L'évangéliaire dit de Saint Mihiel, rédigé au milieu du XIe siècle à la demande d'une aristocrate, Irmengarde de Nellenbourg, avait été classé "trésor national" par l'Etat en 2020, pour empêcher que l'Institut Catholique de Lille, jusque là propriétaire, ne le vende, au risque que ce patrimoine inestimable soit perdu.
Faute d'acquéreur en France, et faute de la moindre initiative volontariste du Ministère de la Culture, ce trésor exceptionnel a finalement été vendu par l'Institut Catholique de Lille aux Etats-Unis (au Paul Getty Museum, très bon musée qui, lui, connaît la valeur de ce chef-d'oeuvre).
Ce manuscrit, appelé aussi « Irmengard Codex », contient 254 folios reliés; il est décoré de 15 miniatures en pleine page. Parmi elles, cette représentation visuelle (voir ci-dessus) de la Pentecôte.
Qu'on ne s'y trompe pas: la vente (qui se voulait discrète) de ce trésor national n'est pas juste une perte pour les catholiques, et encore moins pour les nostalgiques et autres identitaires, toujours prompts à récupérer l'actualité au profit de leurs revendications passéistes. Via la vente de ce "trésor national", c'est un pan d'histoire commune qui quitte le territoire français.
Après le scandale de l'affaire Christian Nègre et bien d'autres, c'est peut-être l'occasion de s'interroger une nouvelle fois sur la pertinence du maintien, de plus incongru, d'un Ministère de la Culture en France (un des rares pays à s'être doté d'une telle superstructure). N'est-il pas temps, en France, après la séparation des religions et de l'Etat, de procéder à une séparation de la culture et de l'Etat?
Depuis 1959, ce débat existe. Il a été l'objet, en 2020, d'une petit chapitre d'un livre impertinent, signé Julien Damon.
La légitimité de ce Ministère-anomalie, fierté pour les uns, boulet pour les autres, aurait pu en particulier tenir dans la défense intelligente d'un patrimoine culturel à mettre à disposition des citoyennes, des citoyens, des spécialistes d'Histoire. Mais il n'y pas besoin d'un Ministère dédié pour cela, surtout si ce dernier ferme les yeux, sans bouger, sur la vente à la découpe de trésors nationaux censés être protégés, sur le territoire, pour les générations futures.
(merci à Jean-Pierre Denis, sur Twitter, et Pierre Jova, dans La Vie, pour leurs éléments d'enquête et de réflexion)