Si tout va bien, deux documentaires sur les Etats-Unis sortis presque simultanément en salle au printemps seront disponibles en DVD d’ici à la fin 2007.
Que valent-ils ? Avant de dépenser vos précieux Euros, chers internautes, voici mon avis d’amateur.
J’ai eu la chance de visionner successivement American Vertigo, documentaire de Michko Netchak basé sur le livre de Bernard Henri Lévy, puis Kings of the world, film de Valérie Mitteaux, Anna Pitoun et Rémi Rozié.
Je sais, cela fait cliché, mais c’est pourtant vrai : une fois de plus, le décalage fréquent entre la médiatisation et la qualité se vérifie. American Vertigo, dix fois plus médiatisé que le second, est un film très moyen. Kings of the World est quant à lui un très bon film. Précisons.
American Vertigo se présente comme un regard subjectif (celui de l’intellectuel Bernard Henri Lévy) sur les Etats-Unis, en forme de vaste road movie.
Pourquoi pas ? Le problème est que la voix off (qui n’est heureusement pas celle de BHL) est trop envahissante. Tandis que les images défilent, on a un peu le sentiment qu’on nous dit en permanence ce qu’il faut penser.
Poncifs
Ce travers, assez typique d’une certaine intelligensia française, pourrait être supportable si le propos était profond. Hélas, c’est rarement le cas. Très peu d’originalité dans l’analyse, des poncifs le plus souvent (sur le «puritanisme», l’ultra-capitalisme, les dérives carcérales des Américains etc…).
Les images, certes, sont belles. Rien que pour cela, le film peut valoir la peine d’être vu. De temps à autres, de belles intuitions, comme dans le passage sur la tradition américaine d’urbicide (on tue les villes quand elles ne servent plus, cf. Detroit et Pittsburg). Certains entretiens valent en outre la peine : celui d’un fils de Ronald Reagan, par exemple, ou de James Ellroy, immense plume du roman noir.
Superficialité
Mais le tout dégage une impression d’egocentrisme péremptoire et de superficialité. C’est encore plus léger que le livre d’où est basé ce film, livre déjà bien décevant au regard du modèle auquel il se réfère (Alexis de Tocqueville).
L’idée force de BHL, comme quoi les Etats-Unis seraient une caricature qui parle de nous, Européens, est non seulement pauvre mais fausse: il met de côté toute la singularité, toute l’altérité américaine, notamment son sous-bassement religieux et protestant spécifique qu’il ne comprend pas et qu’il écarte d’un revers de la main (ou d’un mépris prétentieux), alors que c’est essentiel. Dommage.
Je ne suis pas BHL-incompatible : j’estime que cet intellectuel-journaliste a rendu quelques services éminents à notre pays (honneur lui soit rendu pour sa défense et illustration de la cause bosniaque). Il a un art de la vulgarisation et une élégance rhétorique assez remarquables.
Mais une fois de plus, BHL affiche ici ses limites : bonne rhétorique, sens de l’audace (un robuste ego, cela sert à quelque chose), mais analyse trop rapide et peu profonde, qui parfois suffit, mais souvent tourne un peu court, voire tombe à plat, ce qui est le cas ici.
Kings of the World, par contraste, a du relief, et donne vraiment la parole aux Américains. Plus de commentaire matraqué, mais une plongée authentique et empathique dans un univers, celui des Américains moyens du Midwest, des cow-boys et des serveuses de bar, des bikers en cuir noir, un aumônier de prisons, une réserve indienne et des habitants des trailer parks.
Le fil directeur ici n’est pas la pensée d’un seul, mais les pensées des Américains ordinaires sur la puissance extérieure de leur pays. Filmé sans condescendance, sans mépris, avec sens de l’écoute et une humanité qui sonne juste, ce documentaire offre de vraies clefs pour comprendre les Américains.
