Dans une malencontreuse séquence humoristique, j’ai montré il y a quatre mois et demi le couple Hollande-Royal au travers d’une photo-montage (note du 15 juin 2006), et je me suis laissé aller à livrer une inclination raisonnée en faveur de Ségolène Royal, «surtout quand on voit quelles seraient les alternatives 2007». Qu’avais-je écrit là!
J’aurais peut-être mieux fait de garder cela pour moi. Depuis, on me harcèle pour me demander de justifier cette préférence. Mais je reconnais que je l’ai bien cherché, alors, il faut que je finisse par m’exécuter, dont acte.
Interrogé une fois sur les raisons de ses convictions de droite, Jacques Chirac avait répondu: «et vous, pourquoi vous aimez le camembert?» Sous-entendu, «ma préférence pour la droite, c’est une affaire de sensibilité, pas une affaire de raison». Sur ce point comme sur d’autres, je diffère de notre président.
Les choix politiques ne sont pas, ne devraient pas être une affaire de sensibilité, d’instinct, mais de raison. Être de droite ou de gauche, être pour Ségolène, pour Strauss-Kahn ou Sarkozy, ne devrait pas dépendre des affects, du «feeling», de la sensibilité, ou, pire, du physique ou du sexe du candidat, mais des arguments rationnels qui peuvent faire pencher dans un sens ou dans l’autre. C’est bien dans cet axe que je situerai l’argumentation qui va suivre.
Vous l’avez compris, ce propos n’est pas fondé sur des a priori personnels (non, je ne cherche pas me placer dans une écurie présidentielle!), ni sur un enthousiasme inconditionnel pour Ségolène Royal (certains aspects de son discours ne me séduisent guère). Aucun leader politique n’est le messie, et s’il faut se garder de mépriser le politique (cf. le texte des évêques de France), il faut pareillement refuser au politique la charge de répondre aux fins dernières. Sa fonction, plus modeste, est de faire tourner la machine, c’est déjà beaucoup. Ségolène Royal n’est donc pas à confondre avec Jeanne d’Arc, mais est-elle en situation d’assumer prochainement des responsabilités au sommet de l’Etat?
Vous trouverez ci-dessous quelques pistes. Il s’agit d’une analyse aussi objective que possible pour tenter d’expliquer la pertinence actuelle de la candidature d’une femme qui a su, mieux que d’autres, répondre aux attentes de nos contemporains de 2006-2007.
La pertinence sociologique et politique de la candidature Ségolène Royal
Par rapport aux autres candidats en lice, Ségolène Royal est la mieux en phase avec l’opinion. Démagogie? On ne peut l’exclure. Mais alors, un Laurent Fabius, joueur de pipeau sur l’Europe (et son fameux «plan B» à la constitution européenne, dont on n’a jamais vu le début d’un commencement), ou un Nicolas Sarkozy, qui surenchérit dans les lois répressives sur l’immigration, bouc émissaire de l’insécurité, devraient la battre nettement dans les sondages car rayon démagogie, ces deux-là pourraient lui donner des leçons. Si la démagogie n’explique pas le succès de Ségolène, est-ce alors la faute au montage médiatique? On peut le penser. Mais on peut estimer aussi (et c’est plus probable) que ce ne sont pas les médias qui ont rendu Ségolène Royal intéressante. C’est plutôt parce que Ségolène Royal est la plus intéressante des postulants à l’Elysée que les médias se penchent tant sur elle. Du reste, un sondage BVA du 10 novembre 2005 (soit avant le gros du battage médiatique autour de sa candidature) la plaçait déjà en tête des présidentiables, à la surprise générale. La question reste: pourquoi cette popularité persistante de Ségolène Royal?
La probable candidate socialiste se détache sur quatre terrains, qui constituent en quelque sorte le «carré magique» qui fonde sa popularité.
