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Nicolas Sarkozy et la laïcité (suite)

1932760342.jpgEntre Religion Civile, catholicisme identitaire et pragmatisme

Ces dernières semaines, le débat sur la laïcité fait rage. Suite aux discours du Latran, de Ryad, sans compter les déclarations récentes d’Emmanuelle Mignon, sa conseillère, au sujet des sectes, la France s’interroge.

Où donc se situe Nicolas Sarkozy sur la laïcité?

Henri Tincq dans Le Monde, il y a quelques semaines, avait soulevé l’hypothèse d’une influence américaine, celle de la Religion Civile, thématique rediscutée ensuite dans L'Express, sous la plume de Claire Chartier.

D’autres évoquent plutôt des relents intégristes, convoquant Charles Maurras au banc des accusés. Après étude du dossier, essayons de démêler les fils du débat.

Partons pour cela de l’intéressante hypothèse soulevée par Henri Tincq, qui voit dans l a «laïcité positive» sarkozienne une inspiration américaine, celle de la Religion Civile.

Mais au fait, qu’est-ce que c’est, la Religion Civile?

772533361.jpgThéorisée par Jean-Jacques Rousseau et Robert Bellah (entre autres), cette notion décrit une religiosité générique qui soude un peuple dans un ensemble de références communes. C’est un ciment national à base de quelques croyances et rites partagés au-delà des références confessionnelles diverses.

Dans Dieu bénisse l'Amérique (Seuil, 2004), je lui consacre un chapitre. Je me bornerai ici à rappeler que la Civil Religion à l'américaine repose sur les quatre principes fondateurs suivants:



Principes fondateurs de la Religion Civile à l’américaine

-1. la politique n’est pas le lieu de l’absolu.
Le lieu de l’absolu est méta-politique, il est d’ordre religieux.

-2. la Religion Civile constitue un ciment social puissant (dimension horizontale), à condition qu’elle soit peu confessionnalisée (croyance en un dieu générique, sans dogmes précis). Elle est un vecteur qui stimule la Société Civile (fonction morale, fonction de solidarité..).

-3. cette religiosité sacralise le consensus national (dimension verticale), dès lors que la Religion Civile est suffisamment consensuelle pour cohabiter avec les multiples croyances particulières, constituant en quelque sorte LE trait d’union religieux et national partagé par tous. «In God We Trust».

- 4. séparation stricte entre l’Etat et les religions, mais pas entre la religion et la politique
Les Américains sont bien plus stricts (et moins hypocrites aussi!) que nous autres sur la séparation religions-Etat. Mais ils mélangent sans complexes religion et politique: des religieux peuvent se mêler de politique et des hommes et femmes politiques prier en public.

Ces quatre principes fondateurs se traduisent ensuite dans des rituels, des événements, des thèmes de discours. En voici quatre, qui marquent depuis des décennies l’actualité américaine.


1391563944.jpgThèmes et manifestations concrètes de la Civil Religion

-1. Accent sur foi et prière (petits-déjeuners de prière, jour national de prière, prières avant les cessions du Congrès, etc.)
-2. Invocation de l’héritage religieux fondateur du pays (rôle majeur de la fête annuelle de Thanksgiving, qui rappelle l’alliance féconde qu’auraient passée les premiers colons avec le Dieu trinitaire).
-3. Messianisme, idée d’une destinée manifeste, c’est-à-dire d’une vocation universelle du pays à porter le flambeau de ses valeurs.
-4. Optimisme indéboulonnable: si Dieu a passé alliance avec le pays, eh bien même le 11 septembre 2001 peut être remémoré «comme un jour de victoire» (dixit Billy Graham le 14 septembre 2001).

Une fois cernée cette Religion Civile à l'américaine, comment situer le positionnement du président français?

Reprenons point par point.


2019540106.jpgNicolas Sarkozy et les fondements de la Religion Civile américaine

Sur les quatre principes de la Religion Civile américaine, Nicolas Sarkozy est en phase avec la première idée.

