Cette question peut nous paraître farfelue, à nous Français.
Détrompez-vous: elle est très sérieuse, et influera sur les quatre ans d'exercice du pouvoir du futur 44e président des Etats-Unis.
Le messianisme, une composante du mythe américain
Pour comprendre pourquoi la question du messie est importante dans l'histoire américaine, il faut commencer par rappeler que le messianisme constitue une des composantes de base du mythe national américain.
1/ L'idée que l'Amérique, terre de liberté, serait porteuse d'une mission d'émancipation universelle, est une des idées les mieux partagées, par-delà le cercle des pratiquants religieux, comme je le rappelle dans Dieu bénisse l'Amérique (chapitres 3 et 8).
2/ Il faut rappeler ensuite que les Etats-Unis sont imprégnés de culture biblique, et passionnés d'eschatologie (science des fins dernières).
3/ Il faut souligner enfin que juifs comme chrétiens (et même une partie des musulmans) adhèrent, à des degrés très divers, à l'idée d'un messie qui reviendra sauver la situation.
Voilà pourquoi la question sur la messianité de Barack Obama n'est pas si farfelue qu'elle en a l'air.
Obama, faux messie: un angle d'attaque constant des républicains
On comprend mieux, dès lors, pourquoi le camp républicain a soigneusement cultivé, depuis mai 2008, l'idée que Barack Obama se présente comme un messie.
Jouant sur des citations tronquées, des montages savamment ciselés, les stratèges de McCain ont largement répandu l'idée, chez les électeurs chrétiens, que Barack Obama aurait tendance à se prendre pour un messie...
On s'est appuyé pour cela sur des discours, des allusions en interview, des caricatures publiées dans la presse conservatrice, des blogs thématiques, et des vidéos diffusées sur le Web.
Et depuis, elle court elle court, la rumeur...
Obama, un Antéchrist?
Comme un messie, pour un chrétien, il n'y en a qu'un (Jésus-Christ), suivez mon regard.... L'état-major de campagne républicain ne l'a jamais dit, mais il l'a pensé très fort: en présentant Obama comme un messie d'emprunt,un "Elu" équivoque, "The One" (cf. une vidéo massivement diffusée sur le Net), on laisse entendre qu'Obama ne serait autre qu'un Antéchrist.
Une imitation frauduleuse de Jésus-Christ, destinée à tromper les braves gens.
Conclusion: votez Républicain, et l'Antéchrist sera défait!
L'argumentation de l'accusation
A l'appui de cette interprétation a priori olé-olé, les républicains se sont adossés sur certains éléments d'apparence solide aux yeux des électeurs conservateurs.
-A/ Les énormes sommes d'argent collectées par Barack Obama (de loin le candidat le mieux financé de la campagne) laissent suggérer qu'une telle masse financière est trop impressionnante pour être honnête. N'y aurait-il pas quelque maléfice là-dedans?
-B/ La maestria avec laquelle l'équipe d'Obama a utilisé les nouveaux médias numériques et l'image, portée par un professionnalisme sans précédent dans ce domaine, n'évoque-t-elle pas de loin la Bête de l'Apocalypse, figure qui règne à partir de la fascination qu'elle exerce sur les foules?
-C/ La rhétorique d'Obama a volontiers utilisé le registre de la foi et de l'espérance qui transforme (Change We Can Believe in, Hope, etc...), porté par un charisme de prédicateur inspiré (Obama ferait un très bon télévangéliste).
-D/ Enfin, Barack Obama est un vrai leader charismatique, à l'inverse de Kerry ou de Al Gore.
Il a suscité des phénomènes d'adhésion considérables, fervents, rehaussés par le rejet dont faisait l'objet, dans le même temps, l'Administration Bush Jr et son bilan désastreux.
N'y aurait-il pas là un détournement de la posture christique... s'interrogent certains?
Un soupçon qui s'est ancré chez quelques millions d'Américains
C'est principalement autour de ces quatre registres d'argumentation que l'équipe McCain a partiellement réussi à imposer l'idée, chez quelques millions d'Américains ultraconservateurs, que Barack Obama serait une sorte de messie de contrebande, pour ne pas dire un Antéchrist.
Du coup, un gigantesque buzz internet oppose depuis quatre mois les partisans (minoritaires) d'un Obama antéchrist, aux opposants (majoritaires), dont de très sérieux théologiens, obligés d'expliquer doctement, Bible à l'appui, pourquoi le prochain président des Etats-Unis n'est décidément pas l'Antéchrist.
Munitions à fragmentation
On doit considérer ces graines semées par McCain et son équipe comme autre chose que des confettis sans lendemains...
Ce sont des munitions à fragmentation, éparpillées un peu partout dans les consciences, prêtes à exploser dans les mois ou les années à venir...
Décryptage: un nouveau président low profile
Venons en maintenant au décryptage. Que valent ces insinuations politico-religieuses?
Disons le tout net: le dossier présenté par les accusateurs d'Obama ne tient pas.
