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Les sources d'inspiration d'un projet d'autodafé islamophobe

alg_resize_pastor_terry-jones.jpgFringe Freak (zarbi des marges), Terry Jones et son projet (finalement abandonné) de brûler le Coran aujourd’hui (11 septembre 2010) ont été fermement condamnés par toutes les organisations religieuses régionales et nationales des Etats-Unis, à commencer par la puissante National Association of Evangelicals (NAE), principal réseau évangélique américain (80 millions de fidèles).

 

Seule la petite secte WBC de Fred Phelps, qui fait profession de «haïr l’Amérique, les Juifs et les Homos» lui a apporté son soutien, affirmant même que si Terry Jones ne brûle pas le Coran, elle le refera elle-même (après l’avoir déjà fait).


Cela dit, bien que l’initiative abominable de Jones soit isolée, elle «surfe» à l’extrême sur des courants plus vastes. Quatre dimensions peuvent être relevées.



 Unknown-1.jpegDimension Andy Warholl: en 1968, Andy Warholl avait prophétisé que dans le futur, chacun pourrait avoir son quart d’heure de célébrité. Cela signifiait que dans un monde ultramédiatisé, chacun peut rêver, un jour ou l’autre, d’être au centre du monde, à condition de trouver le pitch, ou l’angle adéquat.

Le paysage religieux américain n’est pas hermétique à ce courant, en particulier le monde évangélique, à l’image des observations de Franck Schaeffer dans Crazy For God (2007). Dans cet ouvrage de mémoires, il critique l’évangélisme (qu’il a quitté) pour avoir tendance à favoriser le «culte de la personnalité» et la starisation.


Terry Jones surfe à fond sur cette vague de la médiatisation ultramoderne, en convoquant la presse, en affichant ses discours de haine sur internet, et en conférant une dimension internationale à son autodafé.

Il y a là un narcissisme médiatique qui fait écho, dans le fond, à celui des preneurs d’otage. Terry Jones n’est autre qu’un preneur d’otage symbolique, qui cherche par provocation à attirer l’attention du monde entier. Il faut reconnaître que sur ce plan, il a réussi. 

 


v_2707313912.jpgDimension iconoclaste : la désacralisation des objets et des images a marqué la tradition protestante dès l’origine. Il s’agit de montrer par là aux adversaires qu’il n’y a de sacré que Dieu, au risque de provoquer les croyants adverses dans ce qu’ils ont de plus précieux.

C’est dans cette tradition que s’inscrit Jones. Il a beau être un pasteur marginal, désavoué par toutes les organisations religieuses, il n’en est pas moins un produit (extrême certes) de l’histoire protestante américaine. Le brûlement du Coran fait de ce point de vue écho aux destructions par certains protestants des statues de la vierge Marie et des saints au XVIe siècle, notamment étudiée par Olivier Christin: il s’agit de dénoncer la prétendu idolâtrie de l’adversaire religieux en s’en prenant à un objet symbolique.



defeating_political_islam.jpgDimension ultranationaliste : Terry Jones reflète, jusqu’à l’extrême, un sentiment diffus dans certains milieux, à savoir que l’islam menace l’Amérique. Depuis l’électrochoc du 11 septembre 2001, de nombreux américains se sont posés la question de la dangerosité de l’islam, et les enquêtes récentes montrent qu’un tiers des Américains ont une opinion défavorable de l’islam.

Une nouvelle «guerre froide» opposerait l’Amérique au nouvel Empire du Mal, l’islam politique, comme en fait notamment l’hypothèse de Moorthy S. Muthuswamy dans un ouvrage publié en 2009.

Terry Jones «surfe» sur ce sentiment ultranationaliste frileux pour réactiver à l’extrême le vieux fantasme de l’Empire du Mal: l’ennemi suprême n’est plus l’ogre bolchevique, c’est désormais l’islam, assimilé au Démon.

 

 

j8828.gif.png-Dimension théologique : pasteur, Terry Jones a lu la Bible et divers ouvrages théologiques (du moins on peut raisonnablement le supposer!).

Difficile de ne pas voir, dans sa description apocalyptique de l'islam, quelques éléments théologiques.

Il existe, dans toute la tradition chrétienne, une longue veine anti-musulmane, nourrie par diverses interprétations bibliques assimilant l'islam à l'Antéchrist, ou à une expression démoniaque.

