Que la société américaine évolue vers une militarisation croissante n’est pas un scoop. Mais cela ne signifie pas qu’il faille s’y habituer, le banaliser. Le rôle des militaires est certes nécessaire en démocratie, et les Etats-Unis ont légitimement le droit de «serrer un peu la vis» après le 11 septembre 2001, mais la militarisation d’un pays c’est autre chose. Il ne s’agit pas seulement de répondre militairement à une menace : c’est transformer les structures du pouvoir ou de la société de manière à les rendre de plus en plus conformes aux intérêts des militaires (et des marchands de canons). Bienvenue dans l’Amérique de George W. Bush!
Ce lent basculement militariste n'empêche pas les Etats-Unis de demeurer une grande démocratie; il n'est pas non plus inexorable. Mais il reste préoccupant, et constitue un terrain d’analyse à suivre avec soin, tant le colosse yankee domine aujourd’hui la scène internationale. Dernier symptôme de cette évolution, la nomination, aujourd’hui-même (8 mai 2006) d’un général, Michael V. Hayden (du corps de l’Air Force), à la tête de la CIA, en remplacement de Porter Goss. Cette nomination, fort controversée, n’a rien d’anodin. La CIA est une agence civile. Nommer à sa tête un militaire, en rappelant une fois de plus l’objectif de «vaincre la guerre contre la terreur» (formule plutôt creuse, mais utile pour le complexe militaro-industriel), confirme une fois encore qu’en haut lieu à Washington, on identifie de plus en plus le salut du peuple américain avec l’expansion militaire indéfinie, au risque de contaminer l’ensemble de la sphère civile.Oui je sais c'est un raccourci peu scientifique. Mais une bonne caricature peut en dire long!
On rejoint en partie la thématique du néomessianisme, qui constitue l’hypothèse centrale que j’ai développée dans un essai publié en 2004. La force militaire américaine perd son caractère second et relatif, pour flirter avec le fantasme de la toute puissance... Avec la nomination d’un général d'aviation comme Hayden à la tête de la CIA, on voit aussi que la recette de la peur, entretenue par la rhétorique ronflante de la «guerre contre la terreur», reste un fonds de commerce du président Bush et de son équipe, qui justifie d'autant plus facilement les cadeaux aux militaires. Pour combien de temps?
Commentaires
tout cela est assez relatif je pense :
- d'une part Eisenhower dénoncait déjà le complexe militaro-industriel dans les années 60
- d'autre part, système des dépouilles aidant, tout cela est réversible à l'occasion d'un changement de majorité
Si je puis me permettre, je nuancerais l'approche concernant la "militarisation de la société américaine". Le problème n'est pas de voir les USA se transformer en "société garnison", mais l'emploi régulier de militaires pour les installer à des postes théoriquement civils.
De plus, le poids es budgets militaires commene à produire des réactions politiques adverses.
1945 : Guantanamo en Forêt Noire
Le jeudi 22 septembre 1945 paraissait le n°4326 de l'hebdomadaire Le
Monde Illustré dont la rédaction était sise au 69, quai d'Orsay,
Paris VIIème, le directeur général un certain Pierre Naquet, et le
rédacteur-en-chef un dénommé René Maine, le comité de rédaction
se composant de, ou étant animé par François de Clermont-Tonnerre et
Henri Clair
Entre une photo sur la reddition japonaise en Birmanie, curieusement
disposée au-dessus d'un article intitulé "Retours à la collectivité
européenne" et une "tribune libre d'une France libre"(sic) signée
Henri Ribière sur les nationalisations, la polygraphe Michèle Nicolai
régale le public supposé résistantialiste et acquis à la
démocrassouille d' "un grand reportage dans les prisons du Reich", du
Reich démocrassouillé par les vainqueurs bien sûr. Le reportage de
Dame Nicolai est annoncé en couverture de l'hebdomadaire, laquelle est
illustrée d'une grande photo en noir et blanc sous-titrée "Les Nazis
paient" (sic) et représentant un homme d'assez haute taille
semble-t-il, les yeux clos, auquel son geôlier est en train d'ajuster
un capuchon. On apprend en page 3 qu'il s'agit d'un "chef nazi" du nom
d'Emile Bauer que ses geôliers ont transformé en mannequin pour le
dressage des chiens policiers français, la scène se déroulant dans
la zone française d'occupation en Allemagne. Michèle Nicolai relève
que le prisonnier "dûment matelassé" (sic) n'a pris de l'assaut "de
nos (sic) chiens policiers" [...] "aucune égratignure", "mais (qu') il
a éprouvé une peur qu'on ne peut (sic) qu'estimer salutaire".
Remplacer "chef nazi" par "suspect de terrorisme", et vous conviendrez
que les Américains n'ont rien inventé à Guantanamo, à cette
différence près que dans la France dirigée par le gouvernement
provisoire à participation communiste présidé par De Gaulle, les
médiats font l'apologie des traitements infligés aux détenus, les
photographient, les publient en toute bonne conscience.
En page 7 du reportage de Michèle Nicolai, une photographie prise par
Gaston Paris montre une jeune fille dont la légende de la photo nous
dit qu'elle "est gardée comme otage" en attendant la capture de son
père, "un hitlérien nommé Metzger" qui "se cache toujours dans le
Wurtemberg"
En page 4, une photo de Gaston Paris nous montre le colonel Rudolph
Pantelin dont "dernièrement, (le) compagnon de cellule s'est pendu
avec un caleçon". La photo voisine montre six hommes accomplissant
"une corvée de bois", et le légende de la photo nous révèle que "ce
sont six Français (qui)nazis d'opinion [...] partagent le sort des
nazis d'origine"(sic). Le nazisme serait-il génétiquement déterminé ?
Dame Nicolai nous l'assure : les Français de la zone d'occupation en
Allemagne sont "des justiciers et non des bourreaux". Ouf, nous voilà
rassurés....
Que les Américains imitent soixante ans plus tard la France de
l'époque ne saurait surprendre : en page 1 de ce numéro 4326 du Monde
Illustré, François Tallard émet le voeu qu' "en écoutant le
général de Gaulle, les Alliés (considèrent) que le génie de la
France[...] anime tout gouvernement français qui se consacre à une
grande oeuvre de justice sociale"
Fermez le ban !
"Si la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie"
Jean-Marie Lallau (Chaunois de naissance)