Dans le cadre du programme GSRL "Religions et religiosités minoritaires en ultra-modernité" s'est tenue aujourd'hui une journée d'étude sur l'Adventisme, organisée par Régis Dericquebourg et Fabrice Desplan. Je n'ai hélas pas pu assister à tout en raison d'une réunion à présider l'après-midi à l'Institut des Cultures Musulmanes, mais ce que j'ai entendu m'invite à en partager l'écho avec vous, chers internautes.
Le programme de la journée, suivie par dix-neuf participants, était le suivant: il est revenu à votre serviteur d'introduire la journée et de présenter les rapports entre les adventistes et les autres protestants (texte à télécharger dans la note ci-dessus). Richard Lehmann a ensuite enchaîné avec une présentation des mutations récentes de l'adventisme français.
Puis Jean Séguy s'est livré à un témoignage relatif à sa découverte de l'adventisme en Algérie, après quoi Jean Baubérot (ci-contre), puis Jean-Paul Willaime et Françoise Lautman, se sont successivement penchés sur le combat adventiste pour la liberté religieuse (au travers de la revue Conscience et liberté) et sur l'intégration de l'Eglise adventiste dans la Fédération Protestante de France en 2006.
L'après-midi s'est poursuivie avec une intervention de Dominique Kounkou consacrée aux adventistes et Églises chrétiennes d'expression africaine, suivie d'un exposé de Fabrice Desplan consacré aux "parcours de conversion à l'Eglise adventiste", puis Régis Dericquebourg a conclu sur une étude du charisme au féminin au travers de la figure d'Ellen White, prophétesse aux sources de l'adventisme.
Photo de famille d'une partie des intervenants: de gauche à droite, Richard Lehmann, Fabrice Desplan, Sébastien Fath, Jean Séguy, Régis Dericquebourg, Jean-Paul Willaime, Françoise Lautman.
Pour télécharger la photo en haute résolution, cliquer ici: Photo_3_mai_2007.JPG
Je ne résumerai pas toutes ces communications (ce sera sans doute fait dans un autre cadre), mais je voudrais m'arrêter sur celle de Jean Séguy.
Intervention de Jean SEGUY
Né en 1925, Jean Séguy (photo ci-contre) est une figure majeure de la sociologie des religions française des cinquante dernières années. Après un parcours qui l'a conduit de la France à l'Egypte en passant par l'Algérie, Jean Séguy a soutenu sa thèse de doctorat ès lettres et sciences humaines en Sorbonne en 1970. Cette thèse a été publiée sept ans plus tard, et est encore considérée aujourd'hui comme un ouvrage fondateur dans le domaine de la sociologie des minorités protestantes et des courants non-conformistes et évangéliques. Elle s'intitule Les assemblées anabaptistes-mennonites de France, Paris-La Haye, Mouton, 1977 (904 p).
Auteur d'assez nombreux ouvrages, tous de grande qualité, il a notamment contribué décisivement à l'acclimatation de la pensée d'Ernst Troeltsch en France (Christianisme et Société : Introduction a La Sociologie De Ernst Troeltsch, Paris, Cerf, 1980). Membre du Groupe de Sociologie des Religions (l'ancêtre de mon laboratoire, le GSRL) de 1960 à 1993, chargé de conférence à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) entre 1966 et 1990, il s'est également illustré comme directeur et rédacteur en chef des Archives de Sciences Sociales des Religions (ASSR) de 1981 à 1988, revue qu'il a servie de bien des manières, notamment au travers de la rédaction de plus de 200 notices bibliographiques, cadeau immense à la communauté des chercheurs.
