Ce n'est ni sur le site de la FPF, ni sur celui du CNEF, encore moins sur Regardsprotestants (un portail qui, dans son mode de fonctionnement, réagit toujours avec beaucoup de recul à l'actualité) que j'ai appris la nouvelle, mais sur le portail Actu-chrétienne, remarquablement réactif: Pierre-Patrick Kaltenbach, haut fonctionnaire (énarque et conseiller à la Cour des comptes), intellectuel engagé et franc-tireur protestant français très investi dans les débats du temps, s'en est allé le jeudi 13 mars 2014.
Le site des Associations Familiales Protestantes lui a rendu un bref hommage (lien), à compléter avec le regard personnel, perspicace et bien informé, de Paul Ohlott sur Actu-chrétienne. Le CNEF a également réagi brièvement pour saluer un "défenseur infatigable de la famille" (lien).... et la FPF devrait suivre.
"PPK" a été l'auteur de plusieurs ouvrages engagés, consacrés à démasquer avec beaucoup de pugnacité et de compétence les faux-semblants d'une société française rongée par le corporatisme de caste, l'opacité et le double-langage. Tartuffe aux affaires, Génération morale et horreur politique (ed. de Paris, 2001), est l'un de ses fleurons, désormais téléchargeable gratuitement (lien) sur le site de l'auteur.
On n'oubliera pas de sitôt non plus sa charge ô combien nécessaire contre Les associations lucratives sans but (Denoël, 1996), ouvrage préfacé par Philippe Séguin (téléchargeable ici).
"Poil à gratter" des institutions protestantes, notamment de l'Eglise Réformée de France (fusionnée depuis dans l'EPUF) et de la Fédération Protestante de France, il apportait recul critique et compétence, décapant le vernis bureaucratique ou confessionnel trop facilement lénifiant et auto-satisfait, pour contribuer à révéler de quel bois étaient véritablement construits les projets et principes du protestantisme français. Valeurs? Pratiques de gouvernance? Représentativité réelle? Statistiques officielles? Rien n'échappait au crible de son regard aiguisé.
Non-conformisme salubre et courageux
Il ne mâchait pas ses mots, travaillait beaucoup, se trompait parfois lourdement faute de pondérer suffisamment les données, mais il voyait loin, réfléchissait juste et ne s'en laissait pas conter, au risque de se brouiller avec beaucoup de monde.
Ses immenses qualités intellectuelles et son non-conformisme salubre et courageux se doublaient d'une difficulté à la nuance. Homme d'amitiés fortes et durables, convivial et chaleureux, il n'avait pas son pareil pour creuser fidèlement, avec ses proches (dont Jean-Hugues Carbonnier, Madame de Bousquet,le pasteur Serge Oberkampf, ...), les sillons qu'il s'était assignés.
Son caractère entier rendait les choses plus compliquées dans les collaborations élargies. Du coup, en dépit d'efforts constants, il peinait à savoir s'entourer durablement à cette échelle, plus à l'aise dans le coup d'éclat du franc-tireur que dans la dynamique collective et délibérative. Ce qui l'a sans doute privé de la large audience que son apport intellectuel aurait incontestablement mérité.
Il n'en a pas moins pesé sur les débats nationaux qui lui tenaient à coeur, et a toujours pu compter sur la collaboration éclairée de son épouse (et auteure), Jeanne-Hélène Kaltenbach (1).
Privées de sa houlette impressionnante, comment évolueront les Associations Familiales Protestantes, qu'il avait fortement redynamisées depuis 10 ans en intégrant beaucoup d'évangéliques? La question est ouverte.
Mais on retiendra surtout de lui un acteur majeur d'une société civile autonomisée et responsable. Autonomisée, car libérée du jeu de dupe des compromissions avec un Etat facilement paternaliste, voire féodal (sans l'air d'y toucher...). Responsable, car formée à une pratique comptable transparente basée sur la vérification et la certification.