1. Un discours ultra-moderne.
Le premier point fort de Ségolène Royal, c’est qu’elle s’inscrit de plain-pied, et avec naturel, dans ce que les sociologues appellent l’ultra-modernité. L’ultra-modernité ne se réduit pas à un gagdet de sociologue. C’est une notion qui circule dans la culture globale (y compris chez Alain Souchon, cf. «Ultra-moderne solitude», 1988) parce qu’elle renvoie à une réalité: les grands discours de la modernité font moins recette. L’ultra-modernité c’est cela. Une phase désenchantée de la modernité, où l’on prend du recul par rapport aux utopies du grand soir, du «demain on rasera gratis». On reste moderne, certes, on s’appuie sur les Droits de l’homme, la démocratie, on espère en un progrès, mais on prend moins pour argent comptant les idéologies, les «grands récits». On demande à voir, à tester, on aspire à de l'empirisme et de la modestie. Le temps du kit idéologique est révolu, place au temps du bricolage ingénieux où l’on teste soi-même, sans s’en laisser conter. Par rapport à Laurent Fabius, quintessence de la modernité socialiste des années 1970 et des slogans en kit, Ségolène Royal a deux longueurs d’avance.
Elle se distancie, et de la vieille garde social-dogmatique, qui n’a pas renoncé à l’utopie de détruire le capitalisme, et de l’arrière-garde de la gauche libertaire soixante-huitarde, pour qui l’armée, la famille ou l’ordre sont des slogans tabous. En affirmant qu’elle «n’a pas réponse à tout», en plaidant pour une "politique par la preuve", en soulignant que «le projet socialiste, ce n’est pas le petit livre rouge», en bousculant plusieurs tabous idéologiques (encadrement militaire des jeunes délinquants dans des camps humanitaires), elle prend position dans son temps. Et ce temps, le nôtre, vit en régime d’ultra-modernité, marqué par une lassitude générale vis-à-vis des idéologies bétonnées de réponses toute faites, avec une demande de pragmatisme.
La modernité, avec ses certitudes, avait des côtés confortables, comme l’évoque Michel Rocard (photo ci-contre) dans Le cœur à l’ouvrage, lorsqu’il rappelle que «le dogme apporte ce que la vérité ne peut jamais offrir: le confort». L’ultra-modernité apporte plus d’incertitude, plus d’inconfort, mais peut-être plus d’exigence de vérité aussi de la part de citoyens informés, connectés, qui ne s’en laissent plus conter. Tout en étant clairement socialiste, Ségolène a montré aux Français qu’elle ne pêcherait pas ses idées à l’intérieur des ornières idéologiques, mais partout où la récolte lui semble bonne pour la France. Et notre peuple de bricoleurs, tout aussi ultra-moderne que sa candidate favorite, apprécie et applaudit.
2. Une relance démocratique.
Le second point fort de Ségolène Royal est d’inscrire le cœur de son projet dans une relance démocratique. Ni Nicolas Sarkozy, ni Laurent Fabius, ni Dominique Strauss-Kahn ne sont particulièrement en pointe sur ce plan. Avec François Bayrou, Ségolène Royal est la plus convaincante dans ce domaine, qui tient à cœur aux citoyens dégoûtés de la corruption supposée ou réelle d’élites trop peu contrôlées (la bagatelle de 60% des Français jugent leurs hommes politiques corrompus, sondage d'octobre 2006..). La présence d’Arnaud Montebourg à ses côtés n’est pas un hasard. Ce chantre impétueux d’une sixième République a reconnu, en Ségolène Royal, une figure capable de secouer les dysfonctionnements d’une France parfois proche de la République bananière. La déliquescence du «système Chirac» n’en finit plus d’alourdir le passif. Dernier épisode en date, la nomination par Jacques Chirac (septembre 2006) d’un de ses anciens conseillers comme procureur général de Paris, ce qui assurera à l’ancien maire de Paris une impunité post-présidentielle… Ces graves dérives, impitoyablement notées par nos voisins européens, appellent une remise à plat d’une culture politique trop monarchique.
Bien qu’elle ne s’en réclame pas explicitement, Ségolène Royal reprend à son compte, dans son projet de «démocratie participative», plusieurs thèmes de ce qu’on appelle la Deuxième Gauche, courant jadis porté par Michel Rocard, et dont l’une des originalités fut justement de batailler pour une République plus proche des citoyens, et gouvernée par le principe de subsidiarité (régler les problèmes au plus près de là où ils se posent). Encore à perfectionner, son idée de jurys citoyens va dans ce sens d’une exigence de contrôle par la base. Critiquée comme démagogique, cette idée pourtant intéressante et applaudie par de nombreux Français ne révélerait-elle pas, au contraire, la démagogie de contradicteurs incapables de remettre en cause la culture pyramidale, «top-down», de notre vieux pays?
