En 2008, Michel Rocard publiait Oui à la Turquie. C'est peu de dire que ce livre opportuniste m'avait, à l'époque, très déçu, sachant fort bien l'auteur capable de bien mieux. Pourquoi cette déception?
Non pas en raison du plaidoyer pour l'entrée de la Turquie en Europe.
Car je suis de ceux qui pensent, comme Michel Rocard, que ce grand et beau pays qu'est la Turquie est largement européen!
Et qu'il n'y a aucune raison (par exemple) de discriminer les Turcs en raison de leur religion.
Le problème n'était donc pas dans le plaidoyer, mais dans les angles morts. Pourquoi oublier de traiter en détail les pratiques massivement discriminatoires des Turcs contre les chrétiens?
Le problème, en effet, se situe là: non pas dans une "essence turque" qui serait contraire à l'Europe (ce qui n'a pas de sens au regard de l'Histoire longue). Non pas non plus dans un islam qui serait contraire aux "racines chrétiennes de l'Europe" (car l'Europe d'aujourd'hui n'est pas un continent confessionnel, mais à visée laïque, où toutes les religions et irreligions ont leur place!).
Chrétiens massivement discriminés en Turquie
LE problème est que la Turquie contemporaine ne respecte pas le pluralisme religieux. Oh, bien-sûr, des progrès ont été faits. Oh, bien-sûr, il existe une réelle diversité religieuse en Turquie. Mais le fait demeure que le christianisme, dans ses différentes formes, a été, et reste massivement discriminé.
Il ne s'agit pas seulement de quelques exécutions et assassinats, comme celui de Mgr Luigi Padovese, (ci-contre), président de la Conférence épiscopale de Turquie, qui a été tué dans sa résidence d’Iskanderun (Alexandrette) par son chauffeur, Murat Altun, le 3 juin 2010.
Il s'agit d'un ensemble de pressions, de haut en bas de la société turque, qui vise à décourager toute présence chrétienne, comme l'illustre par exemple la dramatique fermeture autoritaire, depuis 1971 (!) du séminaire de Halki, dans l’île d’Heybeli (mer de Marmara), seul lieu de formation pour le clergé grec orthodoxe de Constantinople.
Sa réouverture a été annoncée... ce 26 mars 2012. Info ou intox? A suivre de près en tout cas.
Terminons par un seul chiffre: Istanbul, sous les Ottomans, comptait 120.000 chrétiens vers 1900. Aujourd'hui, on en compte 6000...
Ce contexte très préoccupant est clairement pointé du doigt dans le rapport 2012 de l’United States Commission on International Religious Freedom (USCIRF), rendu public il y a quelques jours, et téléchargeable ci-dessous. Le chapitre sur la Turquie, édifiant, donne la mesure du chemin à parcourir pour que la Turquie satisfasse aux exigences démocratiques et pluralistes de l'Europe. Selon ce rapport de l'USCIRF, Turquie d'Erdogan compte en effet parmi les 16 pays les plus préoccupants en matière de discrimination antichrétienne.
A noter que l'administration Obama, fidèle à la ligne américaine (qui consiste à pousser à l'élargissement maximal de l'Europe pour en affaiblir la cohérence politique), a cherché, semble-t-il, à étouffer les conclusions au sujet de la Turquie....
Cette info, trouvée au départ sur le portail Blogdei, s'inscrit dans un bras de fer géopolitique d'importance: contrée majeure au Proche-Orient, la Turquie est convoitée. Aussi bien l'Europe que l'OTAN tiennent à une Turquie pluraliste, rangée"du bon côté".
Pourquoi pas? Pourquoi pas oser le OUI à la Turquie au coeur des institutions européennes?
C'est là un pari noble. Mais encore faut-il ne pas évacuer trop vite de l'équation, comme le fit Rocard, l'enjeu crucial de la liberté des chrétiens et des non sunnites (alévis, etc.).... Faut-il rappeler aussi que l'enjeu kurde (mieux connu que celui des discriminations religieuses) reste pour le moins épineux?
Autant de raisons qui invitent, pour l'heure, à formuler un "Oui... MAIS".
Commentaires
Vous pointez de vrais problèmes, mais ceux-ci ne se résolvent pas par le fait "que la Turquie satisfasse aux exigences démocratiques et pluralistes de l'Europe". Les politiques turcs pourraient très bien l'affirmer du bout des lèvres. Le problème vient de la population car la haine antichrétienne est ancrée dans sa culture. Il n'y avait qu'à voir les réactions de la population, y compris d'enfants qui insultaient les personnes enterrant les 3 chrétiens (2 allemands et un turc en 2007, après la tuerie de Malatya). Et on ne change pas cette mentalité par de belles paroles qu'un Erdogan pourrait éventuellement prononcer.
Quant au silence sur les persécutions antichrétiennes, il n'y a pas que Rocard qui est silencieux. Les politiques au pouvoir n'ont pas été très loquaces. Et ceux qui se sont exprimés, n'ont pas trop insisté. Idem pour les médias.
Donc pour moi, non à l'intégration de la Turquie dans l'UE.
Une autre raison, c'est que l'UE a déjà accueilli trop de pays d'un coup et qu'elle n'arrive pas à les gérer. De plus, la différence entre la Grèce et l'Allemagne est déjà tellement énorme et la crise et bien un révélateur des disparités entre les pays.
"A noter que l'administration Obama, fidèle à la ligne américaine (qui consiste à pousser à l'élargissement maximal de l'Europe pour en affaiblir la cohérence politique)"
Cette phrase se passe bien de commentaire. Donc, encore une fois, non à l'intégration de la Turquie dans l'UE.
Voici un article sur un pianiste turc de renom international à qui les autorités turques font des misères. Son crime : être athée.
http://www.lefigaro.fr/musique/2012/04/24/03006-20120424ARTFIG00762-le-pianiste-fazil-say-en-butte-aux-islamistes.php
Et CE PAYS veut entrer dans l'Union européenne ! ! !