Une portion importante des protestants évangéliques américains (lesquels représentent près du tiers des Américains) se retrouve toujours, au moins mezzo voce, dans cette lecture: l'islam ne serait pas seulement une "voie de garage" ne conduisant pas au salut. Ce serait un message haineux inspiré du Diable.

Le très bel ourage de Thomas S. Kidd, publié par les Princeton University Press (2008), le démontre avec éloquence. L'évangéliste Franklin Graham, en déclarant, le 16 novembre 2001, que l'islam est une très  malfaisante et méchante religion" (very Evil and Wicked religion), ne parlait pas que pour lui-même!

 

Au total, si la volonté d'autodafé de Terry Jones est choquante pour la quasi totalité des Américains, y compris au sein des protestants évangéliques, on ne peut pas faire le même constat de marginalité au sujet de ses sources d'inspiration.

 

Jones représente l'aboutissement, extrême, monstrueux, et heureusement exceptionnel, de divers courants aujourd'hui repérables au sein de la culture américaine.

 

Commentaires

  • Magistrale analyse !
    Merci de nous avoir amenés bien au-delà de la simple condamnation de l'initiative de Jones...
    et, comme dans nombre de vos notes, de proposer ainsi au milieu évangélique un miroir où voir notamment ses défauts, ses excès et leurs sources.

    Il est notable de voir, aussi en France, l'unanimité chez les évangéliques pour condamner Jones (la FEEBF, le CNEF, le PRC aussi).

  • Merci pour ces compléments.
    Pour celles et ceux qui veulent le lire, le communiqué du CNEF (conseil National des évangéliques de France) que vous évoquez se trouve au lien suivant:http://www.cnef.info/

  • Bonjour M. Fath !

    Dans votre note, vous évoquez les propos de Franklin Graham, le fils du célèbre évangéliste Billy Graham, qui pense que l'islam est une religion mauvaise et violente. Cependant, en dépit de sa position très critique vis-à-vis de l'islam, a lui aussi condamné l'initiative de l'International Burn a Koran Day ? Cf ce lien : http://thelede.blogs.nytimes.com/2010/09/08/florida-pastor-says-koran-burning-still-on/

    Franklin Graham, s'il se distingue largement de l'image de modération attachée à son père, me paraît avoir une opinion, celle que l'islam est non seulement faux mais aussi dangereux, qu'il exprime d'une manière que je trouve tout à fait respectueuse, et j'estime que cette opinion est respectable, même si je ne suis pas d'accord. Par ailleurs, il y en a d'autres qui ont tenu des propos largement pires que lui sur ce sujet.

    Je compte publier un article sur ce sujet sur mon blog dans la journée, avec votre permission je viendrai poster un lien ici.

  • Article court mais pertinent et intéressant.
    J'ai vaguement suivi l' "affaire" sur CNN mais j'avais raté les commentaires de Fred Phelps (qui fait toujours rigoler).

  • Dimension historico-géographique également. Cette histoire se déroule dans le nord ouest de la Floride, région qui possède des traditions bien ancrées de crémations racistes. A quelques kilomètres à peine se trouve Rosewood. Se trouvait Rosewood puisque, suite au massacre du même nom au cours duquel périrent par crémation au moins 6 Noirs et 2 Blancs, la ville fut partiellement détruite par les flammes et abandonnée dans les années 20... 80 ans après, on ne brûle que des livres: on peut y voir un certain progrès, tout relatif...
    http://en.wikipedia.org/wiki/Rosewood_massacre

  • Dans sa grande modestie, notre serviteur n'a, me semble-t-il, pas signalé l'interview dont il a fait les honneurs, par un journaliste de TF1. C’est justement à propos de cette affaire, elle est intitulée « Terry Jones et "l'effet Andy Warhol" » et est publiée sur le site de ladite chaine ( http://lci.tf1.fr/monde/amerique/2010-09/terry-jones-et-l-effet-andy-warhol-6065059.html ).
    Je ne sais pas combien de temps le lien sera valable, mais je trouve le rendu de cet échange assez positif, avec même un renvoi vers ce blog, une bibliographie …
    Bravo donc, et merci d’éclairer ainsi nos médias français si prompts à l’amalgame en matière d’évangéli(ques/stes/smes) !

    Cordialement,

    Chrisly

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