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Pour une sociologie de l’ésotérisme : une journée prometteuse

Grâce à Jean-Pierre Laurant et Régis Dericquebourg, la journée d’étude du 13 avril 2006 organisée au GSRL autour de la question de l’ésotérisme a permis de soulever de nombreuses pistes fécondes, qui demanderont prolongement.

Au travers des discussions sur la définition de l’objet, on a bien perçu en quoi l’ésotérisme n’est pas seulement un corps de doctrines, mais aussi un mode de pensée et des formes sociales variées, qui invitent naturellement le sociologue (nourri par l’histoire) à en ausculter les caractéristiques et les tensions.

 

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Ci-dessus : photo de famille des intervenants de la journée GSRL du 13 avril 2006

Au programme de cette journée, un menu copieux, avec Emmanuel Kreis (Désillusion du New Age et conspiration ufologique), Yves Hivert-Messeca (Esotérismes et regards maçonniques), Stéphane François (les nouvelles manifestations de l’ésotérisme occidental : musique, BD, paralittérature) et une table-ronde avec Emile Poulat, Jean-Pierre Brach, Antoine Faivre, Régis Dericquebourg et Jean-Pierre Laurant. Un total de dix-huit participants ont contribué aux échanges. Les deux défections annoncées (Bernard Renaud de la Faverie et Pierre-André Taguieff) ont été regrettées, mais n’ont pas compromis l’équilibre d’une journée bien remplie qui a permis de confirmer combien l’ésotérisme occupe désormais, dans le champ d’étude du religieux, une place centrale. Je ne ferai pas aux intervenants l’insulte de résumer leurs riches contributions en quelques lignes, me limitant à soulever un point noté par Emile Poulat.

Avec l’acuité intellectuelle qu’on lui connaît, Emile Poulat a développé, au cours de la table-ronde finale, l’image de la tenaille. Longtemps, l’ésotérisme s’est situé dans l’espace interstitiel, entre deux blocs structurés. Le premier, la religion instituée, la chrétienté, longtemps dominante en Occident. Le second, la science, progressivement autonomisée à partir du XVIe siècle. Il a représenté une voie de résistance : non seulement des corps de doctrine, mais aussi une forme de pensée symbolique originale (ou mythique, comme dirait Antoine Faivre), qui joue sur deux modalités, soulignées par Jean-Pierre Brach : la recomposition et la récupération, sur le mode du bricolage et du braconage.

Ce qui s’est passé avec ce qu’on appelle la ‘modernité’, c’est l’affaiblissement de l’un des bras de la tenaille. La religion instituée a perdu son caractère dominant et structurant. Du coup, l’ésotérisme a gagné en espace. Ce qui s’observe aujourd’hui avec ce qu’on définit comme ‘l’ultramodernité’ (phase de retour critique de la modernité sur elle-même), c’est un certain désenchantement face à la rationalité scientifique elle-même, associée à une critique plus globale des « grands récits » de la modernité. Un exemple : le dernier numéro spécial du Nouvel Observateur sur la mort. N’y figurent presqu’aucune référence, ni au religieux (premier bras de la tenaille) ni au médico-scientifique (autre bras de la tenaille). Tout l’espace est occupé par l’individu et ses affects, la mort se limitant à une affaire privée. Dixit Poulat : «voici un périodique de gauche pour qui la société n’existe plus!».

On voit bien qu’en situation d’ultramodernité, les deux bras de la tenaille sont affaiblis (religion, rationalité scientifique), ouvrant un espace considérable au champ, longtemps comprimé (voire réprimé), de l’ésotérisme. De resserré et concentré pendant des siècles, ce champ est aujourd’hui dilaté et dilué, occupant une aire très vaste.

Emile Poulat a pointé la plasticité de cette forme de pensée, qui rejoint aujourd’hui des terrains nouveaux, comme celui du développement personnel. A en juger par la popularité des thématiques ésotériques, et par l’extraordinaire filon commercial qu’elles représentent (BD, jeux de rôles, heroïc fantasy), l’ésotérisme est sans doute un des meilleurs analyseurs des transformations religieuses en ultramodernité, et à ce titre, il appelle aujourd’hui l’attention de tous ceux qui travaillent sur le religieux.

Commentaires

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