Il est en partie d’accord aussi avec le second principe, mais pas tant que cela, car le discours du Latran était assez fortement confessionnalisé (catholique: aucun protestant, orthodoxe ou juif ne peut se retrouver dans ce discours). Ce discours du Latran n’était pas du tout conforme à l’accent sur une religiosité générique qui caractérise classiquement la Religion Civile américaine.


Quant aux deux derniers principes propres à la Religion Civile américaine, on ne les retrouve pas du tout chez Nicolas Sarkozy.
Aucune religiosité générique, en France, ne sacralise le consensus. Même la «christianitude» évoquée par Emile Poulat (large héritage chrétien laissé, même si les individus ne sont plus croyants) est loin de faire l’unanimité.

C’est la laïcité, en France, qui rassemble les Français, pas la religion civile, qui suppose un dieu générique que la laïcité française écarte (au contraire du Culte de l’être suprême de 1792 à 1794).

Par ailleurs, la France est marquée par une séparation nettement moins stricte qu’aux Etats-Unis entre Etat et religions (l’Etat finance massivement la réfection de milliers de lieux de culte, l’enseignement confessionnel est lourdement subventionné, le Concordat subsiste en Alsace et en Moselle, etc. etc.). En revanche, il y a séparation beaucoup plus stricte qu’aux Etats-Unis entre religion et politique.


1249184969.jpgNicolas Sarkozy et les thèmes de la religion civile américaine

Alors, Nicolas Sarkozy est-il vraiment parti pour s’inspirer d’une Religion Civile à l’américaine? La réponse est loin d’être assurée. Pour poursuivre l’enquête, examinons maintenant les quatre manifestations concrètes de la Religion Civile américaine, et la façon dont se positionne la présidence française.

Premier axe, l’accent sur la foi et la prière. Voilà des manifestations qui ne sont guère évidentes chez Nicolas Sarkozy ou chez son gouvernement!
Second axe, l’invocation de l’héritage religieux. On est un peu plus proche ici, en apparence, du modèle américain. Sauf que cet accent sarkozyen est rare, et quand il est formulé (Latran), il suscite en France des levées de bouclier; l’effet apaisant que ces rappels entraînent aux Etats-Unis renvoie en France à un effet… explosif!


Le messianisme, en revanche, est plus sensible chez Nicolas Sarkozy (exaltation de la mission française), ainsi que l’optimisme. Mais il n’y a rien de très nouveau dans ces éléments: Dominique de Villepin, en matière de lyrisme et de messianisme, valait bien Nicolas Sarkozy, sans qu’il faille y voir obligatoirement une contagion américaine.


Au total, on s’aperçoit combien la comparaison développée par Henri Tincq avec la Religion Civile américaine est judicieuse, dans la mesure où on se souvient qu'une comparaison n'est pas une équivalence.

La mise en parallèle est éclairante, et souligne effectivement quelques points de rapprochement. Mais comme toute bonne comparaison, elle permet de faire le tri entre les similudes et les différences.

Bilan: les différences l’emportent très largement sur les similitudes.

Si on peut percevoir ici ou là une influence du type "Religion Civile", il apparaît abusif de prêter à Nicolas Sarkozy une inspiration américaine stratégique. La religion civile a été tentée de manière autoritaire, en France, à l’époque révolutionnaire. Elle a échoué.

Depuis, c’est la laïcité qui s’est imposée comme ciment national, et la laïcité reste l’horizon indépassable de tout homme politique français qui entend atteindre et conserver le pouvoir.
Sortir de la logique laïque, c’est s’exclure du jeu, et Nicolas Sarkozy le sait parfaitement. Le président n’est pas fou, il n’a aucunement l’intention d’instaurer une «religion civile à la française», même si on perçoit, ça et là, une influence de cet ordre.


1572556447.jpgUne autre influence: le catholicisme identitaire

Alors, d’où puise-t-il son inspiration? Du catholicisme traditionnel, voire intégriste, comme le suggèrent ça et là quelques commentateurs?

Que ce soit bien clair: on peut écarter l’hypothèse intégriste, celle d’une influence maurrassienne. Ce n’est pas très sérieux, d'autant que Nicolas Sarkozy n'a rien, mais vraiment rien d'une grenouille de bénitier.

