Une expression populaire dit que derrière tout grand homme il y a une femme.
Moi je dirais plutôt: "à côté de tout grand homme" il y a une femme, et Michelle Obama, épouse du prochain président des Etats-Unis, vérifie parfaitement la formule. Elle n'a rien d'un rôle secondaire, et dans le portfolio de la prochaine présidence, elle ne fera pas tapisserie!
Beaucoup a été dit sur le profil de Michelle Obama, née en 1964 dans le South Side de Chicago, brillante juriste, soutien sans faille de son mari et mère de famille de choc.
Je renvoie notamment à cette très bonne enquête réalisée par le magazine féminin Elle, consultable ici.
"Michelle Obama, la Jackie Kennedy noire".
Rebuffades
Elle raconte elle-même, sur ce site officiel, la façon dont elle a rencontré Barack Obama, puis s'est associée à ses buts socio-politiques au nom des mêmes valeurs réformistes.
Ce choix n'a pas été facile, et cette descendante d'esclaves a dû essuyer, autant que son mari, attaques et rebuffades, comme par exemple cette très déplaisante caractérisation faite par la chaîne conservatrice Fox News, en juin 2008, sur le fait que Michelle Obama serait la "baby mama" de Barack Obama, expression héritée du temps de l'esclavage, et qui veut dire: Barack Obama ne serait pas le vrai père des enfants du couple...
Sans commentaires...
Ce que je commenterai en revanche, ce sont les facteurs d'explication de l'engagement public de Michelle.
Un facteur d’explication déterminant tient… dans la personne de Michelle, manifestement dotée de qualités personnelles hors du commun, dont l’intelligence, la force de travail, l’abnégation et le charisme.
Mais n’étant pas psychologue, ni coach personnel de Michelle Obama, je me garderai bien de développer sur ces points, pour m’intéresser ici plutôt aux facteurs socio-culturels. J’en distinguerai trois.
Woment’s rights : une avance culturelle des Etats-Unis
Le premier est la culture américaine.
N’oublions jamais que les Etats-Unis cultivent, de longue date, une forte ‘avance’ culturelle par rapport à la France en terme de participation officielle des femmes à la vie publique.
Le caractère pionnier des Etats-Unis, terre où les proscrits de partout sont sensés trouver «justice pour tous», n’est sans doute pas pour rien dans cette avance.
Moins corsetté que les sociétés européennes traditionnelles, le Nouveau Monde a favorisé la réforme et l’émancipation de celles qu’on confinait systématiquement au rôle de gardiennes du foyer.
Résultat : les femmes américaines ont obtenu le droit de vote dès 1919 (mais dès 1893 pour le Colorado!), tandis qu’il a fallu attendre 1944 pour que les femmes françaises bénéficient du même droit... contre l'avis de la Gauche d'ailleurs...
Les Américaines se sont également impliquées plus tôt que leurs homologues françaises dans la vie politique, et ont eu accès bien plus tôt qu’en France aux études supérieures (la première femme médecin est américaine, dès 1849).
Michelle Obama s’inscrit dans cet héritage culturel américain favorable aux Women’s rights.
Protestantisme : un creuset d’émancipation
Le second facteur culturel dont bénéficie Michelle Obama est le protestantisme. Protestante elle-même, citoyenne d’un pays modelé par l’héritage protestant, Michelle Obama a intériorisé l’idée d’un sacerdoce universel qui inclut les femmes.
Ce qui veut dire ? Cela signifie qu’en dépit du conservatisme de beaucoup de milieux protestants, circule cette idée que le genre (masculin ou féminin) n’est pas (plus) un critère déterminant pour décider de celui, ou celle, qui va dire l’Essentiel.
Le sacerdoce n’est pas réservé à une caste de prêtres masculins, auxquels on interdit tout union charnelle et tout destin conjugal partagé avec une femme.
Le sacerdoce s’ouvre, d’abord à des pasteurs masculins mariés, ensuite à des laïques, et enfin à des pasteures femmes (mouvement qui commence –timidement- dès le XIXe siècle). Cette marque protestante a considérablement porté le mouvement du droit des femmes aux Etats-Unis.
