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Egypte: francophonie à la dérive

1305095716.jpg J’ai participé du 5 au 9 avril 2008 au Caire à un passionnant séminaire doctoral sur les littéralismes, organisé de main de maître par le professeur Gilles Dorival, en collaboration avec Didier Pralon (MMSH) et Sylvie Denoix (IFAO).

Je ne ferai pas ici le compte-rendu de ce séminaire international (qui associa notamment le philologue allemand Matthias Morgenstern, de l’Université de Tübigen), espérant toutefois que ce carrefour donnera lieu (au minimum) à un recueil de résumés.


Je soulignerai simplement la très grande qualité de l’accueil reçu par l’IFAO au Caire (quartier de Mounira), adossé à un Centre Culturel accueillant et efficace où nous avons pris grand plaisir à échanger.


Je me suis notamment régalé à l’écoute de mon éminent collègue Jean-Pierre Filiu, dont l’étude fouillée sur l’apocalyptique musulmane contemporaine a révélé plus d’un parallèle saisissant avec mes propres terrains de recherche sur l’Antéchrist chez les fondamentalistes protestants!
Cette étude de J-P.Filiu sortira prochainement aux éditions Fayard.


Beaucoup de matière grise francophone, un accueil épatant, une ville-monde bruissante de vie (et de misère) marquée, depuis l’Expédition d’Egypte de Bonaparte, par d’anciennes affinités avec la langue de Molière…
Il est d’autant plus triste d’assister à la lente érosion de la langue française dans ce pays-clef du Proche Orient.

 

1629243066.jpgFrancophonie délaissée 


Fatalité? Peut-être. Il faut bien avouer que face à la langue anglaise, le français a son avenir derrière-lui en tant que langue internationale, même s’il conserve de beaux restes.

Mais est-ce une raison pour creuser sa propre tombe linguistique? Certainement pas, et ce n'est pas Henri Guaino, conseiller spécial de l'Elysée venu plaider la cause de l'Union Méditerranéenne durant mon séjour cairote (nos chemins se sont croisés) qui me contredirait.

L'incurie de notre politique de la francophonie en Egypte n'est guère excusable, ni au regard de l'Histoire (héritage de Champollion), ni au regard de l'actualité (l'Egypte reste de loin le plus grand pays arabe, et un Etat stratégique en Méditerranée comme en Orient).

Les maux de notre francophonie, déjà bien observables il y a 13 ans (j’ai vécu au Caire entre 1993 à 1995, ce qui ne me rajeunit pas) sont toujours là, en pire. Il sont au moins aussi nombreux que les fameuses plaies d’Egypte! Je me limiterai à en rappeler quatre, parmi d’autres:

-Les équipes en place au centre culturel tournent trop vite, sans coordination ni suivi efficace, et sans toujours bénéficier d’un personnel formé aux réalités locales… et arabophone.

-On met trop l’accent sur une politique de prestige (la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, quasiment pas utilisée par les Egyptiens) au détriment d’une politique de formation et d’animation francophone populaire.

-L’apport de coopérants et d’expatriés français et francophone n’est pas assez encouragé. La mort du service militaire obligatoire (avec son corrolaire, la coopération d’Etat) par décision (funeste) de Jacques Chirac en 1997 n’aide pas…
Cet apport reste très insuffisant par rapport au flux d’expatriés anglophones… Et ce n’est pas la fermeture prochaine pour travaux (temporaire semble-t-il) des chambres d’accueil de l’IFAO qui va arranger cela…

-Les budgets ne sont pas assez importants, ni assez stables d’une année sur l’autre. J’ai ainsi appris que la majorité du personnel égyptien francophone du centre culturel du Caire (un personnel souvent remarquable par sa compétence et son dévouement) allait se faire licencier dans les deux mois… Gâchi, vous avez dit gâchi?

Il y a pourtant quelques réussites, comme le maintien d’Al Ahram Hebdo, un périodique francophone de qualité sur l’Egypte et le Moyen-Orient, ou le rayonnement persistant de l’IFAO, toujours incontournable en matière d’expertise archéologique en terre des Pharaons. Mais c’est bien trop peu au regard des défis d’un grand pays en pleine croissance démographique, en mal de modèles et d’avenir.


1890235781.jpgRésultat: alors que d’excellentes écoles de langue (souvent religieuses) continuent à former des milliers de jeunes Egyptiens dans la maîtrise (parfois brillante!) du français parlé et écrit, les élèves, après 18 ans, viennent s’inscrire…. à l’université américaine du Caire.


Quant aux Cairotes, ils roulaient souvent en Peugeot il y a 15 ans…. Ils roulent aujourd’hui en voitures chinoises.


Si Dalida naissait aujourd’hui au Caire, en quelle langue chanterait-elle?

Commentaires

  • Sébastien Tellier n'a pas eu besoin de naître au Caire pour chanter en anglais à l'eurovision.

    Dans la mesure où les Français eux-mêmes ne veulent plus parler français, à quoi bon inciter les Égyptiens ou d'autres à le faire ?

    Autre exemple : Jacques Sémelin de Sciences Po Paris vient de lancer un vaste projet d'études historiques comparatistes sur les violences de masse du XXe siècle. Le projet est financé par le CNRS, le mémorial de Caen ou la communauté urbaine de Nancy, qui sont autant d'institutions publiques. Eh bien pas une seule seconde il n'est question de traduire en français le site internet correspondant www.massviolence.org .

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