En revanche, un catholicisme identitaire (qui réaffirme vigoureusement sa tradition et sa visibilité) joue manifestement un rôle.


On perçoit bien, dans le discours de Latran, l’aspiration à un ressourcement dans un passé fondateur, en partie mythique, celui de la Fille aînée de l’Eglise et du baptême de Clovis, soi-disant «premier souverain chrétien».

Ce registre, qui exalte maladroitement une mémoire confessionnelle particulière au risque d'un vrai pied de nez à la laïcité, nul besoin d'être grand clerc pour savoir d'où il vient: pour une partie des catholiques français (mais une partie seulement), l'heure est à la réaffirmation sur la place publique, y compris par la bouche présidentielle.

La satisfaction à peine voilée exprimée dans la majorité des colonnes que le journal La Croix avait consacrées au discours du Latran semble confirmer cette influence, comme par écho: la «laïcité positive» telle qu’elle est déclinée par Nicolas Sarkozy rencontre manifestement l’intérêt d’une large part du lectorat (mais aussi de la rédaction) de cet excellent quotidien catholique d’actualité.


923434308.jpg La plume du dominicain Philippe Verdin (ci-contre), déterminante dans la rédaction du discours du Latran, est un autre indice de cette marque catholique spécifique, à mi chemin entre le style «Cœurs vaillants» et le style «Signe de piste», recyclés au goût du jour.


Tout bien considéré, ce catholicisme identitaire bien français constitue, au moins autant que la Religion civile à l’américaine, un élément d’influence qui pèse en partie sur la pensée sarkozyenne de la laïcité.



Mais là encore, même si ce catholicisme identitaire colore le discours de Latran, il ne paraît pas constituer pour Nicolas Sarkozy une inspiration fondatrice forte.
En ancien ministre de l’intérieur, il sait parfaitement que le catholicisme n’est plus aujourd’hui capable de mobiliser la majorité de la population, et il n’a aucunement l’intention de restaurer une soi-disant domination catholique, qui apparaîtrait totalement ridicule aujourd’hui, alors qu’à peine 5% de la population va à la messe tous les dimanches.


Ni Religion Civile, ni restauration catholique: priorité à un toilettage pragmatique

On a plutôt l’impression d’un bricolage très pragmatique, non dénu d’un sens de la provocation que le président affectionne, avec trois hypothèses explicatives:

-tenter de fidéliser la clientèle électorale des pratiquants occassionnels ou réguliers


-tenter de renforcer la société civile, dont les acteurs religieux constituent une composante active et socialement engagée


-tenter de réduire le décalage entre une laïcité généreuse dans son principe, et boiteuse dans son application, au nom de sa croisade tous azimuts contre l’hypocrisie française qui clame de grands principes sans assez veiller à leur traduction concrète (on pourrait faire un parallèle avec le débat sur la discrimination positive, le financement des vacances du président, le contrôle des institutions).


Accent sur l'application concrète

C’est sur ce dernier terrain, plus que sur celui de la Religion civile, que Nicolas Sarkozy me semble s’inspirer des Etats-Unis.

Comme beaucoup d’Américains, mais aussi de plus en plus de Français, le président français en a assez des discours incantatoires, déclamatoires, qui masquent une réalité lépreuse.

Il cultive ce côté pragmatique propre à la tradition de ceux qui ont construit la République américaine, pour lesquels l’important n’est pas tant le principe, que son application concrète.



Le vrai débat du centenaire de 1905 commence!

A partir de là, tout dépend comment il pense et met en œuvre ce toilettage laïque.

Citoyens, citoyennes, c’est le moment de participer à la réflexion!

Qu’on soit d’accord ou non avec Nicolas Sarkozy, force est de constater que le président français actuel a ENFIN lancé la vraie commémoration sociétale du centenaire de la loi de 1905, trois ans après le ratage monumental du centenaire de 2005, totalement escamoté par Jacques Chirac et son premier ministre, Dominique de Villepin.