La majorité de nos concitoyens manifestent aujourd’hui une demande de proximité, une exigence de médiations locales, une demande de validation concertée. Les Français ont en assez du décalage entre les beaux discours sur la République idéale (dans lesquels Laurent Fabius, ci-contre, est imbattable) et une réalité marquée par des discriminations par l’âge, par le genre, par l’origine, nourries par un manque de transparence et de mécanismes de contrôle. Pour avoir assez largement échoué à réduire ce fossé, le Parti Socialiste a perdu contact avec les milieux populaires. Il est devenu un parti bourgeois. En refusant de confondre «populaire» et «populisme», en défendant la centralité du peuple dans le processus démocratique, Ségolène Royal est en passe de constituer un recours efficace face aux dérives populistes qui se nourrissent de l’élitisme de trop de dirigeants politiques.
3. Une inscription maîtrisée dans la mondialisation.
Le troisième point fort de Ségolène Royal est d’inscrire paisiblement la France dans le concert de la mondialisation. On pourra à bon droit être surpris. Non sans raison, les affaires étrangères sont souvent présentées comme le point faible de la candidate socialiste. Il est vrai que Ségolène Royal manque cruellement d’expérience internationale. Pourtant, le créneau politique qu’elle défend depuis sa «candidature à la candidature» est d’une grande habileté en matière de relations internationales.
Parfaitement à l'aise dans la culture internet (un socle de la mondialisation sur lequel la grande majorité des Français s'appuie aujourd'hui au quotidien), son slogan "désir d'avenir" paraît crédible car ancré dans son siècle, celui de la mondialisation, du "village global". Cet ancrage est maîtrisé, c'est-à-dire qu'il ne cède, ni à l'emballement béat, ni aux crispations de peur. A quoi voit-on cet équilibre?
Elle écarte par exemple le nationalisme cocardier d’un Fabius, qui pose la France en éternelle donneuse de leçons au reste de l’Europe et du monde (la formule fabiusienne décrivant Sarkozy comme «caniche de Bush» en dit long: on peut s’opposer à Nicolas Sarkozy sans tomber dans une telle abjection méprisante). Mais elle écarte aussi une tentation trop atlantiste, que beaucoup prêtent, et peut-être pas complètement à tort, au candidat de l’UMP. Européenne, et favorable au projet de constitution (qui aurait donné aux institutions européennes plus de tonus démocratique), elle est capable d’apprécier certains aspects de la politique de Tony Blair (une hérésie pour les gardiens de la pureté idéologique du socialisme français), tout en tenant un discours fort sur la «nation française» et ses terroirs à défendre (chabichou nous voilà!).
De la même manière, elle adopte une démarche équilibrée sur l’immigration (phénomène inévitable du processus de mondialisation). Elle évite, à la fois les surenchères répressives de Nicolas Sarkozy (avec sa nouvelle loi 2006 sur l’immigration, d’une extrême sévérité pour les migrants, au risque de multiplier les drames humains), et les accès d’angélisme républicain de Laurent Fabius (avec son projet de régulariser la totalité des sans-papiers).
Enfin, son expertise reconnue sur l’environnement (un Ministère qu’elle a occupé sous le gouvernement Bérégovoy, marqué par sa loi sur la «reconquête des paysages») la qualifie, plus que d’autres, pour apprécier les enjeux écologiques posés par la globalisation. Beaucoup de Français aspirent à une approche tranquille et nuancée de la mondialisation, trop facilement diabolisée par une certaine gauche. Ils ne veulent, ni voir se dissoudre le modèle français (le thème de la «rupture» sarkozyste agit pour eux comme un repoussoir), ni voir ce dernier figé comme un buste en plâtre, incapable d’évoluer, crispé dans ses peurs ou ses souvenirs (refus de la constitution européenne par une gauche frileuse et trop nationaliste).
Le socle de convictions socialistes de Ségolène Royal rassure les Français sur la pérennité, face à nos concurrents mondiaux, d’un système de large redistribution des revenus, qui évite les trop grandes inégalités sociales et assure un filet de sécurité pour les plus faibles. En même temps, son ouverture et son refus des tabous idéologiques suggèrent qu’avec elle, les horizons de la mondialisation ne seront pas bouchés par des oeillères handicapantes.
