Il existe, en France, au moins trois grandes options pour gérer la diversité.
La première, que j'appellerais "républicaine idéaliste", scande les absolus républicains et laïques, ne veut pas entendre parler d'enquêtes ou de recensements de la diversité empirique de la population, et campe sur une rhétorique rigide, volontiers nostalgique, qui agace ceux (et ils sont nombreux) qui se sentent laissés pour compte.
La seconde, qui lorgne sur nombre de pays européens, mais aussi sur les Etats-Unis, plaide pour une transition vers le multiculturalisme et une laïcité "light", arguant du fait que nos amis britanniques, par exemple, paraissent plus tolérants, moins tentés par les extrêmes (ils n'ont pas l'équivalent d'un phénomène Le Pen) , et que les "minorités" paraissent plus cool et plus visibles outre-Manche que dans notre vieux pays jugé ringard et trop étroitement laïque.
La troisième plaide avant tout pour une République laïque qui se donne les moyens d'appliquer concrètement ses principes (on pourrait parler de "républicanisme appliqué"), avec pragmatisme et respect pour la diversité concrète, mais sans transiger sur l'héritage républicain et laïque qu'il faut transmettre et faire vivre dans la France du XXIe siècle.
Un modèle français pas si ringard!
Une enquête récente au Royaume-Uni semble confirmer que c'est cette troisième option qui reste, pour notre pays, porteuse d'avenir.
De quelle enquête s'agit-il?
Il s'agit d'un sondage conduit par l'institut Policy Exchange auprès des jeunes musulmans britanniques, dont les résultats ont notamment été commentés sur LCI.
Vous pouvez le télécharger ici, cela vaut le coup.
Intitulé "Living apart together", ce sondage révélateur montre qu'à l'inverse de ce que l'on pourrait penser, les jeunes musulmans britanniques sont bien plus extrémistes que leurs aînés (alors qu'on devrait espérer le contraire).
37% des 16-24 ans musulmans britanniques souhaitent vivre suivant la Charia, 74% d'entre-eux souhaitent que les femmes musulmanes se voilent en public (contre 28% seulement des plus de 55 ans), et plus d'un jeune musulman britannique sur dix (13%) admire ouvertement Al Qaeda.... De quoi donner des ulcères aux services de renseignements de Sa Gracieuse Majesté!
Autre chiffre plutôt ahurissant: 36% des jeunes musulmans britanniques interrogés estiment qu'un musulman qui se convertit à une autre religion doit être mis à mort ("seulement" 19% des plus de 55 ans pensent la même chose).
Le rapport met lui-même en cause l'extension des politiques multiculturelles mises en place depuis le début des années 1980, qui aurait conduit à une plus faible intégration des jeunes musulmans dans la société britannique.
Il serait extrêmement intéressant de comparer avec la situation des jeunes musulmans en France.
A la lumière des études dont on dispose pour l'instant (mais reproduire l'enquête britannique en France serait plus éclairant), je suis prêt à parier qu'on n'obtiendrait pas tout à fait les mêmes résultats (à vérifier).
On peut critiquer le modèle français (dont une faiblesse reste le décalage entre des beaux principes, et une application concrète insuffisante), mais il reste que ce modèle intégrateur limite les risques de développement séparé (on est côte à côte, mais pas vraiment ensemble), et accentue l'interaction avec la société dans son ensemble.
Cela se constate sur le cas évangélique (dans leur très grande majorité, les protestants évangéliques français n'ont rien de clones des évangéliques états-uniens, par exemple), et se constate très probablement aussi sur le cas musulman. Les jeunes musulmans français rêvent sans doute moins de la Charia que leurs amis britanniques ou pakistanais.
Moralité: ne tapons pas trop sur un modèle républicain intégrateur qui, certes, doit être amélioré dans son application concrète, mais qui, tout compte fait, ménage les conditions d'un "vivre-ensemble" au lieu d'un "vivre côte-à-côte".
