Juba, ville où je viens d'atterrir en provenance d'Ethiopie, est aujourd'hui la capitale de la très jeune République du Soudan du Sud, née en 2011, et le siège du gouvernement (Government of Southern Sudan, GoSS).
C'est aussi la capitale de l'Etat du Central Equatoria (CES). Elle comprend 3 des 16 payams (agglomérations) du comté de Juba: Juba, Kator et Munuki. Mais à vrai dire, les délimitations de la ville ne sont pas du tout claires, dans la mesure où le développement récent et assez anarchique de la capitale s'inscrit dans un contexte où l'Etat et les infrastructures publiques sont encore très embryonnaires.
La zone urbanisée de Juba était estimée en 2009 à 52 km2, montant qu'on peut facilement évaluer à 70 km2 en 2012. A partir d'autres instruments de mesure, on peut aussi parler d'un Greater Juba ("Grand Juba"), qui intègre un habitat dispersé semi-rural, ce qui aboutit à une zone bien plus importante, évaluable à 350 km2.
Une métropole récente peuplée de réfugiés
Mais il ne faut pas imaginer un essor urbain à l'occidentale. Les aires "non démarquées" (undermarcated areas) sont dominantes, ce qui veut dire qu'il n'y a ni cadastre, ni nom de rue. Une caractéristique majeure de cette jeune ville africaine est qu'elle a été principalement peuplée à partir de réfugiés, et de populations déplacées de force.
C'est essentiellement à partir de ces populations que Juba a connu, ces dernières années, une importante expansion démographique, accompagnée par une présence religieuse croissante elle-aussi, en particulier du côté des diverses Églises chrétiennes (à commencer par l'Église catholique et l'Église anglicane, les deux major players).
Vue des environs de Juba en 2008
En 1956, date à laquelle Juba est devenue la capitale du gouvernement régional du Soudan du Sud, sa population était estimée à 10.600 personnes. Durant la première guerre civile qui a ravagé le pays entre 1955 et 1972, la population a augmenté jusqu'à atteindre 56,737 habitants, ce qui en a fait la plus grande ville du Soudan du Sud, devant Wau (Western Bahr el Ghazal, jadis occupée par le colonel Marchand) et Malakal.
La période de paix relative qui a suivi la première guerre civile entre le Sud (chrétien et animiste) et le Nord (musulman) du Soudan a vu l'agglomération de Juba se développer de plus belle, atteignant 83,787 habitants en 1983, soit un développement démographique de 47% en 11 ans. A l'époque, au seuil d'une nouvelle guerre civile, encore plus terrible que la première, il était estimé que 80% de la population de la ville était constituée de migrants: autant dire que la culture urbaine, l'habitus citadin, à Juba, n'a aucune comparaison avec ce que l'on peut observer dans une ville comme Khartoum (Soudan du Nord), ou a fortiori au Caire (Egypte).
L'expansion urbaine a été marquée par la croissance incontrôlée d'implantations informelles, sous formes de cases traditionnelles, et d'habitats non permanents (bidonville en tôle ondulée). Une étude montre par exemple qu'entre 1972 et 1975, seulement 170 implantations, sur un total de plus de 2000 nouveaux établissements, avaient été alloués par les autorités.
Régulations infrapolitiques
Le Baron Haussman n'est pas passé par Juba, la croissance urbaine s'effectuant de manière particulièrement désordonnée, comme en contrebande, dans un contexte de régulations infrapolitiques où les acteurs locaux ont la haute main sur les implantations.
Durant la seconde guerre civile, entre 1983 et 2005, Juba s'est transformée en ville de garnison tenue par le régime islamiste de Khartoum, tandis que le SPLA (Sudan People's Liberation Army) contrôlait les banlieues et agglomérations environnantes. Cette situation de guerre a conduit à de très importantes fluctuations de population, au gré des attaques, comme celle du SPLA en 1992, qui force des dizaines de milliers d'habitants à fuir, parfois jusqu'à Khartoum.
L'insécurité endémique a renforcé le centre-ville, où viennent se réfugier les ruraux las des massacres et razzias. Juba est alors considérée comme la seule ville à peu près sûre dans tout l'Etat du Central Equatoria (qu'on appelait alors Bahr el Jebel State).
A suivre demain...