4. Une approche critique de l’ultra-libéralisme soixante-huitard
Le quatrième point fort de Ségolène Royal est de ne pas se limiter à une critique de l’ultralibéralisme économique. Elle s’attaque aussi à l’ultralibéralisme des mœurs, qui peut en arriver à chosifier le corps, marchandiser les relations humaines, précariser les liens au nom d’une culture du jetable. Cet ultralibéralisme des mœurs, produit dérivé de Mai 1968, a réussi le tour de passe-passe de se prétendre de gauche. En réalité, il est aussi dévastateur, aussi inégalitaire, aussi injuste socialement que l’ultralibéralisme économique. Si ce dernier est de droite, le premier l’est en réalité aussi. Michel Houellebecq (cf. photo ci-dessous) a parfaitement bien décrit les effets de ce qu’il appelle «l’extension du domaine de la lutte». Je le cite «Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. (…) Dans un système sexuel où l’adultère est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver son compagnon de lit. En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables; d’autres croupissent dans la misère. En système sexuel parfaitement libéral», idem (Extension du domaine de la lutte, Paris, Poche « J’ai lu », 1997, p.100).
Les nombreux défenseurs d’une morale libertaire ne semblent pas réaliser que dans un contexte économique et social difficile, le «jouir sans entraves» fonctionne bien pour des bourgeois aisés (qui ont les moyens de financer des liens multiples, et les pensions consécutives au divorce), mais beaucoup moins dans des milieux sociaux modestes, chez lesquels la famille stable et fidèle constitue souvent le dernier filet de sécurité quand tout va mal. Réalisent-ils davantage qu’en snobant le modèle traditionnel du couple ou de la famille, ils emboîtent allègrement le pas au capitalisme marchand le plus outré, qui fait aujourd’hui largement commerce de la sentimentalité à la carte et du désir jetable, au fil des «îles de la tentation» ou des dernières frasques du mannequin Paris Hilton? Combien de parcours fracassés par les divorces, les séparations et recompositions multiples? Les enseignants en savent quelque chose, confrontés qu’ils sont, tous les jours, à des enfants ballottés et insécurisés par l’ultralibéralisme des mœurs et des affects. Par son souci de sécuriser les liens matrimoniaux, par sa promotion du congé parental paternel, sa militance contre la chosification des femmes (cf. son combat contre les mannequins vivants des Galeries Lafayette, en avril 1999…), par son accent sur l’ordre et les valeurs, l’importance d’être de bons parents, Ségolène Royal bouscule résolument les hérauts du désordre libertaire (qui la haïssent en retour, comme par hasard).
Elle n’en prône pas pour autant une morale à l’ancienne, patriarcale, pré-1968, ce que très peu de citoyens accepteraient. Son image de femme émancipée, mère, en couple mais non-mariée, montre qu’elle n’entend pas déboulonner les principaux acquis de 1968, mais qu’elle veut plutôt en corriger les dérives ultralibérales au nom d'une "République du respect". Dans cette démarche, elle est sous une forte pression par beaucoup de camarades socialistes, membres d’honneur de la bourgeoisie libertaire qui dicte le «la». Elle a dû leur donner quelques gages. Son positionnement décalé, plus proche de valeurs jugées traditionnelles, est contre toute évidence brocardé, par ses opposants internes, comme de droite. Il est en réalité profondément de gauche, car hostile à l’ultralibéralisme sous toutes ses formes, pas seulement ses formes économiques. Les Français, massivement attachés à la famille (voir la dernière Enquête Européenne sur les Valeurs), ne s’y trompent pas, et apprécient qu’une femme de gauche s’intéresse enfin de près à la réalité familiale.
Pour conclure
Un discours ultra-moderne, une relance démocratique, une inscription maîtrisée dans la mondialisation et une approche critique de l’ultralibéralisme soixante-huitard: nous avons là le carré magique de la candidature Royal.
À celui-ci s’ajoutent naturellement d’autres éléments. On peut citer un effet de génération, dont bénéficie aussi Nicolas Sarkozy (place aux cinquantenaires! Voir dessin ci-dessous), mais aussi, au plan individuel, un courage peu commun et un puissant charisme personnel (dernier élément qui manque, côté socialiste, à Dominique Strauss-Kahn, au programme solide par ailleurs). Dernier bonus à ne pas négliger: Ségolène Royal a des valeurs de gauche et une culture de droite, comme François Mitterrand, et tout porte à croire que cette combinaison (finalement rassurante pour beaucoup) est celle que les Français préfèrent.
