Dans l'histoire politique contemporaine, ce 9 juillet 2011 restera marqué d'une pierre blanche.
L'ancien plus grand pays d'Afrique, le Soudan, vient en effet de se scinder, donnant naissance à deux Etats, le Soudan du Nord (capitale Khartoum), à grande majorité musulmane, et la République du Soudan du Sud (capitale Juba) à grande majorité chrétienne.
Ce 9 juillet 2011 est la date d'indépendance des Sud Soudanais.
On leur souhaite chaleureusement la bienvenue dans le concert officiel des nations !
La création de ce nouvel Etat, l'un des trois plus pauvres du monde, suscite mille-et-un commentaires.
Du point de vue des sciences sociales des religions, on se bornera à pointer ceci: après la partition de la Yougoslavie à la fin du XXe siècle pour des raisons (largement) religieuses, la partition du Soudan confirme, au début du XXIe siècle, la persistance du facteur religieux comme élément majeur de la géopolitique contemporaine.
Persécution religieuse quasi continue
Le Sud Soudan a en effet souffert, depuis environ 40 ans, de ce qu'il faut bien appeler une persécution religieuse quasi continue de la part du Nord du pays, soumis à un régime islamiste dur (imposition de la Charia aux non-musulmans à partir de 1983).
Bien d'autres facteurs entrent en jeu, naturellement, dont l'élément ethnique et la dimension économique. Il ne s'agit pas non plus, par ailleurs, de réduire les chrétiens à des victimes. Les sbires du SPLA (armée de feu John Garang, grande figure indépendantiste du Sud) ont eu leur part dans les atrocités commises.
Mais toutes les enquêtes approfondies sur le terrain confirment l'impact particulièrement brutal d'une politique d'islamisation forcée initié par Omar Al Bashir (inculpé de crimes contre l'humanité), corollaire d'une tentative d'éradication (par la tuerie ou l'esclavage) des populations chrétiennes jugées irrécupérables.
Jusqu'aux premiers accords de paix plus ou moins sérieux, signés en 2005, le Sud Soudan a connu deux décennies de guerre quasi continue, extrêmement meurtrière et dévastatrice, et moins connue que le terrible conflit du Darfour (techniquement considéré comme rattaché au Nord Soudan).
Elle a revêtu un caractère à la fois religieux et ethnique, avec l'irruption sur la scène, entre 1991 et 1996, d'Oussama Ben Laden, installé au Soudan et actif dans le pays au service des intérêts djihadistes [1].
Plus de deux millions de morts, une société à reconstruire
Ce conflit soundanais a causé, au total, plus de 2 millions de morts et entre 4 et 6 millions de déplacés, créant un chaos social indescriptible et un règne généralisé de la peur, comme l'observe Robert O. Collins dans une synthèse éclairante (p.258-259).
Du point de vue social, les sociétés du Sud Soudan ont été très profondément déstructurées, sous l'effet, non seulement des massacres et déplacements massifs de population, mais aussi en raison de ce qu'il faut bien appeler une relance de l'esclavage (qui n'avait jamais complètement disparu de la région).
Comme le souligne, entre autres, Jean-Michel Deveau dans sa très utile synthèse sur le retour de l'esclavage (2010), le schéma est le suivant: razzia d'escadrons venus du Nord (et de confession musulmane) sur des villages chrétiens du Sud dont la population est réduite en servitude. L'armée soudanaise du Nord, sous la coupe du régime islamiste Al BAshir, aurait elle-même participé, en tout cas dans les monts Nuba (Deveau, p.171-172).
Panser les plaies
Inutile de préciser que la nouvelle République du Soudan du Sud aura besoin de l'aide internationale pour panser ses plaies... et d'un régime local pas trop corrompu, ce qui semble mal engagé avec l'actuel premier président, Salva Kiir, en dépit de ses déclarations d'intention lénifiantes...
Sans oublier que de très violents conflits armés subsistent dans les monts Nuba, la région d'Abyei (pétrolière) et le Kordofan, tandis que des régions tampons comme le Western Bahr el Ghazal (Raja et Wau) restent marqués par des situations de non-droit et d'extrême dénuement, sous la coupe des seigneurs de la guerre.
Il reste que cette indépendance est une bonne nouvelle pour la liberté, la démocratie et le droit des religions à vivre en paix leur foi. Les chrétiens du Sud Soudan ont attendu longtemps ce jour.
Paysage chrétien du Sud Soudan
Parmi eux, outre les musulmans et les animistes, on compterait entre 3 et 4 millions de catholiques, notamment issus de l'oeuvre missionnaire (d'une remarquable efficacité locale) des prêtres Comboni, à l'image d'Alfonso Polacchini (ci-contre), longtemps en poste à Raja.
Entre 2 et 3 millions d'épiscopaliens complètent le tableau, issus du travail missionnaire porté par l'Eglise majoritaire de l'ancien colonisateur britannique.
Et on notera enfin la présence de moins de 3 millions de protestants évangéliques d'étiquettes très diverses, notamment en lien avec la United Presbyterian Church, USA (dénomination non évangélique, mais qui a cette couleur au Soudan), la Evangelical Church in South Sudan (soutenue par des évangéliques soudanais du Nord Soudan), la Church of Christ in the Upper Nile (dénomination locale du Sud Soudan), et les Églises issues de l'Africa Inland Mission (AIM).
A vrai dire, ces statistiques sont peu fiables. Nul ne sait exactement combien d'habitants compte le Sud-Soudan indépendant, d'autant plus qu'une diaspora très considérable, nourrie de centaines de milliers de réfugiés, n'est pas retournée au pays... et n'y retournera pas forcément, tant les conditions de sécurité sont plus que précaires (en particulier dans les Etats frontaliers du Soudan du Nord).
Une chose est sûre: les acteurs religieux, au côté des ONGs et des Etats, pèseront lourd dans l'avenir de ce nouveau pays africain.
Dans un contexte bien souvent infra-politique, les sociabilités religieuses locales, notamment protestantes évangéliques, joueront un rôle de relai et d'incubateur de la République du Sud Soudan de demain.
[1] Le 23 septembre 2001, la BBC faisait observer que Ben Laden était toujours en lien avec le Soudan : "Bin Laden's Sudan links remain", site internet BBC News (http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/1559624.stm).
Commentaires
Espérons que celle scission fera évoluer les choses dans le bon sens. Ils ont déjà vécu tant d'atrocités...
Il nous appartient d'aider ce jeune pays.
Ils partent de zéro, mais vont vers l'infini (nous c'est l'inverse? :-)
Vous savez s'il y a une ambassade du Sud Soudan à Paris? Merci de votre réponse
j' éprouve le sentiment de tenir la correspondance avec vous sur le sud soudan; ce pays m' interesse beaucoup
Bonjour Kilumba Byemba
Merci pour votre message.
Je suis partant pour échanger avec vous, mais par où commencer?
Pourriez-vous m'éclairer sur votre intérêt pour le Sud Soudan?
Y êtes-vous allé?