Du reste, l'angle populiste et diffamatoire choisi trop souvent par l'équipe McCain ces derniers mois n'a pas convaincu, donnant à la campagne républicaine un ton extrémiste et caricatural qui a déçu la majorité des citoyens américains.
Même Jerry B. Jenkins et Tim Lahaye, considérés comme les spécialistes hors pairs de l'Antéchrist (filon à partir duquel ils ont vendu des dizaines de millions de romans apocalyptiques, la série Left Behind), ont formellement déclaré qu'Obama ne saurait être l'Antéchrist.
Cliquer par exemple ici, et là.
Ouf, on est rassurés... Sauf que quelques millions d'Américains continuent à avoir des doutes. Ils devraient pourtant constater que...
-Barack Obama n'a rien d'un dictateur mégalomane: quoiqu'excellent orateur, c'est un homme plutôt discret, réputé très facile à vivre. Son épouse ne s'est pas privée, à maintes reprises, de rappeler qu'il "n'est qu'un homme", qui, à l'occasion, pue des pieds...
-Bien qu'il ne soit pas à l'abri d'une certaine vanité, c'est aussi un homme qui ne se prend pas au sérieux, qui aime se jeter dans la mêlée des basketteurs sous le panier, et qui pratique volontiers l'autodérision. Aux antipodes du Séducteur infatué de sa personne que serait l'Antéchrist décrit dans Left Behind sous les traits de Nicolae Carpathia...
-Quant à ses accents sur la foi et l'espérance, ils tiennent simplement aux convictions religieuses et sociales d'un réformiste porté par le désir de changement, à l'image, à l'époque, d'un Jimmy Carter (version démocrate) ou d'un Ronald Reagan (version républicaine).
Rien de très nouveau là-dedans, si ce n'est que McCain, fort peu religieux, était moins à l'aise que lui dans ce domaine...
-Enfin, même si l'on peut, à bon droit, se montrer préoccupé par l'énorme machine de guerre financière mobilisée par l'équipe Obama au service de la victoire, faisant triompher le plus riche des staffs candidats, il faut relativiser ce poids en rappelant que les campagnes électorales américaines drainent toujours de grosses sommes: et plus un candidat semble favori, plus il en draine, ce qui fut le cas d'Obama cette année.
Conclusion: si l'on peut parler de messianisme en ce qui concerne Barack Obama, c'est d'un messianisme tempéré et finalement très classique, fondé sur une adhésion aux valeurs américaines, une foi religieuse portée vers l'amélioration des choses, et un sens des limites: non, trois fois non, Obama ne se prend pas pour Jésus-Christ.
Là où un messianisme peut en cacher un autre
Mais ne refermons pas le dossier trop vite!
Pour ceux qui n'ont pas encore lu Dieu bénisse l'Amérique, j'en rappelerai la thèse principale: à côté d'un messianisme classique (celui qu'on repère, par exemple, dans l'équipe d'Obama) fonctionne aussi, au coeur de la culture politique américaine contemporaine, ce que j'appelle un néomessianisme.
Ce néomessianisme se caractérise par une lente intramondanéisation de l’utopie de Salut.
Késako? Cela veut dire que l’Oncle Sam d'ici-bas tend graduellement à remplacer le messie des chrétiens dans l'imaginaire social.
L’Amérique ne se fantasme plus comme le meilleur serviteur d’un Jésus cosmique et vainqueur, elle se substitue purement et simplement à lui comme vecteur d’un salut parfait mondialisé dont les fruits se dégustent ici et maintenant au cœur de la société états-unienne.
En clair: le modèle américain, l'American Way of Life, devient le Paradis sur terre, au prix d'une idéalisation forcenée de la force du modèle américain.... quitte à écraser en route les obstacles qui dérangent (cf. guerre contre l'Irak).
Héritage des néo-conservateurs
Très résumée, cette hypothèse néomessianique trouve à s'alimenter dans une large production idéologique principalement portée par ce qu'on appelle les néo-conservateurs.
Or, ces néo-conservateurs (Richard Perle, ci-contre, et tutti quanti), qui ont lourdement marqué la première présidence Bush Jr, s'étaient fait discrets sous la seconde présidence Bush, enlisement en Irak oblige.
Mais ces idéalistes, promoteurs d'un nouveau siècle américain sans nuages, n'ont pas baissé les bras... Devinez où on retrouve bon nombre d'entre-eux ces derniers mois?
Eh non, pas chez Obama, qui se montre, lui, méfiant face à toute idéalisation du modèle américain, dont il connaît fort bien les imperfections (héritages de la ségrégation, racisme, inégalités...).
C'est chez John McCain, avocat acharné de la poursuite de la guerre en Irak, qu'on retrouve certains de ces apôtres du néomessianisme américain où l'Oncle Sam s'arroge le statut de Sauveur du monde.
Un Mc Cain qui n'hésitait pas à considérer les Etats-Unis comme la "plus grande force de bien de l'histoire de l'humanité".
Demandez aux enfants irakiens, aux chrétiens de Mossoul chassés en masse sous l'effet des conséquences de la guerre irakienne, ce qu'ils en pensent...