Mais ce carré magique me paraît constituer le socle de sa popularité, et la base sur laquelle elle construit son avenir politique. Sa force est qu’il «fait bouger les lignes», en rencontrant les intérêts populaires (pas populistes) au risque de bousculer les raisonnements circulaires des états-majors installés. Ceux qui s’imaginent n’avoir là qu’un effet de mode se trompent lourdement. Quant à ceux qui continuent à sous-estimer la candidate, le réveil sera difficile. En dépit de sa relative inexpérience (elle est quand même énarque, ancienne conseillère de F.Mitterrand, ancienne ministre et présidente de région), Ségolène Royal, à 53 ans, dispose d’atouts susceptibles de la conduire jusqu’au bout: l’Elysée.
(Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, Ségolène Royal, Lionel Jospin)
Lien: http://www.alsapresse.com/photos/displayimage.php?album=random&cat=8&pos=-3847
Commentaires
Cher Monsieur Fath,
J'espère que les réactions manifestées sur votre blog suite à votre expression de sympathie envers Ségolène ne vous ont pas tout de même pas trop tourmenté, mais, comme vous le dites vous-même, vous deviez vous y attendre.
En réalité, le problème céans n'est pas Madame Royal, mais vous. Le problème que vous posez aux évangéliques qui vous lisent maintenant c'est: comment continuer à vous citer tandis que vous dites du bien d'une candidate qui a déclaré être prête à marier homme avec homme et femme avec femme ? Comprenez bien l'embarras dans lequel vous les mettez.
Sur le fond de votre article, si vous permettez à un béotien en sociologie une remarque, je crois que vous sous-estimez un phénomène important en matière de sondages. La modernité a créé une tyrannie sans visage mais bien réelle, celle des médias ; ses sujets la vénèrent et la redoutent à la fois : face à l'oeil de la caméra, ils ne disent pas ce qu'ils pensent mais ce qu'il faut penser ; mais dans le secret de la conscience ou de l'isoloir il en va autrement.
Cordialement,
Quelqu'un.
Merci Sébastien, pour cet exposé très complet. En grande partie cependant, je n'y souscris pas, j'aimerais donc relever quelques points qui peuvent être contestés:
1. Vous parlez de Mme Royal, comme "la mieux en phase avec l'opinion". Je me permets de poser cependant cette question: la différence ne se fait-elle pas sur la démarche qui la conduit à, à mon sens, paraître mieux en phase avec l'opinion? En effet, je considère qu'un futur Président de la République devrait savoir s'imposer en tant que leader, et savoir faire des propositions, qui sauront par la suite se manifester comme étant en phase avec l'opinion publique. N'est-il pas trop simple d'être en phase, lorsqu'on se contente, comme le fait Mme Royal, d'être le perroquet des idées les plus folles des citoyens (cf. les jurys citoyens)? De ne finalement pas proposer, mais plutôt corroborer?
2. Si les médias se penchent sur son cas, c'est pour ce qu'elle représente: une femme moderne, conciliant tant bien que mal carrière et son rôle de mère. Rien de plus, rien de moins. Rappelons d'ailleurs que la folle exposition médiatique de Mme Royal commença en Septembre 2005, grâce à l'entretien-photo "en famille" accordée à Paris Match (donc avant le sondage de Novembre 2005). Elle continue d'ailleurs à faire vendre les magazines "people".
3. Vous n'emettez pas de jugement de valeur sur l'ultra-modernisme et ce n'est peut-être pas votre rôle en tant que sociologue... en tout cas je ne le suis pas, et cette aspiration à l'empirisme ne constitue pas à mon humble avis un progrès social, mais plutôt un manque de courage consternant, et d'autant plus qu'il se traduit dans les sphères politiques.
4. Ségolène Royal en tentant très maladroitement à mon sens, de reprendre à son compte la méthode de la "démocratie participative" par des initatives tels les jurys citoyens, occulte en même temps le corrolaire obligé d'une soif de plus de démocratie participative... la dévalorisation de la démocratie représentative. Le commun des mortels, tout le monde en conviendra, ne peut pas et ne doit pas règler directement les affaires de la Cité, c'est pour cela que nous déléguons notre pouvoir d'acteur de la vie publique à la Représentation Nationale. Si les politiques ne tentent pas de revaloriser la démocratie représentative qui le fera? C'est mentir au peuple de leur faire croire que les affaires de la Cité se règleront par leur concours direct. Attention Mme Royal, à force de vouloir plaire au peuple, à ne pas se perdre dans des "propositions" aux accents de dérive anarchiste!
