Au regard de la situation égyptienne actuelle, "post-Moubarak", on agite beaucoup aujourd'hui l'épouvantail islamiste.
C'est oublier un peu vite que le peuple égyptien a fait son choix, et que l'aspiration à la liberté, si perceptible aujourd'hui dans les rues du Caire, doit être respectée, quand bien même ouvrirait-elle le chemin à l'islam politique.
ceci précisé, il faut reconnaître que la minorité copte a de quoi s'inquiéter.
L'historien rappellera, pour contextualiser ce climat tendu, que les discriminations antichrétiennes en Egypte ne sont pas récentes.... Et que la politique de laïcisation conduite par Nasser depuis la fin des années 1950 a eu des effets pervers...
Un des effets pervers de cette politique de laïcisation menée par Nasser est que les chrétiens, même ne matière de statut personnel (où ils ont conservé leurs propres lois), voient leurs affaires réglées par des juges musulmans. En 1955, les tribunaux communautaires (musulmans et chrétiens) qui tranchaient les problèmes de statut personnel ont en effet été supprimés.
Les affaires ont du coup été dévolues aux tribunaux civils de l'Etat, à charge pour eux de juger selon le droit de chaque confession quand il n'y a pas de norme commune.
Tribunaux civils et juges musulmans
Cette réforme avait considérablement simplifié le traitement des procédures. Cependant, en pratique, les juges des anciens tribunaux coraniques ont été intégrés dans les tribunaux civils (puisqu'ils étaient fonctionnaires), mais cela n'a pas été le cas pour les juges chrétiens.
Du coup, ce sont des magistrats musulmans qui traitent de la plupart du temps les affaires intéressant les non-musulmans. Dans l'ignorance qu'ils sont souvent du statut personnel des chrétiens, ou par conviction islamiste, ils ont tendance à trancher selon les principes de la charia (loi islamique): par exemple, en matière successorale, ils attribueront communément une part pour les hommes... et une demi-part pour les femmes.
Par ailleurs en cas de litige entre deux justiciables de deux religions différentes, c'est la loi islamique qui prévaut. Ainsi, le divorce d'un musulman et d'une chrétienne est systématiquement réglé selon les principes de l'islam. C'est en vain que les chrétiens réclament la présence automatique devant les tribunaux civils d'un juge non-musulman pour juger leurs affaires.
Discriminations juridiques contre les chrétiens
D'une façon générale, en dépit d'une coexistence confessionnelle largement pacifique, les rapports juridiques entre chrétiens et musulmans en Egypte sont loin d'être établis sur la base de l'équité. Un copte ne peut témoigner en justice contre un musulman dans une affaire de statut personnel, ni être tuteur d'un enfant musulman. Un chrétien ne peut pas non plus épouser une musulmane, sauf s'il se convertit au préalable. Mais dans ce cas, il ne pourra revenir à sa religion d'origine en cas de divorce ou de décès du conjoint.
En revanche, une chrétienne peut épouser un musulmane sans abandonner sa foi, mais les enfants seront élevés selon l'islam (la religion se transmettant par le père). Et en cas de divorce, ils seront automatiquement confiés à ce dernier. On ne saurait mieux inciter l'épouse à se convertir...
Toutes ces dispositions ne datent pas de 2012. Elles existent depuis longtemps, dans un contexte où le pluralisme confessionnel ne se conçoit pas sur un pied de stricte égalité. Les coptes ont dû s'y adapter, avec un sens aigu de leurs intérêts, un courage certain (souvent), et un refus de jouer les victimes.
A suivre...
Lire :
-Christine Chaillot, Antoine Sfeir, Les Coptes d'Egypte : Discriminations et persécutions (1970-2011), Paris, ed. de l'Oeuvre, 2011
Jean-Pierre Valogne, Vie et mort des chrétiens d'Orient, Paris, Fayard, 1994