Incorporer un peu de Sharia dans la loi britannique, pourquoi pas?
Ce raisonnement osé, devinez d’où il vient. Non, pas d’un imam ou d’un théologien musulman. Il nous vient de l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams. Inutile de préciser que ses récents commentaires font sensation.
Pour en savoir plus sur ce débat, et sur le fond des propos tenu par l’archevêque de Canterbury (à la tête de l’Église anglicane), cliquez ici, ou ici (BBC).
Pour ma part, cette affaire m’apparaît tout à fait révélatrice de la complexité du champ du débat multiculturel et laïque.
D'un côté, nous avons un grand leader religieux, réputé consensuel, mainstream, qui plaide pour un élargissement juridique en direction d’une tradition religieuse qui n’est pas la sienne.
Quoiqu’on puisse en penser, c’est courageux!
Il fait la preuve que la religion attestataire dominante (qui correspondrait, en France, au catholicisme de La Croix et de Télérama) est en mesure aujourd’hui d’un immense décentrement culturel et religieux, au point d’aller peut-être jusqu’à la surenchère, en l’occurrence ici, l’incorporation d’une petite portion de Sharia dans la loi britannique, portion de Sharia qui ne s’appliquerait, si j’ai bien compris, qu’aux musulmans.
On ne peut reprocher à l’archevêque d’être incohérent: il défend depuis longtemps une préférence multiculturelle. Dans un discours à Sant’Egidio (2005), cité par Philip Jenkins dans God’s Continent, Christianity, Islam, and Europe’s religious crisis (p.272), il exposait l’idée que l’Europe doit être «libérale», évitant aussi bien le «positivisme» dogmatique qui exige l’invisibilité publique de la religion, et le «pluralisme chaotique», qui élimine toute référence commune et limite le rôle étatique à celui de gendarme.
Vives réactions
De l'autre côté, devant les propos du chef de l’Eglise anglicane sur la sharia, les réactions, on l’imagine, sont vives.
Beaucoup de clercs musulmans soutiennent la proposition, y compris parfois sur le terrain pénal de la Sharia. C’est le cas de la Ramadhan Foundation et (plus prudemment) du Muslim Council of Britain.
Mais les commentaires sont majoritairement hostiles….
On rappelle notamment que la loi, c’est le citoyen, et le parlement, qui la votent en principe...et qu’elle vaut pour tous.
Les chrétiens identitaires s’indignent aussi, évidemment (invoquant le caractère chrétien du Royaume-Uni), mais aussi les défenseurs d’une société sécularisée.
Plus surprenant (et plus intéressant), on voit aussi réagir négativement certains responsables musulmans. Un MP du Labour, Khalid Mahmood, s’indigne en soulignant que «les musulmans n’ont pas besoin d’un traitement spécial», et appelle à la «cohésion de la communauté» nationale.
Salman Rushdie, dont la réaction ne saurait tarder, se situe depuis longtemps sur cette ligne, très critique vis-à-vis d’un multiculturalisme naïf qui risque selon-lui de tendre au relativisme culturel.
A l’heure où, en France, les récents propos de Nicolas Sarkozy ont lancé un large débat sociétal sur la laïcité, il vaut la peine de jeter un œil chez nos voisins britanniques: on réalise qu’entre l’option multiculturelle, portée par des bons sentiments et un souci du décentrement qui peut aller jusqu’à la surenchère, et l’option de la crispation identitaire des «racines religieuses» (forcément chrétiennes), il y a bien voie pour une ligne républicaine et laïque.
Une ligne sur laquelle peuvent se retrouver aussi bien musulmans, chrétiens et autres, parce qu’elle met à distance (sans les mépriser, sans quoi on tombe dans le laïcisme) les références religieuses particulières et repose sur la loi commune fondée sur le vote souverain des citoyens de toutes origines, au nom de la «cohésion de la communauté» nationale (Khalid Mahmood).
NB: vient de sortir, Franck Fregosi (CNRS), Penser l'islam dans la laïcité (Paris, Fayard, 2008)
Commentaires
Il y a déjà un peu de Coran dans la loi française... à Mayotte où existe un statut civil de droit musulman.
C'est une des situations étonnantes analysées dans le livre coordonné par J. Baubérot et J.-M. Regnault sur le thème "relations églises et autorités outre-mer", qui vient d'être publié aux Indes Savantes. L'article sur Mayotte, signé par H. Béranger, est justement sous-titré "legs colonial ou modernité du droit à la différence ?".
Mayotte est un territoire peuplé à 99% de Musulmans. Ce n'est pas le cas du Royaume-Uni. Alors comparons des choses comparables.
Cette déclaration n'est pas fortuite. Il y a quelque temps, le Prince Charles a déclaré dans un grand pays asiatique musulman ceci : 'Nous avons beaucoup à apprendre de l'Islam'.
Le Prince Charles s'est vu proclamé 'sauveur du monde' lors de l'édification au Brésil d'une statue grandeur nature
à sa gloire.
Le droit multi-culturel pose de gros problèmes en Inde : les Hindous ont réagi très fortement ces dernières années, s'estimant discriminés dans leur propre pays par rapport à la minorité musulmane qui peut bénéficier d'un droit musulman de la famille dans certains cas (le droit du divorce en particulier est différent).