5. Je suis quelque peu choqué, d'une part de stigmatiser Nicolas Sarkozy d'"atlantiste" et d'autre part de penser par extension que s'inspirer un tant soit peu du modèle outre-atlantique est forcément réprehensible! Les Etats-Unis ont une économie plus ou moins forte, à nous d'essayer de comprendre ce qui a bien marché et de voir si l'idée est exportable en France. Alors garder une certaine distance par rapport au modèle américain (notamment social), c'est nécessaire, mais concevoir l'Océan Atlantique comme un rideau de fer idéologique ne sert à mon sens aucun intérêt sinon celui du chauvinisme exacerbé, qui a pu faire les preuves de son inefficacité dans le passé.
6. La loi sur l'immigration de 2006, que vous ne semblez guère apprécier, répond à un constat simple: la France en proie a un chômage assez conséquent ne peut décemment pourvoir une situation professionnelle et sociale décente à certains de ses citoyens et migrants légaux, comment pouvons nous donc avoir l'indécence de permettre la régularisation de personnes qui sont arrivées sur notre territoire de manière illégale d'une part et de l'autre de faire croire au monde extérieur que la France serait un eldorado professionnel et social. Cette loi renvoit très honnêtement à la situation actuelle de la France. Espèrons donc plutôt que la situation économique et sociale française sera appelé à évoluer et cette loi le pourra donc également!
7. Enfin, dans votre point 4, lorsque vous parlez des valeurs familiales incarnées par Mme Royal, vous omettez (sciemment?) de mentionner son (nouveau) positionnement sur la famille homoparentale? Le mariage homosexuel contribuerait à la perte de repères pour les enfants adoptés par les couples homosexuels, et en tant que sociologue, vous devez le savoir mieux que moi, un enfant a besoin d'une structure familiale stable le permettant d'être un bon acteur de la société de demain.
Sébastien,
Nous attendions votre billet, merci de votre ponctualité ! Vous avez choisi un angle sociologique c’est à dire politique…n’y a-t-il pas d’autres tribunes pour cela (malgré la vocation affichée de votre blog scientifique et citoyen) ? Je m’attendais aussi à une analyse scientifique (plutôt factuelle) de la candidature de Mme Royal par rapport aux questions de religion puisque ce XXI ième siècle sera religieux ou ne sera pas…
Ultra moderne
Un expression superlative pour exprimer le désenchantement, la désillusion et la lassitude. Si j’ai bien compris pas d’idée préconçue, pas de dogme (c’est le dogme de l’ultra modernisme). Mme Royal adopte le ton, dont acte, mais quel est le programme présidentiel ? Sur un plan électoral c’est en effet pertinent mais pour faire tourner la machine comme vous le dites je ne suis pas encore convaincu.
Relance Démocratique :
Je soupçonne l’opportunisme et l’improvisation de Mme Royal sur le sujet. Je suis un adepte du BSP (Bon Sens Paysan) et force est de constater qu’il serait parfois bien utile pour ramener les gouvernants (au sens le plus large possible) à leur mission première c’est à dire le service pour la nation et non le service de leurs intérêts. Par ailleurs, je ne faire guère confiance à la sagesse et le recul des jurys populaires. La Bible compare les peuples aux flots (changeants) de la mer selon les vents et les titres du journal de 20h00. Je suis assez favorable à l’argument de Mr Bayrou qui propose que le parlement retrouve ce qui lui été ravi par l’exécutif : sa voix. Nos parlementaires ont la charge du pouvoir législatif, la relance démocratique par le parlement me paraît être ce qu'il y a de plus approprié. Que chacun fasse son métier et les vaches seront bien gardées…
La mondialisation, les affaires extérieures :
Il existe une différence de taille entre Mr Sarkosy et Mme Royal c’est que lui est actuellement « en charge » et qu’elle ne l’est pas. Une lapalissade me direz-vous mais je la revendique :-)
C’est en tout cas un sérieux dossier, bien lourd. Au fait qu’elle est sa position vis à vis d’Israel ?
