Dans la corporation des historiens et sociologues du christianisme, on appelle "Eglise providence"' une Eglise qui dispense à ses fidèles une vaste gamme de services sociaux, sans se limiter au cultuel ou au spirituel.
L'évangélisme que j'étudie s'appuie beaucoup sur ce type d'Eglises, car sa valorisation des associations volontaires de convertis favorise l'entraide et diverses formes d'engagement interpersonnel. On l'observe en particulier en Afrique, qui compterait environ 154 millions d'évangéliques. Mais pourquoi, dans le fond, observe-t-on tant d'Eglises de ce type en Afrique?
Le Hors Série n°32 du mensuel Jeune Afrique (2013) nous donne indirectement une réponse.
Un très copieux dossier y est consacré aux 500 premières entreprises africaines. Sans entrer dans ce tableau très instructif, on se limitera à pointer cette infographie, publiée page 88 du magazine:
On y propose, côte à côte, un comparatif du chiffre d'affaire des plus grandes entreprises africaines, confronté à celui des plus grandes entreprises mondiales, puis un comparatif analogue focalisé sur le résultat net des entreprises.
Que ressort-il de ces données?
D'une part, la fragilité des grands groupes africains par rapport aux grands groupes mondiaux... D'autre part, une sur-rentabilité des grands groupes africains par rapport à ces mêmes grands groupes.
En d'autres termes, même si le capitalisme africain repose pour l'instant sur un tissu d'entreprises insuffisamment puissantes, il peut compter sur une rentabilité (résultat net) SUPERIEURE à bien des grands groupes mondiaux non-africains.
Faire des affaires est difficile en Afrique, mais quand on en fait, c'est très très rentable!
La question est naturellement "pourquoi"? Comment se fait-il que les résultats nets du capitalisme entreprenarial africain soient aussi bons, en dépit....
-d'une instabilité politique souvent supérieure à d'autres parties du monde
-d'un déficit d'infrastructures
-de conditions d'exploitation souvent délicates (climat, voies d'accès, paludisme, etc.)
-d'un maquis administratif, législatif compliqué par une corruption élevée
Comment expliquer qu'avec tous ces handicaps, les entreprises soient pourtant si rentables?
L'explication principale, que n'avance pas Jeune Afrique dans son dossier (mais ce n'était pas son objet), est assez simple: elle tient dans un coût du travail ridiculement bas.
Sans Etat Providence, sans garant suffisant du respect du droit du travail, les "masses laborieuses" sont exploitables à bas coût, que ce soit dans l'activité minière ou la plantation de cacao (Cargill en Côte d'ivoire...).Ce qui permet, malgré d'autres contraintes, de dégager des profits parfois mirobolants.
Sur le dos d'ouvriers agricoles ou du secteur Secondaire qu'on pressure, use..., et jette. Loin des 35H à la française, des 13e mois de salaire et des week-ends au Croisic payés aux syndicalistes en "séminaire de formation permanente" (sic). En cette absence (ou carence) de l'Etat Providence en Afrique, qui protégera les populations?
Qui consolera les petites mains et les vertèbres qui se sont usées durant 10H d'affilée dans les champs de coton ou d'arachide?
C'est là qu'interviennent les "Eglises Providence" (dont beaucoup d'évangéliques), avec leur entraide, leur rhétorique compassionnelle et leur sociabilité thérapeutique.
CQFD.