374315345.jpgFaire la laïcité du XXIe siècle: trois courants dominants

Comment donner à notre laïcité une nouvelle jouvence? C’est là que le débat social prend toute son importance, avec trois courants dominants:


-ceux qui font de la surenchère à la laïcité abstraite, au risque de tomber dans le procès d’intention et dans l’incantation désincarnée dont Nicolas Sarkozy... mais aussi de nombreux Français, ne se satisfont plus.


-Ceux qui poussent à assouplir la donne laïque, quitte à écorner la règle du jeu en vigueur, au risque d’ouvrir la boîte de Pandore des revendications particularistes...


-Et ceux qui, tout en s’inquiétant des atteintes possibles à la laïcité dans les propos sarkozyens, souhaitent une meilleure application concrète de la laïcité, à la hauteur de la société française du début du XXIe siècle



NB: pour ma part, en tant que citoyen, j’ai choisi cette dernière option: je plaide pour une défense très ferme des principes de la laïcité (d’où ma signature apposée très tôt sur la pétition de la Ligue pour l’Enseignement), mais aussi pour une application concrète plus efficace et plus juste (d’où mon refus de l’angélisme du statu-quo dans lequel tombent, je trouve, François Bayrou et beaucoup de socialistes).

Commentaires

  • N'y voyez pas provocation, mais si la laïcité était elle-même un non-problème ? En employant ce terme à propos des sectes, Mme Mignon, a peut-être voulu tester la réactivité de la critique, comme vous le suggérez ; mais peut-être l'a-t-elle fait en exprimant sciemment ce que le français moyen pense in petto (c-a-d pas forcément ce qu'il répond au sondage).

    Non que l'opinion publique sous-estime les dangers propres aux sectes, ni qu'elle reste insensible aux ravages psychologiques qu'elles induisent dans des êtres faibles, et souvent des enfants ; mais enfin, Jean Dupont se dit que les sectes n'en sont pas à menacer la République. Si on l'interroge, lui
    aussi veut bien crier au scandale, puisque ça fait intelligent et généreux ; au fond il y pense peu.

    N'en serait-il pas de même pour la laïcité ? 5% dites vous, de catholiques vont à la messe. Donc les autres, l'écrasante majorité non-religieuse, ne se posent probablement pas beaucoup de questions sur la place que doit occuper la religion dans la vie en général, et dans la vie sociale en particulier. Pour faire bête : sans religion, pas besoin de définir la laïcité. Beaucoup de religion, le problème de la laïcité se pose. Très peu de religion, la laïcité est un quasi-non-problème.

    Qu'on en discute beaucoup en France, provient sans doute plus d'une culpabilité refoulée vis-à-vis de Dieu, que d'une réelle inquiétude de voir à nouveau se dresser les bûchers de l'Inquisition, ou la charia remplacer la Constitution. En science, à de certaines époques, on a très bien su trouver d'astucieuses solutions, à des non-problèmes : le problème du phlogistique, celui de l'éther intersidéral, l'origine des canaux martiens, etc. Pourquoi refuser à Mr Sarkozy le privilège de proposer la sienne au non-problème spécifique de la laïcité française ? Elle n'est peut-être pas plus mauvaise qu'une autre.

    Pour terminer le parallèle avec la science, les réels progrès sont apparus quand on a commencé à analyser la substance des choses, et ne pas en rester à l'apparence. La chimie n'aurait pas dépassé l'état d'enfance si elle n'avait pas su décomposer la matière en éléments. Pour ma part, je ne vois pas à quoi peuvent aboutir des réflexions sur la laïcité, tant qu'on analyse pas la substance, l'essence des différentes de religions. N'en parlons pas, sinon c'est la guerre. En raccourci, la laïcité, c'est peut-être ça : ne pas parler de religion. Un non-problème, quoi.

    Gédéon Pilsett.

  • A la différence de l'Amérique, la France possède un héros fondateur non chrétien : Vercingétorix (et ses avatars contemporains Astérix et Obélix).

    L'image de Clovis montre que c'est la France qui a christianisé Clovis et non le contraire. D'où le caractère bizarre, incongru, d'un chef d'Etat prêcheur.

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