Cher ami. Merci pour votre analyse sur la pré-candidature de Ségolène ROYAL. J'en partage l'ensemble.
Je me permets d'ajouter un petit commentaire qui se veut également "sociologique" sur la pertinence de la candidature de Ségolène Royal, à partir de la lecture d'un livre de Callon, Barthe et Lascoumes : "Agir dans un monde incertain".
Dans ce livres les auteurs expliquent (entre autres) que la configuration de notre monde, la multiplication des objets hybrides et la complexification des relations de causalité font que nous sommes rentrés plus que jamais dans un monde "incertain", où le futur n'est ni prévisible, ni complètement probabilisable, où les controverses et les débats ont toujours tendance à déborder du cadre dans lequel on les avait initiallement parqués, à concerner d'autres enjeux que ceux identifiés en amont.
Ils en déduisent alors la nécessité pour l'action politique de passer de l'action tranchée du décideur "institutionnel" (l'élu) à une action mesurée, coopérative (prise en concertation entre professionnels et "simples" citoyens), itérative et étalée sur le long terme, pour être capable d'intégrer tous les impensés à l'origine de l'action qui ne tarderont pas à apparaître.
Je ne sais pas si Ségolène Royal a lu ce livre, mais il me semble effectivement qu'elle est la seule à avoir intégré (à un certain niveau) ce principe : c'est en tout cas ce qu'on peut comprendre quand elle dit qu'elle n'a pas réponse à tout, ou dans son insistance sur le thème de la démocratie participative. Les auteurs de "Agir ..." parlent eux de "démocratie dialogique", pour désigner non pas un remplacement de la démocratie représentative, mais son renforcement par une alimentation perpétuelle, dans le dialogue et la participation, du lien de représentation qui lie le citoyen à son élu.
Comme l'amour, la politique ne se contente pas d'un échange tous les cinq ans, venant confirmer le contrat relationnel passé, ou au contraire le résilier (de même d'ailleurs pour la religion, qui a besoin d'un entretien "continu" des relations de médiation, comme le montre assez bien Albert Piette, ou même Bruno Latour dans "Jubilé ou les tourments de la parole religieuse").
Maintenant là où il ya "problème", à mon avis, c'est que la politique ne peut non plus se contenter d'offrir et entretenir un cadre de dialogue citoyen-élu : il faut aussi qu'une politique soit sous-tendue par des valeurs, celles qui font ce qu'on peut nommer la politique "à long terme", comme projet de justice sociale. C'est là que l'équilibre est le plus dur à réaliser : comment permettre l'épanouissement d'une démocratie plus pragmatique, aux actions plus mesurées, tout en empêchant une navigation à vue se désintéressant totalement de la direction finale ?
C'est cette question à laquelle, à mon avis, Ségolène Royal ne répond pas. Mais elle a le mérite d'être la seule, par ses propositions sur la démocratie participative, à la poser.
ERRARE HUMANUM EST PERSEVERARE SEGO....est !
IL faut pardonner à Sebastien...S'il est Brillant quand il fait la synthèse historique des tendances religieuses...Et s'Il l'est nettement moins en matière de politique contemporaine, c'est sans doute à cause d'une extrème jeunesse...D'un manque de recul quant il s'agit de faits d'actualité...
Il est quand même capable ,même dans son brouillard,de se poser des questions sensées:
1) Les sondages d'opinion qui font des 2 S les leaders possibles sont-ils fiables? Et puis ne sont-ils pas les instruments de certaines élites voire une confiscation de la DEMOCRATIE ?
2) Le contenu des discours (des 2 faussaires...)est -il vraiment pertinent quant à la mondialisation (délocalisation-désindustrialisation-souffrances des "classes" populaires et moyennes, voire "des cadres très supérieurs") qui ne profite qu'aux VERITABLES possédants du Capital....international...
(je ne suis pas marxiste!)
3) Les 2 S parlent-ils vraiment du futur de l Europe qui à été la cause d'un vote très surprenant et percutant en France
4) Ne sont-ils pas trop décalés par rapport aux Partis sensés les soutenir ?Etc...
