Ce n'est pas un scoop: la politique d'immigration actuelle, en France, fait débat.
D'après Le Monde, un avant-projet de loi d'Eric Besson menaçerait de réduire encore les droits des sans-papiers (accélération du processus d'éloignement), en dépit de certaines avancées sur d'autres plans (droits des sans-papiers qui travaillent).
Ce débat n'est pas seulement franco-français. Il touche tous les pays occidentaux, y compris les Etats-Unis, où un vaste mouvement de protestation religieuse vient de se mobiliser.
Ce phénomène m'intéresse notamment, en tant que spécialiste, car il touche directement l'évangélisme américain, poids lourd du paysage religieux aux Etats-Unis (un Américain sur quatre, environ, est évangélique).
Les protestants évangéliques américains, depuis trente ans maintenant, se caractérisent par un positionnement très majoritairement conservateur. Ils développent par ailleurs des réflexes légitimistes plus élevés que dans d'autres milieux. On pourrait donc attendre, de leur part, une discrétion prononcée, quant au combat pour les droits des migrants irréguliers.
L''Administration Obama interpellée
Ce n'est pourtant plus le cas. Face au durcissement de la politique d'immigration initiée par George W. Bush Jr, que Barack Obama n'a (pour l'instant?) pas remis en cause, suscitant une impatience croissante de beaucoup, nombre d'églises se mobilisent, y compris dans les rangs évangéliques. En avril 2009 déjà, des responsables de la National Association of Evangelicals, principal parapluie d'organisations évangéliques aux Etats-Unis, avaient appelé à s'engager dans le débat en faveur des droits des migrants.
Ceci avait débouché, à l'automne dernier, sur une prise de position publique et argumentée sans précédent en faveur des migrants, y compris des migrants irréguliers, appelant l'administration Obama à plus de générosité à l'égard de ces populations fragilisées.
Le ton est monté depuis. Le 26 janvier 2010, des veillées de prière ont été organisées par des évangéliques américains dans six villes particulièrement marquées par les conséquences des politiques anti-migratoires répressives: Phoenix, Denver, Santa Ana (Californie) Chicago, Memphis, et Miami.
Avant-hier, avec une télé-conférence très médiatisée, réunissant des leaders religieux de multiples obédiences allant du judaïsme aux évangéliques, appelant à faire directement pression sur le Congrès pour assouplir les conditions d'accueil des migrants.
L'argumentaire des évangéliques américains en faveur des migrants
Du point de vue de l'observateur, il est intéressant de relever l'argumentation employée. Cinq thèmes ressortent.
Un premier registre est théologique: tous les responsables, à l'image de Berton Waggoner, soulignent le principe de l'égalité de droits en tant que créatures de Dieu, qui demande du coup un respect concret de la dignité des personnes, quelque soit leur statut au regard de la loi.
Un second registre est patriotique: comme l'observe, dans le Washington Post, Galen Carey (ci-contre), directeur des affaires gouvernementales à la NAE, "en tant qu'Américains, ils reconnaissent la richesse de l'héritage apporté par l'immigration". En quelque sorte, l'immigration est revendiquée comme part essentielle de l'identité nationale.
Un troisième registre est pragmatique: les migrants contribuent à la richesse nationale, et, par ailleurs, ils constituent une clientèle importante des églises évangéliques. Comme ces dernières fonctionnent sur le registre d'une "validation par le bas", pour parler comme Danièle Hervieu-Léger, elles ne peuvent pas se désintéresser de la situation sous peine de perdre des foules de fidèles!
Un quatrième registre est compassionnel: la situation concrète de dénuement des migrants devrait solliciter l'agapè chrétien plus que la matraque du garde frontière.
Un cinquième registre est familiariste: au nom même des "valeurs familiales" chères aux protestants évangéliques, on met en avant la cruauté de familles déchirées. Tel est l'angle d'attaque du mouvement "Together Not Torn, Families Can't Wait for Immigration Reform".
Cet argumentaire est d'autant plus audible qu'il s'appuie sur un trend de publications de plus en plus sensibles aux problématiques actuelles de l'immigration, à l'image de Welcoming the Stranger (IVP, 2009), ouvrage diffusé par une grande maison d'édition évangélique américaine, qui plaide pour une pastorale renouvelée à l'égard des migrants.
Dans le même registre, un autre livre récent, The Next Evangelicalism: Freeing the Church from Western Cultural Captivity, signé par Soong- Chan Rah (IVP, 2009), se fait ouvertement l'avocat d'un évangélisme libéré de sa "captivité culturelle occidentale", et appelle, dans son chapitre 8 (Holistic Evangelism) à "apprendre des églises d'immigrants".
C'est l'évidence: ces éléments ne sont pas mis en avant par tous les évangéliques.
D'aucuns ont critiqué les prises de position de la NAE, l'accusant en particulier de trop céder à l'air du temps, ou de s'aligner sur le protestantisme plus "libéral".
Il reste que lorsque l'organe fédérateur principal de l'évangélisme américain monte ainsi au créneau en faveur d'une politique d'immigration plus humaine, cela mérite l'attention des observateurs, et confirme un trait majeur de la culture évangélique: la dimension "grass-root", populaire.
L'immigration n'est plus un épiphénomène mais une réalité structurelle de notre monde globalisé: en contact étroit avec leurs fidèles, les assemblées évangéliques s'en font l'écho, sur des modalités qui vont des thèmes du prêche dominical à l'action sociale locale en passant, comme aux Etats-Unis, par l'activisme public.
A suivre.... sans oublier le terrain européen et franco-français.
Commentaires
Belle analyse.
J'ai l'impression que dans certains milieux évangéliques français, l'absence du 3e registre emporte tout, ce qui induit un rattachement aux politiques répressives ou limitantes de l'immigration : contrairement aux USA, l'immigration est vue comme maghrébine à majorité musulmane, et donc d'une foi différente voire ennemie. En revanche, j'ai remarqué plus de bienveillance pour des migrants d'Afrique noire à culture chrétienne.
Mais cette façon de penser est-elle vraiment réservée à des milieux évangéliques ?
Commentaire H.S. : J'aime beaucoup le nouveau look du blog !