L'intervention de R.Williams est pourtant très mesurée (le texte complet est sur son site), et souligne en particulier qu'il ne s'agit pas d'appliquer un code fixe existant depuis plus d'un millénaire mais de faire intervenir une interprétation juridique actuelle de textes religieux. Pourtant il faudrait encore plus de mesure et de prudence si l'on veut éviter les dérives que connaît l'Inde.
J'avais d'abord réagi très négativement lorsque j'ai entendu l'idée de RW résumée à la radio, mais la lecture de son texte m'a fait réfléchir : le problème que nous rencontrons en France est celui de la mauvaise intégration de populations arabo-musulmanes, qui du coup se replient sur elles-mêmes. La proposition de RW (elle ne vaut pas pour la France, de toutes façons) ne donne peut-être pas la bonne réponse, mais a le mérite de poser une question importante : comment, concrètement, tenons-nous compte des gens comme ils sont ?
Une expérience a été menée dans la province canadienne d'Ontario par la procureure générale Marion Boyd en 2004. Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Canadian_Islamic_Congress#Sharia_tribunals
Une expérience d'utilisation de la sharia dans un pays occidental a été menée. On n'en est plus à une simple phase de "brain storming". On a des données expérimentales sur lesquelles s'appuyer.
Je me suis mal exprimé : la proposition de Marion Boyd n'a pas été expérimentée. Mais elle a été relativement loin, avec une proposition très concrête, prête à être votée par le parlement provincial.
Ceci pour dire que c'est un peu dommage de reprendre le débat à zéro, alors qu'il est déjà bien avancé au Canada. En tout cas il est inutile de tomber des nues en pensant que ce genre de proposition peut passer comme une lettre à la poste.
Le danger tient de ce que la sharia est un pouvoir qui ne sépare pas la politique le justice de la religion, Khaldun l'avait évoqué dans l'histoire universelle, il décrivait d'ailleurs l'échec des trois monotheismes du fait que chacune d'entre elles était loi de Dieu et non celle des hommes, décidément lorsqu'ils pensent à l'islam il ne prendront jamais ce qu'il y avait de plus symbolique dans cette religion, c'est à dire l'églaité des hommes et les sciences qui ont amenée le rationalisme en Europe, et la laicité, comment dans des états laiques peuvent servir la loi coranique faite par des hommes ! j'ai du mal là, Cantermachin sait parfaitement l'échec de l'effet du communautariement en angleterre, il renforce iainsi la gétthoisation car quel institution peut mieux s'occuper de la communauté musulmane, cette loi ne fait elle pas aussi défaut aux personnes de confessions musulmanes mais athées ?
Par ailleurs qui dit sharia dit applications de peines, quelles sanctions vont ils pouvoir inventer pour les personnes en présence, alors qu'on sait qu'en territoire musulman, les chatiments peuvent parfois mener à la mort, alors à quand la guillotine, la pendaison et j'en passe !!
je me demande encore une chose, récemment Sarkozy a reçu les représentants du culte et leur a demandé de signer une Charte visant à ne pas sanctionner l'apostazie, la reconversion ou l'athéisme, cette loi relative à la sharia qui pourrait s'étendre jusqu'ici ne pourrait elle pas semer la crainte dans la population musulmane qui les conduirait a la reconversion, c'est peut etre idiot mais quand même!! j'y pense ...
Je ne sais pas ce qui passe par la tête de l’archevêque de Canterbury. Si on introduit "un peu de charia" dans la loi (que signifie d'ailleurs "un peu" ?), alors pourquoi pas "un peu" de loi juive, cathollique, bouddhiste, jéhoviste, scientologiste, et j'en passe. Outre le fait que cela deviendra ingérable dans une société multiculturelle et multiconfessionnelle, bonjour les fatwas, les pogroms, les inquisitions et autres joyeusetés d'autrefois et d'aujourd'hui. Il y a un droit qui doit être appliqué à tous, sans exception. Chez nous, Michel Rocard, lorsqu'il était premier ministre avait dit : "L'école n'est pas multiconfessionnelle, elle est laïque." Je dirais la même chose concernant le droit, faute de quoi notre société devient invivable. C'est un protestant évangélique qui écrit ces lignes. Le droit (anglais ou français) permet à chacun d'exister et de s'exprimer, et la liberté de conscience doit être préservée. Chacun a le droit d'avoir une religion, de ne pas en avoir ou d'en changer. Ce droit est déjà mis à mal dans certains quartiers des villes, ce qui est inadmissible. Si en plus on introduit "un peu de charia", ce sera bientôt la fin de nos sociétés de liberté.
Après toutes ces années d'études et tous ces colloques auxquels vous avez participé, vous n'avez toujours pas compris que l'Islam, quel qu'il soit est ontologiquement insoluble dans la laïcité et a fortiori dans la démocratie !
C'est quelque peu déprimant. On a beau écrire des tas de bouquins, chacun y amenant sa petite graine perso, les faits incitent à observer irrémédiablement une islamisation de notre mentalité. Quelque part, il en va du sens de l'histoire, certainement et peut être est-ce tout simplement logique. Encore faut-il avoir le courage de le dire. Alors, la position courageuse de l'archévêque serait plutôot une position inconsciente et suicidaire : encore faut-il du courage pour se suicider...effectivement