Dans un édito de l'hebdomadaire Réforme du 3 août 2006 intitulé "Loué soit le Gospel", Nathalie Leenhardt écrivait que "le gospel n’est pas resté pur, totalement exempt de contraintes commerciales, avec des aléas plus marqués en France qu’aux Etats-Unis", mais que cette musique véhicule une espérance qui répond à une vraie demande sociale.
Dixit N.Leenhardt: "le gospel semble aujourd’hui revenir en force dans les bacs des disquaires tout autant que dans les Eglises par l’entremise des nouvelles communautés africaines installées dans notre pays".
Dans le même numéro de Réforme, je signais à l'époque un article intitulé "Du romantisme à l'industrie", où j'indiquais notamment ces chiffres:
"En cumulant le chiffre d’affaire du Gospel aux Etats-Unis avec celui, diffus, de la «musique chrétienne», on est passé de 381 millions de dollars annuels de recettes en 1995, à plus de 700 millions en 2005. Les ventes ont augmenté de 80% en 10 ans. Les statistiques officielles de l’industrie précisent que plus de 43,5 millions de Cds, cassettes et albums diffusés par internet ont été vendus l’an dernier. Dans le palmarès des ventes par genre aux Etats-Unis, le couple Gospel/musique chrétienne atteint plus de 6% des ventes totales de musique aujourd’hui, un total plus élevé que la musique latino (5,6%), les musiques de film (3,6%), le jazz (2,7%) et le classique (2,5%).
Lorsque la Gospel Music Association a été fondée en 1964, le genre n’étais pas moribond, mais il passait pour secondaire, presque ‘ringard’. Aujourd’hui, parmi les meilleures radios proposées sur internet par iTunes, le logiciel ultra-branché d’Apple, les stations 100% Gospel ou musique chrétienne figurent en bonne place. Des marques comme Sony, Chevrolet ou Honda n’hésitent plus à se pencher sur le berceau du Gospel, remplaçant les rois mages au titre de premiers sponsors."
(S.Fath "Le Gospel américain: du romantisme à l’industrie", Réforme, 3 août 2006)
Qu'en est-il six ans plus tard ? Et que dire du "marché" Gospel en France ?
Une première observation générale invite à souligner que la crise du marché de la musique, consécutive à la généralisation d'internet et du téléchargement, n'a pas épargné la musique Gospel.
La croissance du chiffre d'affaire du marché Gospel, observée au début des années 2000, ne s'est pas confirmée ensuite. En France, en dépit d'un engouement croissant qui se traduit par une multiplication des concerts Gospel, que ce soit dans des salles de spectacle (comme le Pavillon Baltard en 2007, ci-dessous), ou dans des lieux de culte (comme l'Eglise baptiste charismatique du Point du Jour en 2008, ci-contre), le marché reste fragile, soumis à une fragmentation et une compétition entre acteurs qui peine à durabiliser ses espaces de visibilité.
Signe parmi d'autres de cette précarité, le site internet "Salon du Gospel", lancé en 2006 autour du premier Salon du Gospel (15-16 avril 2006) est toujours visible sur le Net en 2012.... mais l'information qu'il propose s'arrête au second Salon organisé les 22 et 23 septembre 2007 au Carrousel du Louvre! D'autres plate-formes sont plus pérennes, à l'image des manifestations régulièrement organisées par le Centre du Réveil Chrétien (voir note précédente sur Marcel Boungou), mais force est de constater que la scène Gospel française et francophone repose sur des bases fragiles.
Consolidation du marché de la musique Gospel en France
Cependant, trois facteurs invitent à faire l'hypothèse d'un trend durable de consolidation du marché Gospel en France même.
D'abord, le poids croissant et structurel de l'offre Gospel de l'espace francophone, du Gabon aux Caraïbes en passant par le Congo et la Côte d'Ivoire (voir notes précédentes). Cette offre s'appuie sur un réservoir démographique caractérisé par le poids prépondérant d'une jeunesse créative et mobile. Cela compte.
Ensuite, le récent "rebond" de l'industrie Gospel aux Etats-Unis, où les ventes repartent à la hausse en 2011-12 d'après les derniers chiffres. 4,4% de croissance en 2011 selon les professionnels réunis à Nashville en juillet 2012. Comme si, face à la crise qui frappe durement les Américains, la consolation du Gospel rallait les suffrages ? Nombreuses sont les radios FM qui sont passées au Gospel, nourrissant l'intérêt pour cette musique religieuse. Les Etats-Unis restent le premier marché Gospel au monde.
Enfin (et surtout), il faut souligner l'essor de multiples groupes hexagonaux, régionaux qui intègrent le Gospel parmi leur registre, comme la chorale Joie et Vie qui faisait publicité, en 2009 (voir photo ci-contre) pour "L'Alsace couleur Gospel".
D'autres font aussi du Gospel leur spécialité exclusive, à l'image du groupe picard PopGospel, qui s'autoprésente ni plus ni moins sur son site internet comme "le groupe qui révolutionne le Gospel". Au-delà des effets de publicité, ce groupe fondé en 1990 illustre l'ancrage, dans un terroir régional a priori peu protestant, d'une musique profondément religieuse et a priori "typée" comme chrétienne, protestante et américaine.
Sur la base d'un répertoire principalement inspiré des Etats-Unis, berceau du genre, mais retravaillé dans un aller-retour entre expérimentation et réactions du public, ce groupe a réussi à imposer une identité repérable et appréciée du grand public, traduite au fil des années par des centaines de concerts, principalement en Picardie et en Champagne. Son offre éclectique propose du «gospel traditionnel, du gospel moderne et de l'urban gospel», en se démarquant du cliché d'une musique par et pour des Afro-antillais.
Le groupe picard PopGospel en concert
Autour de Stéphane et Christelle Charitakis, les interprètes du groupe revendiquent des origines multiples, bien au-delà du stéréotype (parfois véhiculé ailleurs dans certaines publicités, cliquer ci-contre) d'un "Gospel authentique" qui serait obligatoirement réduit à l'identité Afro, ou Afro-américaine.
La référence commune est "méta-ethnique" (cf. J-C.Girondin), fondée sur une identité chrétienne fédératrice qui imprègne la quasi totalité du répertoire chanté.
Le rôle fondamental de la scène et du lien avec le public
A l'image d'un groupe comme PopGospel, la régionalisation et professionalisation du Gospel français et francophone, dont on pourrait donner de multiples exemples (comme le groupe méridional de Fred Lewin, cf. le site internet FredGospel), s'appuie sur une marque de fabrique, dès l'origine, de cette musique: plus que d'autres (pop notamment), elle est intrinsèquement liée à la scène. Que ce soit dans une église, un temple ou une salle de spectacle. Musique par et pour la communauté (héritage du "sacerdoce universel" protestant), elle repose sur la prestation live, devant un public en chair et en os.
Cet élément capital donne à ce genre musical une capacité de résistance supérieure à d'autres (musique de studio) dans un contexte de crise: en effet, face baisse structurelle des revenus liés à la vente d'album (à cause d'internet), le salut des musiciens repose de plus en plus sur le retour à la scène (le public restant prêt à payer pour voir et écouter l'artiste en live). Dans ce contexte, le Gospel, musique live et communautaire, a sans doute de beaux jours devant lui, que ce soit en France ou dans l'espace francophone.
Commentaires
Alors que le marché des libraires tend à s'écrouler, nous remarquons en tout cas dans notre librairie que le marché de la musique chrétienne et gospel se maintient.