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La Saint-Barthélémy n'aura pas lieu

Et si la France était devenue protestante.jpgOn connaissait La guerre de Troie n'aura pas lieu, de Jean Giraudoux...

Voici désormais La Saint-Barthélémy n'aura pas lieu, de Joël Schmidt. Publié aux éditions Albin Michel (2011), cet ouvrage s'inscrit dans une veine originale (plus courante chez nos voisins anglosaxons, fans d'Alternate History, férus de débats sur des forums dédiés).

Il s'agit d'imaginer ce que la France serait devenue sans le carnage de la Saint-Barthélémy (1572), prélude à une longue tentative d'éradication du protestantisme en France.

Disons le tout net, cet essai d'histoire alternative est une réussite jubilatoire, et on aurait grand tort de prendre de haut l'exercice, sous prétexte qu'il s'agit d'une reconstruction imaginaire.

Fondée sur une connaissance très fine de l'histoire réelle, cette narration étoffée ne constitue pas seulement une fiction plaisante, agrémentée de surprises étonnantes et d'épisodes croustillants (Louis XIV, monarque calviniste de droit divin, vaut le détour, au chapitre 9!)

C'est aussi un moyen de prendre du recul et de réfléchir autrement aux méandres contemporains d'une histoire marquée par des choix lourds. D'utiles annexes (p.245 à 258) rappellent les écarts (et les convergences) avec l'histoire réelle (celle d'une France devenue catholique).

 

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Nul n'est obligé de suivre l'auteur dans ce qui demeure, naturellement, de l'ordre de la conjecture, de l'hypothèse, et, parfois, de l'apologétique (Joël Schmidt ne fait pas mystère de ses sympathies confessionnelles).

Le livre, en effet, reste une fiction assumée, à apprécier comme telle. L'auteur, interrogé par Nathalie Leenhardt, est très clair à ce sujet.

Il reste que l'ensemble, robuste et savoureux comme un bon flanc aux châtaignes, nous propose une gymnastique salubre de l'esprit (un peu de culture historique décuple le plaisir du lecteur).

Et une invitation, pourquoi pas, à ne pas se résigner aux trajectoires toutes tracées?

"On peut toujours rêver, me direz-vous" (Joël Schmidt, op. cit., p.243). Eh bien, pourquoi pas?

Commentaires

  • Bref, autrement dit : que serait devenue la "fille aînée de l'Église" si elle s'était convertie au protestantisme (calviniste) ?

    A ce propos, quel est le point de vue des évangéliques sur l'héritage catholique de la France, son " folklore gallican" ? Sa qualité de "fille aînée de l'Église" ? de "Royaume de Marie", avec toutes ses apparitions & sites mariaux ?
    Sur le culte du sacré-cœur ? Culte dont la France est le pays d'origine; provenant d'une apparition, non plus mariale, mais du Christ en personne (ce qui est beaucoup + rare) à Marie Alacoque ?

    —> D'un point de vue croyant, ceci tendrait à suggérer un lien privilégié entre la France et le Christ, ce la qui rendrait aussi désirable pour un croyant (les Allemands ne disent-ils pas "heureux comme Dieu en France" ?), que sa qualité de "Royaume de Marie" la rendrait repoussante pour des esprits réformés comme les évangéliques, en tant que pays de la "Mariolâtrie" par excellence.


    Bref, quelle est l'attitude des évangéliques devant ce " folklore gallican" ?

    Ignorance ? Rejet ? Indifférence ? Ou bien reconnaissance ? voire tentative opportuniste de récupération ("entrisme" culturel), en vue de faciliter le prosélytisme ? (= on parle la langue de celui qu'on veut convertir).

    Nous posons surtout la question de la France vue depuis l'extérieur, de l'étranger (même si "l'intérieur" nous intéresse aussi) ; donc surtout du point de vue d'évangéliques ni français ni européens (à commencer par les américains [*], mais aussi ceux d'Asie, d'Afrique, etc) qui ne sont donc pas a priori familiers avec l'Histoire de France, notamment dans ses aspects culturels & religieux les + "pointus", pour ne pas dire "hermétiques".

    [*] Interroger en particulier le point de vue des évangéliques US sur la mythologie franco-catholique aurait ceci d'intéressant (outre qu'il s'agit de la "maison-mère") en ce que l'Oncle Sam est "fils aîné du Protestantisme", quand Marianne est "fille aînée du Catholicisme". Tous deux se croient ainsi à ce titre "exceptionnels" ("exception française" vs. "exception américaine"), étant dotés par la Providence d'un "destin manifeste". Ce qui permet un jeu de symétrie, de miroir déformant, qu'il serait intéressant de sonder.

