Suite au massacre du 9 octobre dernier au Caire, qui a laissé 27 chrétiens coptes égyptiens sur le carreau (et des centaines de blessés), victimes d'une violente répression militaire, l'actualité religieuse égyptienne crève l'écran, avec cette question: quel avenir pour les Coptes?
Contrairement à ce qu'on entend parfois, les discriminations et les violences n'ont pas commencé avec l'éviction du président Moubarak.
Mais il est vrai que le climat d'instabilité actuelle accroît les incertitudes, et les risques.
Le carnage du 9 octobre 2011 est d'autant plus significatif qu'il réprimait une manifestation pacifique, qui faisait suite à l'incendie volontaire d'une église copte à Assouan par des militants musulmans, le 30 septembre 2011.
Conclure à une forme de Djihad antichrétien serait excessif, et il faut résister aux amalgames faciles. L'écrasante majorité des 6 à 8 millions de coptes égyptiens vit en sécurité et en paix, même si c'est une paix tendue.
Rappelons aussi que tirer sur la foule est, hélas, une pratique presqu'habituelle de répression en Egypte, pays où les brutalités policières sont légion et où la vie d'un pauvre fellah ne pèse pas lourd face au maintien de l'ordre. Au fil des dernières années, des dizaines de musulmans ont été tués de la sorte, sans que cela émeuve beaucoup les médias occidentaux.
Les chrétiens n'ont donc pas l'exclusivité du martyr. Quand il s'agit de répression, le pouvoir de Pharaon (que son nom soit Moubarak ou un chef d'Etat major) pratique volontiers l'approche inter-religieuse.
Les tirs à balle réelle tuent tantôt chrétiens, tantôt musulmans.
Obsèques des victimes du 9 octobre 2011
Mais ne soyons pas naïfs: les événements du 9 octobre étaient centrés sur l'enjeu du respect de la différence copte. C'est au nom de cela que les coptes manifestaient. C'est de leur liberté qu'il s'agissait. Et on a tiré à vue. Même s'il faut raison garder et éviter les discours simplistes qui jettent de l'huile sur le feu, cela dépasse la répression ordinaire.
Ex-votos sur Facebook et Twitter
S'il ne s'agit nullement de Djihad, il s'agit bien d'une forme d'intimidation, de pression violente sur les coptes. L'ampleur de la répression du 9 octobre, et la participation, semble-t-il, de certains éléments des Frères Musulmans (enquête à suivre), pose clairement la question d'un scénario possible de dérive antichrétienne croissante.
Déjà discriminés depuis longtemps, citoyens de seconde zone (un copte apprend l'arabe à l'école en étudiant le Coran, etc. etc.), les chrétiens d'Egypte s'interrogent. Et se mobilisent.
Ce faisant, ils participent à l'émergence croissante de cet enjeu de demain, dans nos sociétés de plus en plus interconnectées: pourquoi pas une liberté religieuse pleine et entière en terre arabo-musulmane?
A verser aux "sources" futures d'étude de la mobilisation copte actuelle, notons une vague massive de publications sur Facebook et Twitter, version numérique des ex-votos du passé.
On en trouvera une description et une analyse, en langue anglaise, sur le Christian Post (article du mercredi 19 octobre 2011).
Recherches novatrices de Julie Picard
Puisque nous parlons des coptes, je saisis par ailleurs l'occasion pour signaler tout l'intérêt des travaux de la géographe Julie Picard, actuellement en thèse EPHESS, qui analyse le terrain copte sous l'angle du rôle des évangéliques en Egypte en tant que"hub" religieux, relais et refuge pour des migrants évangéliques sub-sahariens par ailleurs soumis à de rudes conditions d'accueil.
On trouvera un résumé de ses recherches sur le site du GEIPE. Pour avoir eu l'occasion, il y a deux jours, de l'écouter lors d'une journée d'études à Toulouse, je ne saurais trop recommander de consulter ses travaux, qui renouvellent les approches classiques du christianisme d'Orient en soulignant les interactions croissantes (observables aussi au Maghreb) avec le champ des migrations chrétiennes sub-sahariennes (Congo, Soudan, Ethiopie).
