Un Français sur huit complètement seul, dépourvu d'ancrage dans les cinq réseaux de sociabilité que sont famille, milieu professionnel, amis, proches ou voisins.
Cinq millions de personnes, un million de plus qu'en 2000... La récente enquête de la Fondation de France (juillet 2014) auprès de 4007 personnes qui dévoile ces chiffres est un outil majeur pour contextualiser le phénomène religieux, et les dynamiques de conversion dans les "familles recomposées" de la foi.
Elle est téléchargeable ici gratuitement (lien).
Commentaires
Cher Sébastien,
Alfred Kuen en parle bien aussi dans son livre "Les défis de la postmodernité" (Éditions Emmaüs, 2002).
Le chapitre 6 s'intitule "Les composantes de la postmodernité", 6.1 "Valorisation de l'individu" : "Condamné à la liberté... et à la solitude".
Les constats et citations y sont très intéressants :
"Chacun pour soi et contre tous". "La ronde autour du Moi d'or émiette toutes les institutions, qu'il s'agisse de partis politiques, de syndicats ou d’Églises. La seule question qui subsiste est : "Qu'est-ce que cela me rapporte d'être membre de telle ou telle organisation ou de m'y engager ?" (Rolf Hille)
La télévision par câble et les ordinateurs multimédias (avec le branchement sur le Net) ont démontré que l'on peut fort bien se retirer de la société et se suffire à soi-même.
Depuis les années 80, le phénomène nouveau du cocooning (se retirer dans son cocon) a pris des formes multiples : le studio ou le logement occupé seul (plus de 50 % dans les villes), la voiture où l'on passe seul des centaines d'heures, les barrières de sécurité que l'on développe autour de soi, mon vis-à-vis se limite souvent à l'écran de TV ou d'ordinateur. Dans une grande ville d'Europe, les "Pizza-services" se sont multipliés par 150 en dix ans : au lieu de se rendre dans une pizzeria, on mange seul chez soi, confortablement installé dans son fauteuil devant son écran géant.
Les cultes télévisés sont une merveilleuse invention qui permet aux personnes malades ou impotentes de garder le contact avec la communauté chrétienne. Mais ils sont aussi, pour beaucoup de chrétiens qui pourraient fort bien se déplacer, la solution de facilité confortant leur individualisme... "Le culte vient directement dans mon salon..." (St Holthaus)
L'individualisme se répercute aussi sur le plan des Églises. "La multiplication des Églises indépendantes est une manifestation de l'esprit postmoderniste et individualiste de notre temps".
(H. Hempelmann)
A la question "Peut-on vivre en chrétien sans Église ?", 80 % des interrogés ont répondu oui.
L'individualisme a engendré la solitude, problème N° 1 de notre époque. Une enquête faite par une Église de Boston auprès des 50 000 voisins les plus proches a révélé que 65 % d'entre eux vivaient seuls.
En 1983 (déjà !), James D. Hunter a analysé le contenu des livres publiés par les huit plus grandes maisons d'édition évangéliques d'Amérique : 87,8 % d'entre eux s'occupaient des problèmes du Moi. " "...La relation d'aide devient le fétiche de la piété subjective..." (St Holthaus)
Et tous ces phénomènes s'accentuent en effet de plus en plus, touchant toutes les composantes de la société.
Bonne continuation et merci pour votre ouverture d'esprit et votre saine curiosité,
A force de confondre l'indépendance narcissique avec l'autonomie, ouverte sur l'autre (comme le montre la philosophie du "visage" chez Lévinas), on en arrive à cette spirale de solitude, en effet. Triomphe de l'individualisme libéral, des mythes du gagneur (surtout ne pas être un "looser"!), de la performance, de l'image, de l'égalitarisme pervers (qui consiste à vouloir cumuler les droits, sans devoir aucun, en gardant aussi les avantages d'une spécificité exaltée en termes de "différence")..., lourd bilan.
Ce poison s'insinue dans les institutions primaires, décloses, dans les couples (quand l'autre veut s'approprier la "visibilité" de l'un), dans les réseaux, quand seule compte l'exaltation des "amis" en nombre, dans l'espace public, qui éclate en "non-lieux" exposés à des rapts de privatisation grégaire, cependant que sur leurs bords s'étiolent les "exclus", désormais présents au cœur, au centre, comme un point d'interrogation insistant...
Vive la dite postmodernité, tellement "post", tellement peu "moderne", si moderne veut dire émancipation, fraternité, consensus non pas "mou", mais après abord honnête des conflits nécessaires et utiles.
gef