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Claude Nicolet (1930-2010) nous a quittés

AVT_Claude-Nicolet_528.jpegDans le brouhara commercial et familial de Noël 2010, l'historien français Claude Nicolet nous a quittés, comme en catimini le 24 décembre dernier, dans la relative indifférence de bon nombre de médias.

 

 Je voudrais lui rendre hommage ici en quelques lignes, car c'était un grand intellectuel, un grand républicain, un grand laïque.

 

Né le 15 septembre 1930 à Marseille, agrégé d’histoire, ancien directeur de l’École française de Rome, universitaire spécialiste de l’Antiquité latine, Claude Nicolet nous a laissé plusieurs livres lumineux sur la République romaine, qui méritent toujours lecture aujourd'hui. C'était là sa spécialité d'historien, son domaine d'excellence.

 

Mais en passant au rayon X la République romaine, Claude Nicolet n'oubliait pas lui-même d'être citoyen, et c'est au double titre de sa curiosité historienne généraliste et de son goût pour la Res publica qu'il a publié aussi, ça et là, des travaux fort pertinents sur l'époque contemporaine.

 

Rôle clef de la liberté de penser, au coeur de l'idéal laïque

Une de ses idées fortes était la centralité laïque dans le dispositif républicain français. Et au coeur de la laïcité, il voyait à raison la liberté de penser, comprise comme une exigence d'émancipation critique par rapport aux communautés naturelles, permise par l'école publique.

Ce qui ne veut pas dire rejeter nécessairement toute pensée issue de ces communautés naturelles (comme le veut l'interprétation laïcarde); l'enjeu, ici, est davantage l'acquisition d'une pensée personnelle fondée sur un tri et/ ou une réappropriation critique, grâce à l'école de tous et pour tous.

 

En d'autres termes, la finalité du système éducatif républicain et laïque est d'apprendre aux enfants à penser plus librement, sans être contraints de se conformer à leur communauté d'origine. D'où l'importance de rapports de séparation clairs entre religions et Etat (aucun régime de préférence), et l'utilité cardinale d'un service public d'éducation de qualité, à l'abri des biais confessionnels.

Pour décrire cette ambition laïque, Claude Nicolet allait jusqu'à parler d'une "sorte de pouvoir spirituel" d'un genre nouveau:

 

« C’est donc la République, en organisant un système d’enseignement public, qui se chargera d’exercer cette sorte de ‘’pouvoir spirituel’’ dont je parlais, et qui n’est, au propre, que l’éducation de la pensée et de la volonté libres. » (Claude Nicolet, La République en France. Etat des lieux, Paris, Editions du Seuil, 1992, p 68)

 

Longtemps titulaire de la première chaire d'enseignement consacrée à la laïcité à l'EPHE, Jean Baubérot connaissait très bien ces thèses de Nicolet, et y a fait référence dans ses travaux. C'est d'ailleurs par le biais de l'enseignement de Jean Baubérot, suivi à l'époque entre 1992 et 1993, que j'avais découvert les travaux de Claude Nicolet (merci Jean!).

 

laicite-republique.jpgUne liberté de penser mise à l'écart de certaines définitions de la laïcité

Mais en souhaitant (objectif louable) élargir le périmètre de la laïcité, Jean Baubérot a pour sa part peu à peu mis de côté cette notion pourtant essentielle qu'est la liberté de penser (qui n'est pas seulement la liberté de conscience). Ceci a certes permis de faciliter un décentrement intellectuel et une déprovincialisation de l'idée laïque, bénéfique à plusieurs titres.

Mais le risque n'est-il pas, dans le même temps, de diluer ce qui constitue le coeur du projet laïque républicain français, à savoir l'effort civique d'émancipation, par l'école publique, des discours préfabriqués?

Dans cette hypothèse, en écartant la liberté de penser de certaines définitions actuelles de la laïcité, on aboutirait à une laïcité "light" tellement extensive qu'elle ne veut plus dire grand chose...

C'est un vaste débat, et je ne doute pas que mes illustres et admirables aînés Jean Baubérot ou Jean-Paul Willaime (tous deux favorables, sous des angles différents, à une compréhension très élargie et défrancisée de la laïcité) le nourriront encore dans les années à venir.

 

Je ne prétendrai pas, pour l'heure, alimenter plus avant ce débat considérable, préférant rendre à Claude Nicolet (que je n'ai jamais eu la chance de rencontrer) cet hommage posthume de lecteur: par son accent justifié et cohérent sur le rôle joué par la liberté de penser et l'école publique, on lui doit un apport essentiel à la compréhension du fait laïque français, et du fait laïque tout court.

 

Puisse sa disparition ne rien faire oublier de cet apport, à l'heure où le modèle laïque français (certes imparfait et insuffisamment appliqué -Alsace-Moselle-) se voit critiqué de toute part... pour des raisons pas toujours très laïques.

Commentaires

  • J'ai connu Claude Nicolet dans les années 1945. Nous étions ensemble au collège de Pontoise.
    Je me souviens de son intelligence et de ses bonnes notes ... en histoire.
    Je le retrouve, malheureusement trop tard, en apprenant son décès dans la presse.
    A ses proches, mes sentiments chaleureux et solidaire
    Bernard Montaclair
    Docteur en Psychologie

  • Une véritable perte. Je suis navré pour sa famille.

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