qui doit aussi faire réfléchir sur les dérives de certains milieux où le suivisme d'un gourou est désormais enseigné, voie royale vers les atrocités dénoncées aujourd'hui.
Il serait bon d'analyser si il existe des "tendances lourdes" dans ce sens dans les milieux, p ex charismatiques ou pentecôtistes?