Agé aujourd'hui 82 ans, d'une santé fragile, cherchant parfois ses mots, mais les idées claires et l'humour vif, Jean Séguy a pris depuis plusieurs années du recul par rapport aux activités universitaires et scientifiques. C'est pourquoi sa venue en cette journée a constitué une heureuse surprise pour tous les chercheurs présents. Qu'il n'ait pas finalisé de texte pour cette journée ne l'a pas empêché de se livrer à une évocation colorée et suggestive de sa première rencontre avec l'adventisme. Voici la transcription très résumée de ses propres propos:
Script résumé de l'intervention:
"Mon père était fonctionnaire à la régie des Tabacs à Bône, en Algérie, où j'ai effectué mes études primaires et secondaires au collège colonial.. Un jour, mon professeur de dessin s'approche de moi, me tend des papiers, il s'agissait de 'réclame' adventiste. Il me demande "est-ce- que cela te dit quelque chose ? " Non, cela ne me disait rien". Mais à partir de ce jour, j'ai eu envie d'en savoir un peu plus. Quand je me suis retrouvé au lycée, pendant la Seconde Guerre Mondiale, il y avait un étudiant adventiste, qui est devenu, plus tard, pasteur. Il s'est réfugié pendant un temps en France, en zone Sud, comme un certain nombre d'Algériens, dont des mennonites d'ailleurs.
Ce jeune-homme ne mangeait pas comme tout le monde. Il était pourtant d'origine catholique. Je me suis dit: "tiens tiens, voilà quelqu'un qui ne mange pas comme tout le monde et qui a des raisons pour le faire". Nous nous sommes retrouvés ensuite dans l'armée, dans la classe de 1945, où nous avons eu le loisir de faire vraiment connaissance.
Je me rappelle qu'au moment de la vaccination, il fallait déclarer sa religion au 'cabot' (sergent). Ce sergent passait dans les rangs, demandait les noms, les adresses, et.... la religion. Evidemment, les conscrits étaient catholiques à une quasi unanimité. Mais il y avait un protestant. Alors, ce fut la rigolade générale. Il y avait aussi quelques musulmans et quelques juifs, mais là, personne ne riait. Mais pour le protestant, comme on ne savait pas ce que c'était, ce fut le fou-rire. (Jean Séguy observe alors en aparté que l'on peut rire aussi a posteriori de ces rires, mais que cela montre combien les choses ont changé).
Lorsque l'adventiste se déclara adventiste, ce fut la stupeur, et la rigolade totale. Personne ne savait... sauf ce garçon et Jean Séguy, grâce à la propagande que m'avait passée le professeur de dessin. Les autres jeunes gens du régiment vinrent un peu plus tard me demander comment je savais tout ça. Je leur expliquai rapidement. "Mais alors, les protestants, il y en a combien de sortes?" Et nous sommes partis dans une journée d'explication!
A partir de là, il y a eu une augmentation du nombre des gens qui savaient approximativement ce qu'est un adventiste. L'aumônier protestant a su qu'il y avait un adventiste. Il lui a fait savoir qu'il était invité à sa table le dimanche. Et là, l'aumônier fut tout surpris de découvrir que l'adventiste ne voulait rien manger qui ne fût adventiste. Alors, les questions vinrent. Pourquoi? Personne, autour de l'aumônier, ne pouvait donner la moindre explication. Mais peu à peu, la curiosité trouvait des explications.
De mon côté, j'étais désireux de recherches et de rencontres, et les pères blancs, présents là, m'ont beaucoup apporté. Mais ils ne savaient pas non plus ce que sont les adventistes. Voilà des protestants qui prétendaient être chrétiens alors qu'ils n'étaient pas catholiques! Ma curiosité m'a ensuite valu quelques ennuis. On a fait savoir que Séguy avait des contacts avec les protestants mais aussi avec les pères blancs! On n'y comprenait plus rien. On a protesté, on m'a réprimandé. Mais j'ai répondu que les pères blancs, moi-même et le jeune adventiste, nous utilisions après tout une Bible. Ce jeune-homme adventiste avait été élevé à l'orphelinat de Ben Aknoun, je l'ai perdu de vue depuis. Mais ce premier contact m'a donné envie d'élargir mes recherches aux protestations socio-religieuses. Plus tard, quand un élève est venu me reprocher d'utiliser le mot sectaire presque comme un compliment, je lui ai répondu: "si ces sectaires essaient de vivre ce qu'ils considèrent être l'enseignement évangélique, ce n'est déjà pas si mal".
Jean Séguy, abrégé de son intervention du 3 mai 2007
Commentaires
C’est notamment à l’heure des entreprises pareilles comme Journée d'étude ADVENTISME qu’on peut percevoir et même saisir une présence palpitante de l’inconscient collectif. Un sentiment qui est bien difficile de falsifier, il faut être là pour le sentir.