Lorsque PPK entama ce combat, le défi était immense. La maquis associatif français, très mal contrôlé, ouvrait des avenues aux détournements, à la prévarication, au clientélisme. Tout ceci n'a pas disparu, loin s'en faut. Le réflexe de vérification "par le bas" n'est toujours pas acquis, dans une société profondément marquée par une culture pyramidale où le "chef" ne rend compte qu'au-dessus de lui, jamais en-dessous. Mais grâce à l'oeuvre inlassable, et au plus haut niveau, de Pierre-Patrick Kaltenbach, le paysage associatif français s'est trouvé peu à peu transformé, réformé, assaini.
PPK, un "Monsieur propre" du tissu associatif français? Sans aucun doute.
Un défenseur inlassable d'une société civile plus responsable
Dans un article marquant publié par l'hebdomadaire protestant Réforme du 22 octobre 2009, il publiait en page 14 une forme de bilan d'étape de cette aventure, sous le titre "Vive la transparence, la gouvernance et la certification". Il y faisait état, lucidement et avec un relatif optimisme qu'il n'exprimait pas toujours, des progrès accomplis:
"Dans une situation caractérisée par la crise des finances publiques locales autant que nationales, la mise en oeuvre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et l'intérêt suscité par le Charity Act britannique de 2006, une vérité s'impose à tous: après quarante ans de tabous, la question associative est enfin posée en France".
C'est largement grâce à PPK que la société française, devenue "société de défiance", lente à se rénover, doit d'avoir (en partie) pris conscience de la nécessaire réforme d'un tissu associatif en trompe-l'oeil, trop longtemps plombé par les pratiques opaques (refus de publier les comptes) et le copinage (subventionnements clientélistes).
(1) Jeanne-Hélène Kaltenbach a notamment écrit un roboratif Être protestant en France aujourd’hui, préface Bruno Etienne – Hachette, 1997.
Commentaires
Merci pour cet excellent article! Qui se souvient, suite à l'immense commémoration du tricentenaire de la révocation de l'édit de Nantes pilotée par Jean Baubérot (il fallait voir à la même tribune Paul Ricœur et Henri Blocher; Pierre Chaunu et Elisabeth Labrousse!!!) en 1985 de sa tentative d'Etats généraux du protestantisme? Il avait glissé un bulletin dans le dossier remis aux participants et avait téléphoné personnellement à toux ceux qui avaient répondu favorablement à ce projet (qui ne verra jamais le jour). C'était quelqu'un d'incroyable!
merci de ce bel hommage à mon père.. comme vous l'avez bien cerné!
je ne suis pas longue car le culte d'action de Grace à lieu ce soir et que nous avons tous beaucoup à faire, mais je voulais juste vous dire que sur un point , et un point seulement, vous vous trompez. Je pense que peu d'hommes auront réussi à s'entourer d'amis de la qualité de ceux qu'a su conserver mon père depuis, non pas dix, pas vingt mais parfois 70 ans !
quant aux Afp,quand on a comme bras droits des Serge Oberkampf, des Jean Hugues Carbonnier ou des Madame de Bousquet.... on se sent bien entouré par des amis hors du commun.
Soyez le bienvenu ce soir, il y aura un verre de l'amitié après le culte.
Clémentine Portier-Kaltenbach
Chère Mme Portier-Kaltenbach,
Merci infiniment pour votre commentaire. Ne ne puis malheureusement me joindre à vous aujourd'hui, retenu par des obligations familiales en Picardie. Je prends bonne note de vos remarques et je vous fait entièrement crédit. Je viens de reformuler légèrement ma blognote pour en tenir compte. Mon propos n'était pas suffisamment précis. Car OUI, PPK était un homme d'amitié, qui suscitait admiration et attachement, et a forgé des relations fortes, riches et durables. C'est davantage au niveau du 2e et 3e cercle, celui des collaborations "politiques" (au sens instrumental) que son caractère entier rendait les choses un peu délicates, ce qui a parfois atténué l'impact de sa réflexion.
Je suis triste ,
est ce possible de n'apprendre que maintenant et par le biais de ce blog le départ de PPK.
JE SUIS TRISTE
Triste pour sa famille et ses proches
Il fait partie des personnes avec qui j'ai cheminé avec bonheur; son intransigeance était dynamisante .
Condoléances à toute sa famille et en particulier à Jeanette
Gisèle