La biographe et fille de Jeanne Saillens (1856-1941, ci-contre), une protestante française qui a marqué son temps (épouse du pasteur baptiste Ruben Saillens auquel un blog est consacré), indique qu’à l’occasion d’un voyage outre-Atlantique en 1918, Jeanne admira:
“(...) la manière simple dont les femmes prennent la parole dans les assemblées, ainsi que l’estime qui les entoure. Elle est très frappée de voir une femme, présidant une grande réunion missionnaire, rappeler gentillement à l’ordre un orateur qui a dépassé le temps prescrit, en mettant devant lui, discrètement, son sac à main élégamment brodé de perles. Cette visite aux États-Unis fit de Mme Saillens une féministe décidée et lui donna de l’assurance quand elle dut prendre la parole en public. (...)»
Comme un acquis et un moteur, cette précoce ouverture protestante états-unienne à la parole féminine publique, encore amplifiée depuis 40 ans, y compris dans les milieux des White Evangelicals et des Black Churches (qui comptent nombre de pasteures), n’est pas pour rien dans la réussite professionnelle de l’avocate qu’est devenue Michelle Obama.
Ajoutons qu'elle s'est nourrie, comme son mari, de la veine diverse de la Black Liberation Theology, ancrée dans la tradition protestante issue des Negroe Spirituals et du Gospel: le Dieu de la Bible n'est pas là pour asservir, mais pour briser les chaînes... quitte à provoquer, susciter le débat, et, parfois, choquer (cf. les dérapages du révérend Wright, pasteur durant 20 ans de la famille Obama).
Héritage de l’esclavage : la femme comme potomitan
Enfin, un dernier facteur culturel majeur tient dans l'héritage de l'esclavage.
En Amérique du Nord comme aux Antilles, les femmes ont cultivé un habitus de responsabilité d'autant plus grand que les hommes, réduits à la servitude forcée dans les plantations, étaient absents du foyer, humiliés par les maîtres et infériorisés.
De ce fait, aux Antilles, les femmes sont ainsi les "potomitans" de la famille (axe porteur), et détiennent une autorité très considérable. Je renvoie là-dessus au travail notamment accompli par le sociologue Jean-Claude Girondin dans la thèse EPHE qu'il a consacrée aux églises antillaises en région parisienne.
Ce statut de potomitan à forte autorité se retrouve aussi dans les structures familiales afro-américaines des Etats-Unis, avec ces deux traits récurrents, héritage des méfaits de l'esclavage: tendance du mari à esquiver les responsabilités, car infériorisé et considéré comme non-fiable, et sur-responsabilité de l'épouse et mère, garante de la sauvegarde de la cellule familiale.
Dans le cas du couple Obama, Barack a spectaculairement rompu avec ces habitus stéréotypés hérités de l'esclavage, en s'affichant en bon mari et bon père de famille.
Michelle, quant à elle, s'inscrit dans la ligne de ces femmes qui, durant des générations, ont emblématisé avec autorité le courage et l'abnégation de mères et épouses à poigne, défiant la fatalité de l'esclavage et de ses héritages jusqu'à la libération.
Nul doute qu'avec un tel profil, Michelle Obama écrira une page inédite, utile et passionnante de la grande saga sur les "First Ladies et la foi", thématique qui passionne depuis longtemps les Américains, et nourrit une veine éditoriale souvent sirupeuse.
Pour aller plus loin...
Sur ces défis portés par les femmes protestantes afro-américaines, il existe une abondante bibliographie.
Quand on aime la littérature, il faut lire Toni Morrison!
Dans le champ des sciences sociales, je me limiterai ici à ces quatre titres en anglais (cliquer sur les icônes de couverture):
Nota Bene: je ne résiste pas, pour finir, au plaisir de vous inviter à regarder ces magnifiques galeries photos qui ouvrent une lucarne originale sur les mois de campagne que Barack Obama a affrontés aux côtés de son épouse Michelle.
Elles sont proposées par Time Magazine (cliquer sur la photo pour le lien)