  • En France, l'alternate history s'appelle uchronie (construit sur le modèle d'utopie). C'est un mécanisme courant dans la science-fiction. Un essai avait été publié il y a quelques années sur ce thème : http://www.amazon.fr/Lhistoire-revisit%C3%A9e-Panorama-luchronie-toutes/dp/2251741232/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1318693034&sr=8-5

  • Pour celui qui aime lire les récits inspirés par l'histoire, fictifs ou pas selon les goûts, et en particulier ceux qui s'inscrivent dans l'itinéraire des chrétiens protestants de France depuis la Réforme jusqu'à la Révolution, je vous conseille le livre de François Bayrou "Ils portaient l'écharpe blanche", paru il y a quelques années (de même que "Henri IV, le roi libre"), très agréable à lire, dans le style narratif d'Alain Decaux ou d'André Castelot. Dans ce livre, F. Bayrou explique comment, en quoi et pourquoi la France faillit ne pas se relever des huit guerres de religion survenues dans la deuxième partie du XVIe siècle, car à l'époque guerre de religion signifie guerre civile. L'atroce tragédie des massacres d'août 1572, perpétrés dans tout le royaume, en a fait partie avec plus de trente mille victimes pour l'époque. Ces guerres inter-religieuses, de mon point de vue, seront une des causes lointaines de la Révolution, pour des raisons qui dépassent le cadre du présent commentaire. Qu'est-ce qui cimenta et fit tenir les protestants au cours de deux siècles de persécutions d'état ? Leur foi, leur discipline, leur culte de famille avec au centre la lecture en commun de la Bible en langue vernaculaire, à laquelle ils étaient très attachés. Les progrès de la Réforme en France furent si rapides que le Chancelier Michel de l'Hôpital évaluait le nombre des adeptes de la doctrine nouvelle au quart de la population du royaume. Le cardinal de Sainte-Croix écrivait à Rome en 1556 : "Le royaume est plus qu'à moitié huguenot". Un fait incontestable est qu'à la mort de Jean Calvin en 1564, il y avait en France plus de deux mille Églises Réformées ! Elles groupaient des gens de toutes conditions sociales : des artisans, des clercs instruits, des notables laïcs, des magistrats, des seigneurs, et même des hommes de la cour royale. Il est donc absolument faux de prétendre, soit dit en passant comme l'ont fait certains, que le génie de la France répugne au Protestantisme ! Mais comme le disait Camille Jullian, professeur au Collège de France au début du XXe siècle : "J'ai peur que les protestants n'oublient, trop souvent, leur propre histoire. Et cependant, dans le récit d'une longue souffrance, ils trouveraient des raisons de fierté et les plus pures des joies." On peut aussi nourrir sa réflexion de ce qui a déjà été, en même temps que de ce qui aurait pu être. "Il ne faut jamais faire confiance à l'avenir. Il ne le mérite pas" (André Chamson).

  • À quand un bouquin : "La Reconquista n'aura pas lieu : et si l'Espagne était restée musulmane ?"…?

    Hé !

    Bien évidemment, nul ne serait obligé de suivre l'auteur dans ce qui demeurerait, naturellement, de l'ordre de la conjecture, de l'hypothèse, et, parfois, de l'apologétique (l'auteur ne faisant pas mystère de ses sympathies confessionnelles).

    Le livre, en effet, resterait une fiction assumée, savoureuse comme un bon flanc aux châtaignes, et à apprécier comme telle - l'auteur étant très clair à ce sujet !

    L'ensemble nous proposant une gymnastique salubre de l'esprit (et un peu de culture historique décuple le plaisir lecteur).

    Et une invitation, pourquoi pas, à ne pas se résigner aux trajectoires toutes tracées?

    "On peut toujours rêver, me direz-vous" (Joël Schmidt, op. cit., p.243). Eh bien, pourquoi pas?

  • Autre sujet d'uchronie possible, dans la continuité de la précédente :

    "La Bataille de Poitiers n'aura pas lieu : et si la France était devenue musulmane…"

    Y'aurait tout un filon à creuser ici…

  • Autre uchronie encore: et si les petits malins avaient su s'arrêter avant de s'embourber?

    Ah, mais la France ne serait plus la France...

    Pour revenir à ce livre, c'est "chaud" comme tentative, mais pourquoi pas? Cet auteur a de l'estomac, c'est ce qui manque bien souvent aujourd'hui.

  • J’aime beaucoup l’Alternative History, et ce livre a l’air passionnant. Par contre, l’entretien de l’auteur me semble un peu exagéré : « Les protestants cherchent à convaincre, pas à détruire... » lit-on.
    C’est une malhonnêteté intellectuelle de penser (et de colporter) qu’au XVIe siècle, face aux catholiques intolérants et fanatiques, les protestants raisonnés étaient des avocats du libre-arbitre en matière religieuse.

    Je cite de mémoire cet échange entre la régente de Médicis et le Vicomte de Turenne : « Le roi ne veut qu’une religion dans ses Etats.
    -Oui, mais nous voulons que ce soit la nôtre ! »

    Il est fort à parier que si le parti protestant l’avait emporté, il ne se serait pas gêné pour imposer sa foi aux catholiques, comme cela s’est produit à Genève ou au Danemark (où les luthériens ont, eux, gagné la guerre de religion locale).

    La vague d’iconoclasme que la France a connu à cette époque relativise également l’affirmation de l’auteur. Quant à la Loi de 1905, « fille du protestantisme », il ne faut pas oublier qu’à ce moment, les protestants des Cévennes et de Charente étaient beaucoup moins « chauds » pour la séparation des Eglises avec l’Etat que les pasteurs parisiens.

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