Près de 5 millions de téléspectateurs ont visionné hier soir, sur le journal télévisé de Laurent Delahousse sur France 2 à 20H, un "Grand format" consacré aux dérives de la fessée aux Etats-Unis (3 décembre 2011).
Le détonateur? Les effets controversés d'un livre vendu à plus de 700.000 exemplaires.
L'auteur n'est autre qu'un pasteur évangélique américain de 66 ans, Michael Pearl, rattaché au No Greater Joy Ministry, un "ministère" spécialisé dans l'éducation des enfants.
Très largement inspiré d'un sujet américain diffusé sur CNN le 26 octobre 2011, puis repris dans la grande presse états-unienne (notamment le New York Times), le reportage de France 2 fait froid dans le dos.
On y apprend notamment que trois enfants sont décédés à la suite de mauvais traitements, dont Lydia Schatz (voir photo ci-dessus), enfant adoptée originaire du Libéria, et Hana Williams (enfant adoptée originaire d'Ethiopie).
Le point commun de ces affaires épouvantables était des profils caractériels, et la mise en pratique zélée, dans les familles (évangéliques conservatrices) des préceptes enseignés par Michael Pearl (ci-contre), notamment l'importance d'une correction physique par le bâton ou le ceinturon (prônés au lieu de la main).
Dérive sectaire sur la base d'une légitimation biblique
Reconnaissons que le reportage de France 2 était plutôt bien fait. On y présente certes des faits extrêmes, mais sans les poser comme représentatifs. On pose en même temps la question de l'éventuelle influence du livre de Pearl, ce qui est effectivement une excellente question à poser.
Le livre, intitulé To train up a child, invite à réflexion, non seulement en tant que symptôme (parmi beaucoup d'autres) d'un"retour de bâton" vers la discipline (sans jeu de mot) après les vagues libertaires de l'enfant roi, mais aussi par son incapacité à contextualiser les passages bibliques cités (surtout du livre des Proverbes).
Sa conception discutable de ce qu'est un enfant fait aussi débat. Par ailleurs, Pearl s'est-il suffisamment interrogé sur l'usage qui pourrait être fait de son livre dans des milieux familiaux déjà préalablement portés sur la répression et le rapport de force violent?
Enfin, défendre l'approbation divine de la fessée par le baton n'est pas sans risque non plus, même chez des lecteurs non caractériels.... lorsque ceux-ci ne pas toujours habitués à interpréter avec recul des préceptes présentés comme bienfaisants, bibliques et vitaux.
Que France 2 mette en lien ces dramatiques décès d'enfants maltraités avec l'usage (extrême) de ce livre de Pearl est tout à fait légitime: il peut s'agir d'un ingrédient, parmi d'autres, d'une dérive sectaire où s'entremêlent milieu familial pathologique et surenchère disciplinaire, le tout assaisonné de légitimation jugée biblique.
Mais rien n'interdit, ensuite, d'aller plus loin. On ne se bornera pas à souligner que des centaines de milliers d'acheteurs du livre ne tuent pas ni ne traumatisent nécessairement leurs enfants... Mais on observera aussi que Pearl est très controversé au sein du très vaste monde évangélique états-unien (plus de 80 millions d'Américains, qui sont loin d'avoir tous acheté le livre).
En élargissant la focale, on lira aussi avec grand profit la remarquable analyse de mon collègue Yannick Fer (GSRL), qui a étudié comparativement les évangéliques de France et de Nouvelle Zélande face aux lois anti-fessée. Il fait notamment observer que ce qui gêne les évangéliques français, c'est moins le refus de la fessée, que le fait que l'Etat se sente obligé de légiférer sur un sujet considéré comme relevant de la sphère familiale.
Des évangéliques divisés sur la fessée.... Mais unis face au refus d'un Etat trop invasif
L'examen du champ protestant évangélique français actuel valide amplement cette analyse. En dehors de tel ou tel groupuscule qui plaide très ouvertement pour la fessée, les évangéliques français apparaissent assez divisés sur le sujet, comme le remarque Yannick Fer à partir d'un examen des commentaires postés sur un site évangélique. En revanche, ils sont quasi unanimes à déplorer l'interventionnisme de l'Etat.... Donner la fessée ou non doit rester la prérogative de l'autorité parentale.
Mais les évangéliques français sont-ils si originaux que cela en défendant ce point de vue? Pas si sûr.... En 2009, 82% des Français s'étaient en effet prononcés CONTRE une loi d'interdiction (sondage IPSOS), considérant que l'Etat n'a pas à se mêler de discipline familiale.
Sans enlever toute pertinence à l'hypothèse du livre de Pearl comme facteur aggravant, aux Etats-Unis, force est de constater que ces chiffres (dont on trouve un quasi équivalent outre-Atlantique) recadrent un peu les choses, et nous rappellent que dans la majorité des familles, en France comme aux Etats-Unis, la fessée ne passe pas forcément pour sectaire.... tant qu'elle ne s'emballe pas dans une surenchère très douteusement "évangélique"..., et pour tout dire inhumaine.
Commentaires
Le problème, c'est aussi ce côté "méthode en kit" appliqué aveuglément.
Au lieu d'utiliser son discernement, on fonce (on cogne) parce que l'auteur à la mode a dit que.
Le problème de rejeter les interventions de l'état dans le cercle familial, et que une quasi majorité de meurtres, viols, et j'en passe et des meilleures, se passent dans le cercle familial.
Il me semble que le cercle familial est aujourd'hui un cercle à la dérive.
Même un couple avec enfant est beaucoup trop petit pour affronter les enjeux de la vie. J'y vois une cause majeure de la plupart des divorces : un couple seul ne peut pas affronter toutes les difficultés, et, même avec l'amour, il est souvent tentant d'accuser l'autre de ce que l'on arrive pas à résoudre.
Avant, il y avait un cercle élargit, avec parents, cousin, même voisinage, Il y avait aussi des risques d'enfermements, c'est vrai... mais autrefois les guerres, les maladies se chargeaient de faire le mauvais travail.
Aujourd'hui, le cercle familial se réduit souvent à femme-courageuse-et-méritante avec enfants.
Je tape souvent du sucre sur la conception en chateau fort assiégé de l'église évangélique, mais j'admets que, pour ce problème précis, cela pourrait être une solution. Et même, de ce que j'observe, c'est déjà une solution.
Ou, aussi, une meilleure législatiion par l'état ?... dans la situation politique actuelle, cela me parait impossible. Ils arrivent même pas à légiférer les prisons et les écoles...
Cordialement.