Le carnage perpétré avant-hier (46 morts dont deux prêtres et de nombreux enfants) par des islamistes à l'encontre des fidèles d'une église catholique syriaque à Bagdad n'est pas seulement la pire manifestation d'intolérance religieuse depuis des années en raison de sa sauvagerie et de son cadre (une messe, une église).
C'est aussi un révélateur spectaculaire d'une réalité "à bas bruit" beaucoup plus étendue: la lente destruction du christianisme irakien, qui suscite la légitime colère des fidèles.
Trois facteurs jouent pour expliquer cette "peau de chagrin" des chrétiens d'Orient, et d'Irak en particulier.
1. Le premier tient au contexte général du christianisme en "terre d'islam". Ce contexte est celui d'une liberté réelle, mais très encadrée, et discriminante: dans la grande majorité des pays où domine l'islam, les chrétiens ne disposent pas tout à fait des mêmes droits que les musulmans.
Que ce soit en matière fiscale, professionnelle, foncière (droit d'édifier un lieu de culte), cultuelle, les chrétiens sont soumis à des discriminations variées, souvent gérables (on peut s'en accommoder, et même en sourire), mais usantes.
Cette situation induit, depuis des siècles, une très lente érosion de la présence chrétienne.
2. Le second facteur tient à l'invasion de l'Irak par l'armée américaine en 2003, sur ordre de George W. Bush Jr. Cette invasion calamiteuse et inique, fondée sur le mépris de l'ONU et des arguments mensongers (mythe des "armes de destruction massive") a été suivie d'une occupation américaine non moins calamiteuse, qui a ruiné pour au moins 50 ans la réputation (déjà précaire) de l'Amérique au sein du monde arabe.
Mais le plus important est ailleurs: cette occupation a détruit l'équilibre confessionnel obtenu, d'une main de fer, par le dictateur Saddam Hussein, et a notamment libéré les initiatives islamistes les plus féroces, qui ne se sont pas privées d'assimiler les chrétiens locaux aux "croisés américains".
Par sa brutalité politique, militaire, culturelle, en Irak, la présidence Bush Jr a donné aux islamistes l'alibi idéal pour mener à bien l'éradication du christianisme en Irak. Du coup, les chrétiens irakiens se posent aujourd'hui cette question: "la valise ou le cercueil".
Ceci invite à conclure, sans exagération, que G.W. Bush Jr. peut être tenu objectivement pour un des principaux responsables de la destruction actuelle du christianisme irakien, même s'il n'a nullement voulu cette destruction.
3. Enfin, le dernier facteur tient à l'islamisme lui-même.
Dérive maximaliste et extrême de l'islam, l'islamisme est un phénomène complexe, où se mèlent fanatisme mais aussi désir de justice, réformisme passionné, élan démocratique (mais oui). Il mérite bien mieux que le mépris ou la dénonciation hystérique.
Mais le refus de caricaturer l'islamisme ne doit pas conduire à se voiler la face devant cette réalité que nous rappelle encore aujourd'hui le drame de Bagdad: les islamistes tendent, presque partout où ils se développent, à s'en prendre aux chrétiens.
Pas toujours frontalement, loin de là, comme l'illustre bien, à certains égards, le film Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois. Mais la logique de confrontation, y compris violente, est encouragée dans tous les textes fondateurs de cette vaste mouvance, à commencer par Ibn Taymiyya (une des grandes références de Ben Laden & co).
Et les exemples empiriques ne manquent pas.
Liberté religieuse en "terre d'islam"
Dommage pour la recherche: comparativement à d'autres sujets porteurs, le milieu franco-français des sciences sociales des religions s'intéresse pour l'instant assez modérément aux enjeu de la liberté religieuse, notamment en "terre d'islam".
Un événement comme celui du carnage de Bagdad changera-t-il, à terme, la donne?
À noter, en attendant, qu'un journaliste qui s'auto-présente comme "athée", Raphael Delpard, a consacré l'an dernier un ouvrage aux "persécutions" contre les chrétiens, où il développe de nombreux faits impliquant, en particulier, des islamistes.... mais aussi nombre d'États autoritaires (appuyés ou non sur une forme d'islam d'Etat).
Nous y reviendrons.
Commentaires
Je suis bien content de cette note que vous publiez aujourd'hui. Le sujet est trop souvent ignoré par les journalistes français et occidentaux : "il ne faut pas stigmatiser l'islam". Mais on peut largement stigmatiser et caricaturer le christianisme ! On a inventé le terme "islamophobie", alors que le terme "christianophobie" n'est pour ainsi dire jamais utilisé.
Pour ce qui est du livre que vous mentionnez, j'attends avec impatience votre note critique. J'ai commencé à le lire, mais je n'ai pas encore terminé. Enfin un livre (écrit de surcroît par un athée) qui décrit le problème et l'illustre par de nombreux témoignages.