L'Egypte comporte en effet une minorité copte évangélique, mais aussi une présence d'Eglises évangéliques de migrants africains de plus en plus significative, que Julie Picard étudie. Sur la présence copte évangélique, on notera cette étude sur le rôle des Etats-Unis.
Dans cette belle synthèse publiée en 2008 aux éditions Princeton University Press, Heather J. Sharkey nous donne les clefs pour comprendre l'apport évangélique spécifiquement américain, qui constitue une des matrices de l'évangélisme égyptien actuel, dont les renouvellements (sous l'impact migratoire africain) sont étudiés par Julie Picard.
Commentaires
Merci beaucoup à Sébastien FATH pour cet article. En effet, que ce soit pour la Tunisie ou pour l’Égypte, le "scénario possible de dérive antichrétienne croissante", comme il l'écrit, est hélas très possible, surtout si ces pays instaurent des régimes à dominante islamique extrême à la suite de l'instabilité qui règne depuis le début de ces révolutions nationales.
C'est pour cela que je pense pour ma part qu'il est indispensable que de plus en plus de gens soient informés en France de ces situations et que les organisations internationales comme "Portes Ouvertes", "Aide aux Églises dans le Monde (AEM)", "Aide à l’Église en Détresse (AED)", qui viennent en aide aux chrétiens persécutés à-travers le monde, quelle que soit leur appartenance confessionnelle, soient de plus en plus soutenues sur tous les plans.
En Iran par exemple, ce type de soutien, par pétitions notamment, a permis de faire remonter jusqu'au sommet de l'état iranien, via la pression diplomatique et médiatique, en particulier l'intervention de Hillary CLINTON, l'affaire d'un pasteur, Youcef NADARKHANI, marié, deux enfants, condamné à mort par le régime parce que chrétien et ne voulant pas revenir à l'Islam. Il attend actuellement en prison l'exécution de la sentence.
Chacun de nous peut donc agir à son échelle.
Cordialement.
https://secure.wikimedia.org/wikipedia/fr/wiki/Youcef_Nadarkhani
On ressent à la lecture la prudence qui est vôtre. Cela est probablement dû à votre fonction mais en plus au fait que ce blog est public. Peut-être je me trompe. Veuillez m'en excuser d'avance.
J'aimerais vous demandez un léger éclaircissement par rapport à deux de vos formulations:
"Conclure à une forme de Djihad antichrétien serait excessif, et il faut résister aux amalgames faciles. L'écrasante majorité des 6 à 8 millions de coptes égyptiens vit en sécurité et en paix, même si c'est une paix tendue."
et
"Déjà discriminés depuis longtemps, citoyens de seconde zone (un copte apprend l'arabe à l'école en étudiant le Coran, etc. etc.), les chrétiens d'Egypte s'interrogent. Et se mobilisent."
Comment peut-on à la fois vivre en sécurité et en paix tout en étant discriminé depuis des siècles et en étant un citoyen de seconde zone?
De nombreuses études ont démontré que la confrérie des frères musulmans sont les pires ennemis des coptes bien avant le pouvoir qui était au Caire.
Quand à une éventuelle liberté religieuse pleine et entière en pays arabo-musulman relève, pour moi, de la simple utopie.
Merci quand même pour les informations sur le sujet.
"pourquoi pas une liberté religieuse pleine et entière en terre arabo-musulmane?"
Parce qu'à mon avis, liberté religieuse et islam sont incompatibles. Et on le voit à peu près partout dans le monde musulman.
La Tunisie aura probablement un gouvernement islamique "modéré" (la bonne blaque !) élu démocratiquement. Et la Lybie aura la Charia. Merci à Sarkozy et Juppé d'avoir soutenu le CNT ! Ils ont aidé à remplacer une tyrannie par une autre qui sera pire. Il y a eu un précédent, mais l'Histoire ne sert pas de leçon : Giscard d'Estaing avait accueilli en son temps celui qui a fait de l'Iran une république islamique. Et on n'a pas fini d'en subir les conséquences.
Votre islamphilie vous perdra.
Amicalement quand mêe
Un article intéressant sur les Coptes dans le journal "La Croix" : http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/A-la-rencontre-des-coptes-d-Egypte-_EG_-2011-10-20-725585