A l'heure où "Des hommes et des dieux" remet au devant de la scène, au travers d'un rappel dramatique, le rapport difficile qu'entretient l'Algérie avec le pluralisme interne, qu'en est-il de la situation des chrétiens?
Seul pays du Maghreb où un citoyen a le droit d'être chrétien, l'Algérie accueille, en terrain protestant, des églises évangéliques ultra-minoritaires, mais en croissance.
Ces dernières semblent soulever des résistances particulières, notamment évoquées (assez longuement) par Eric Denimal et Patrice de Plunkett dans leurs synthèses respectives sur l'évangélisme contemporain.
Un journaliste est revenu il y a trois jours sur ces questions dans un article bien informé du Figaro, signé Arezki Ait Larbi.
L'auteur y traite d'une "escalade dans la répression", amorcée depuis quelques années dans un contexte politique verrouillé de toute part.
Un des enjeux clefs du débat est celui de la démocratisation et du pluralisme. Protestants évangéliques, mais aussi petits groupes chiites (durement réprimés) et Baha'is, sans oublier certains catholiques (ceux qui ne cautionnent pas avec assez d'enthousiasme l'obligation de statu-quo exigée par le pouvoir), gènent les autorités, en tant que représentants d'une aspiration populaire à la diversité.
On use alors de presque tous les moyens "light" (vexations administratives, refus de permis de construire, voire destruction de lieu de culte, arrestations ponctuelles) pour décourager la pratique religieuse minoritaire tout en "donnant le change", au moins aux yeux des naïfs, en matière de respect de la liberté religieuse.
Un des recours utilisé est l'arme idéologique: les nouveaux convertis seraient une importation étrangère récente. Ce n'est certes pas toujours faux.
Comme tout au long de son histoire, le protestantisme s'appuie, en Algérie, sur le soutien de missions, y compris américaines (pain béni pour les contempteurs de l'Oncle Sam).
Présence protestante évangélique depuis les années 1880
Mais dans la plupart des cas, la propagande officielle tombe à plat, car le fragile protestantisme évangélique algérien est en réalité bien plus ancien qu'on ne le dit en haut lieu à Alger. Et il est pratiqué par des Algériens, pour des Algériens.
Baptistes et méthodistes, par exemple, étaient déjà à l'oeuvre en Algérie à la fin du XIXe siècle.
Il existe une oeuvre missionnaire francophone active en continu en Algérie depuis plus de 120 ans.
Chose curieuse, l'Algérie coloniale de 1836 comportait même deux fois plus de protestants que la moyenne protestante de la France hexagonale...
Protestants en Algérie: deux siècles d'histoire
Pour mieux comprendre cet arrière-plan, il faut lire et relire le superbe ouvrage écrit par Zohra Ait Abdelmalek, pasteure réformée en France (d'origine algérienne et ex-musulmane).
Son livre s'intitule Protestants en Algérie. Le protestantisme et son action missionnaire en Algérie aux XIXe et XXe siècles (Lyon, ed. Olivétan, 2004).
Fruit d'un travail de maîtrise effectué à Montpellier avec un expert en la matière, à savoir Jean-François Zorn (auteur en son temps d'une excellente thèse sur la Société des missions évangéliques de Paris), ce livre est clair, complet, très bien informé.
D'une présentation agréable, doté d'une belle bibliographie et d'un index très commode, c'est un "must" en matière d'érudition accessible.
Ce livre, notamment recensé ici sur un site confessionnel, mérite de figurer dans toutes les bonnes bibliothèques: c'est une contribution précieuse à l'histoire du protestantisme contemporain, mais aussi du pluralisme religieux, outre-Mediterranée.
Commentaires
Il faut ajouter à l'article d'Arezki, dans Le Figaro, tout un ensemble de prises de position en faveur de la liberté de conscience qui ont eu lieu en Algérie: de la part d'une partie de la presse (El Watan, Liberté, le Matin), des partis d'opposition, d'associations, au premier rang desquelles la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH) et SOS libertés. Il y a eu des manifestations devant le tribunal. Et n'oublions pas les dessins de Dilem, dans quotidien Liberté (consultable sur internet).
En France, les réactions des défenseurs habituels des libertés sont rares. Ce qui revient non seulement à fermer les yeux sur le comportement du régime Bouteflika, mais aussi à se désolidariser des libéraux et laïques algériens.
La démarche de Sébastien Fath est nécessaire. Bravo et merci.
JB