Conclusion générale: l'ironie de cette histoire est que les républicains ont réussi à semer le doute, dans une frange de l'opinion américaine, au sujet de la messianité suspecte d'Obama... Alors qu'en réalité, s'il y a un messianisme suspect d'excès et de dérives, c'est bien celui nourri dans les rangs de l'état-major républicain du candidat McCain, héritier forcé de la politique de George W. Bush Jr.
Un néomessianisme en recul, mais toujours là, sur fond d'intérêts militaro-industriels portés non seulement par les néo-conservateurs, mais aussi, et plus encore, par les faucons et affairistes réalistes du style Dick Cheney.
Du point de vue du citoyen, espérons que les mois et les années à venir préserveront Barack Obama des "mines" à fragmentation idéologiques dispersées durant la campagne par les tenants du Salut militaire et stratégique américain.
Les gardes du corps du nouveau président ne chômeront pas: on leur souhaite plein succès.
Commentaires
Excellente note, vraiment... De quoi éclaircir la situation, car si beaucoup ont pensé lors de l'élection qu'on faisait dObama un Messie et que la déception alait en résulter, peu sont capables d'exprimer avec quels ressorts culturels et religieux cette iconographie d'Obama s'est construite aux USA...
Merci une fois de plus à Sébastien Fath pour cet éclairage précieux sur la construction en marche de cette nouvelle figure de saint-politique! Merci aussi pour ce précieux support de réflexion. Si on le suit bien, Obama est le produit de l' "intramondanéisation de l’utopie de Salut" dont il avait déjà l'intuition dans "Dieu bénisse l'Amérique" en montrant bien le transfert de transcendance opéré par la religion civile américaine vers l'ici et maintenant. Chacun souscrira sans peine à son analyse en observant toutefois qu'Obama est un christ sans passion (au sens sacrificiel), un rédempteur cathodique! Il colle bien à la dimension propitiatoire voire même expiatoire des théologiens du process qui s'accomodent d'un christ immanent, entendu comme toute force opérant dans les limbes de l'histoire. Une des questions qui se posent porte sur la viabilité en moyenne durée d'une proposition de salut sans drame. S. Fath est trop fin observateur pour ne pas se rendre compte que si le sacré-politique est une spécificité américaine, il ne peut s'agir que d'une spécificité partagée. Plus ça change, plus ça recommence... Il suffit d'évoquer le très bel exemple exposé par Shahid Amin dans "Event Metaphor, Memory" sur Ghandi déifié, "Saints and postmodernism d' E. Whyshogrod" ou encore " Saints and virtues" de J. S Hawley pour se convaincre que ces mécanismes dépassent la sphère du judéo-christianisme occidental et de la société de surconsommation de l'autre (star). Même dans le cas de la France , bien que fortement marqué par le laïcisme post-révolutionnaire Raoul Girardet (Mythes et mythologies polithiques), mais surtout Monna Ozouf (L'homme régénéré) nous ont montré que l'espace sociopolitique n'est pas imperméable aux ressorts métaphysiques de mobilisation.
ne peut-on pas aussi dire que, dans une certaine mesure, la France aussi se voit comme porteuse d'un message universel, les "droits de l'homme" ? n'est-ce pas aussi une forme de messianisme politique, même s'il n'est pas de même nature que celui des Américains ???
Le débat sur les croyances d'Obama étant toujours d'actualité, je tenais à signaler la publication d'un entretien sur Beliefnet qui mérite d'être lu: http://blog.beliefnet.com/stevenwaldman/2008/11/obamas-interview-with-cathleen.html. A lire également, cet article sur wwrn http://wwrn.org/article.php?idd=29620 qui revient sur l'entretien.
Tout naturellement, beaucoup de religions dont les doctrines sont qualifiées de "hérétiques" se reconnaitront dans l'universalisme d'Obama. Ainsi, les Saints des Derniers Jours (Mormons) applaudiraient volontiers la croyance d'Obama que Dieu serait cruel et impartiale s'il devait affecter en enfer sans connaissance préalable des lois qui peuvent éviter d'y aller.
Excuser mon erreur, comprenez "cruel et partial" dans mon commentaire précédent.
Dans un autre registre, je vous renvoie à un artice sur le même thème dans mon blog :
http://pour-que-tu-croies.blogspot.com/2008/11/barackobamania.html
BARACK OBAMA n'est pas le Messie attendu sous des Noms diffèrents par pres de 7 milliards de gens
toutes religions confondues
mais il prépare le terrain au CHRIST MESSIE ROI DES ROIS ET GRAND MONARQUE
cependant BARACK OBAMA EST LA REINCARNATION D ABRAHAM LINCOLN ET SURTOUT
IL LE SAIT PARFAITEMENT
nous avons écrit quelques articles sur http://www.lepost.fr
ils sont signés katinis
amitiés à tous
Je ne connaissais pas votre site. Bravo, c'est clair, c'est intelligent. Pourvu que ça dure