"Nous avons été achetés"
Au cœur du Grand Ouest, on navigue de Las Vegas aux ranchs du Nevada. Pendant les élections présidentielles de 2004 qui opposent Bush Jr et Kerry, les langues se délient. Interrogé sur le déclin de la gauche aux Etats-Unis, un gentil colosse barbu répond: «nous avons été achetés» (we were bought).
Décrivant la hausse du niveau de vie, l’aisance croissante de la population, il développe: «we don’t want to rock the boat», c’est-à-dire que tout compte fait, la libéralisation a apporté l’argent, et que personne n’a envie de casser le système.
Marié à une afro-américaine, père ce trois enfants, on voit cet homme rendre grâce à table avec sa famille avant le repas: lui-même plutôt progressiste, critique sur les dérives de l’argent, il apparaît aussi modéré, religieux, et finalement satisfait, même s’il lance, dubitatif: «dans ce pays, plus tu possèdes, plus tu penses que Dieu t’aime»...
Portrait nuancé
Plus loin, on découvre des bikers survitaminés. Homosexuels, ils sont aussi fiers d’être américains, et… plutôt conservateurs. La guerre en Irak? Leur look de rebelles ne les empêche pas d’être pour.
La raison principale : l’impact psychologique aux Etats-Unis du 11 septembre 2001, que les Français ont totalement sous-estimé (et ils continuent à le faire). Facile, depuis la France, de critiquer l’impérialisme américain post-11 septembre. Mais si la France avait la puissance des Etats-Unis, et que des avions fous avaient rasé tout le quartier de La Défense, qu’aurions nous fait? Peut-être autant d'âneries que l'administration Bush.
Au fil des rencontres suivantes, c’est petit à petit un portrait nuancé, sans réponses toutes faites, qui se dégage. Un portrait qui montre qu’au-delà des apparences, «l’Américain moyen» réfléchit, qu’il y a autant de débat outre-Atlantique qu’en France, une grande liberté de parole, mais que les cadres dans lesquelles cette réflexion se dessine sont modelés par une culture et une position américaine très spécifique, parfois paradoxale, qu’il faut prendre le temps de comprendre.
Apprentissage de la langue chinoise... chez les cow-boys
Un épisode qui a particulièrement attiré mon attention: l'autel voué à Superman sur Hollywood boulevard, après la mort de Christopher Reeves... Viennent alors Spiderman et... Zorro qui s'invitent à l'interview, comme pour suggérer: ici, les super-héros ne meurent jamais. Néomessianisme populaire? Ou pur second degré?
Un dernier moment fort, ce cow-boy du Nevada, à la tête d’un vaste ranch. Très conservateur, hostile à la bureaucratie étatique et pro-Bush à 200%, il n’en fait pas moins apprendre à ses enfants….la langue chinoise.
Pourquoi ? Tout patriote qu’il soit, il a en effet bien saisi (mieux que certains intellos français spécialistes en leçons sur la beaufitude américaine) que la Chine s’annonce comme la prochaine super-puissance. Lui l’Américain pur jus, il veut que ses enfants partent en Chine, car là est l’avenir, là est le marché de demain.
Quand un milliard de chinois mangeront du bœuf….. il espère que ses vaches du Nevada serviront encore à quelque chose.
Conservateurs, les Américains? Ce documentaire le confirme, parfois jusqu’au frisson. Mais conservateurs remplis de bon sens, ouverts au réel, plus attentifs qu’on ne croit aux mutations du monde, et parfois persuadés que le colosse états-unien a des pieds d’argile….
Et du coup, ce grand peuple est sans doute mieux armé qu’on ne le dit pour maintenir, encore un certain temps, une hégémonie qui le pose, envers et contre tous, en «kings of the world».
Commentaires
Bonjour,
Merci pour cette brillante analyse.
Pour ma part, j'ai pu vérifier que s'il est vrai que le peuple américain est très pragmatique, il a néanmoins un coeur sincère et un sens de l'accueil hors du commun.
Bien cordialement,
Bonjour,
Juste un petit mot pour vous saluer et vous dire que votre commentaire nous a fait bien plaisir !
Bien à vous,
Anna Pitoun