Commentaires
Peut-etre - mais les jeunes musulmans britanniques viennent pour la plupart du Pakistan ou du Bangladesh plutot que d'Algerie ou du Maroc. N'est-ce pas la (peut-etre !), la vraie différence, plutot qu'un modele quelconque ?
"Moralité: ne tapons pas trop sur un modèle républicain intégrateur"
Je préfère l'assimilation, vous parlez, pour les musulmans je pense que c'est pareil en France, l'islam a ceci de particulier il pose problème (partout sur le globe) et c'est pas fini, non vous abordez les faits avec un vocabulaire d'expert mais sincèrement je ni croit pas une seconde, non vraiment.
"Cela se constate sur le cas évangélique (dans leur très grande majorité, les protestants évangéliques français n'ont rien de clones des évangéliques états-uniens, par exemple)"
Ou est le rapport ? Peut on parler d'integration pour les evangeliques etant donné qu'ils ne sont pas issus de l'immigration et que par consequent le "clivage culturel " est faible .
Par ailleurs la comparaison avec le cas francais me semble bien peu fondée mais il serait tres interressant d'avoir une etude similaire en France .
A part ca Blog tres interressant Merci
Réponse à Tim et à Etienne,
1/ L'origine des musulmans est une variable intéressante, mais pas pertinente ici. Car ce qui compte là dans l'enquête, ce ne sont pas les chiffres absolus, mais leur évolution. En chiffres absolus, les distorsions avec la France pourraient effectivement être liées à l'origine géographique différente des musulmans (on pourrait faire par exemple l'hypothèse de jeunes Pakistanais d'origine, plus radicaux que les jeunes Marocains ou Algériens d'origine -ce qui reste cependant à prouver...-).
Mais quand on regarde l'évolution des chiffres (entre les plus de 55 ans et les moins de 24 ans), on est bien obligé de constater que cela ne se passe pas de la même manière en France et chez les Britanniques, car les modèles sociaux intégrateurs sont différents. Si les Britanniques défendaient un modèle similaire à celui de la France, il est probable que leur 2e ou 3e génération de jeunes musulmans (quelle que soit leur origine, pakistanaise, hindoue, bengali, maghrebine ou autre) n'afficherait pas une telle variation dans le sens du radicalisme.
2/ Le rapport avec les évangéliques est qu'il s'agit d'une subculture insérée dans une culture globale plus vaste.
Ce que je remarque, c'est que dans un contexte comme celui de la République française, les subcultures (qu'elles soient d'origine immigrée ou non) sont fortement marquées par le modèle centralisateur et laïque. Alors que dans un contexte très multiculturel, ces subcultures ont beaucoup plus d'autonomie, et du coup établissent moins de ponts avec la culture environnante. Exemple: peu d'évangéliques français mettent leurs enfants en école privée confessionnelle ou en "home-school" (car ils sont marqués par la culture laïque). En revanche, beaucoup plus d'évangéliques américains n'hésitent pas à soustraire leurs enfants à l'école publique.
Musulmans, évangéliques, bouddhistes etc... n'affichent pas les mêmes traits suivant qu'ils se développent en contexte multiculturaliste ou en contexte laïque intégrateur. C'est pour cela que j'indiquais que les évangéliques français ne sont pas des clones des évangéliques américains, tout comme les musulmans français ne sont pas des clones des musulmans britanniques.
Je suis d'accord avec votre analyse qui reflète un sondage européen paru il y a peu et mettant en relief le modèle intégrateur français. La laïcité, et surtout, à mon sens la façon dont elle est présente dans les valeurs dites françaises et relayées par exemple par l'education nationale, est une réussite à ce niveau du moins.
En revanche, il me semble également nécessaire d'avoir un regard culturaliste (au sens précis du terme) pour comprendre la totalité du mécanisme d'adhésion aux valeurs socio-politiques que pronent les islam nationaux présents sur les deux territoires nationaux.
p. S. : Merci de nous faire part de telles info qui le plus souvent nous échaperaient ! Bonne continuation.