Bref sont-ils aussi pertinents qu'ils le paraissent ces 2 S ?Il suffirait à Sébastien de cesser de rêver éveillé sur son blog et d'aller prendre l'Air de notre temps (ballades dans les cafés, les marchés.. bavasseries à la sortie des messes...voire auprès des militants des partis des 2 S)pour se rendre compte qu'il luit faut se méfier de la PERTINENCE affichée des propos de Ségolène...Tout autant que de celle des propos de Nicolas ...
En clair nous ne sommes pas au bout de nos surprises en matière électorale française ACTUELLE......
Et si elle est retenue pour les élections rien ne dit que cette Ségolène adulée par les média sera le moyen d'une victoire de la Gauche. Elle peut être l'outil qui fera perdre cette Gauche..Même si les Régionales ont montré une nette tendance à Gauche en France il ne faut pas oublier que LES ELECTEURS DE
CE PAYS SE MEFIENT DE SES ELITES ET DE SES MEDIAS ET DES SONDAGES et sans doute des 2 S...
D'autres personnes plus sérieuses à leurs yeux que ces 2S peuvent donc surgir et emporter le coeur des électeurs...Pourvu que ce ne soit pas JMLP...(La dernière élection présidentielle était -elle un "accident"?)
Prudence,prudence....donc Sébatien ...Et ne perseverez plus dans la pertinence virtuelle...
Réponse à Phil K.
- sur le 1er point, je ne fais pas de jugement de valeur. J'essaie simplement d'expliquer pourquoi Ségolène est en phase avec l'opinion. Je ne veux pas dire par là que c'est toujours bien (je ne le pense pas), ni que c'est la norme à suivre (il peut y avoir d'autres façons de faire, même si pour être élu, il vaut mieux comprendre les aspirations des électeurs).
- sur le second point, OK pour Paris Match en septembre, avant le sondage de début novembre.... Mais je persiste à penser que la popularité de Ségolène ne s'explique pas par les magazines People, mais qu'à l'inverse, les magazines People titrent sur Ségolène parce qu'elle est populaire.
- Sur le troisième point, attention à ne pas confontre ultramodernité et postmodernité. Je concède que ce n'est pas simple, mais en gros, l'ultramodernité ne signifie pas l'abdication des idées, des valeurs, etc... contrairement à la postmodernité qui traduit, elle, une rupture. L'ultramodernité, contrairement à la postmodernité, n'est pas nécessairement relativiste. Elle se caractérise plutôt par une méfiance pour les idéologies préfabriquées. Est-ce du "manque de courage" ? Je n'en suis pas si sûr.
-4e point, où avez-vous que Ségolène dévalorise la démocratie représentative? A part chez ses adversaires UMP, je n'ai lu ça nulle part, et certainement pas dans les discours de Ségolène Royal. Son souci est plutôt de renforcer la démocratie représentative en consolidant les procédures de contrôle par les citoyens, qui sont largement perfectibles si l'on compare avec ce qui se passe en Europe du Nord ou aux Etats-Unis.
-Sur l'atlantisme, vous m'avez mal lu. Je ne "stigmatise" nullement Sarkozy de ce point de vue, et si vous me relisez, vous verrez que je suis nuancé : je dis que "beaucoup prêtent, et peut-être pas complètement à tort", une tendance atlantiste à Sarkozy. Je n'appelle pas ça stigmatiser, j'appelle cela une hypothèse prudente. Pour ma part, je n'ai pas d'opinion très arrêtée sur la position de Sarkozy vis-à-vis des Etats-Unis. Je ne me permettrai jamais de reprendre l'expression abjecte de Fabius, qui parle de Sarkozy comme d'un "caniche de Bush".
Sinon, vous ne verrez nulle part dans mon texte de condamnation absolue du modèle américain. Où voyez vous que "s'inspirer un tant soit peu des Etats-Unis est forcément répréhensible"??? Ce n'est aucunement mon point de vue, pensant plutôt qu'il faut faire un tri, avec pragmatisme, et sans a prioris intolérants.
- Sur la loi 2006 sur l'immigration je ne partage pas votre point de vue. OK sur la nécessité de réguler, d'être ferme, etc., mais une loi précédente, même pas encore appliquée, y pourvoyait déjà. Cette loi supplémentaire est électoraliste, et à certains égards inhumaine. De nombreux étudiants étrangers, y compris dans des facultés et instituts théologiques, sont confrontés à des situations graves à cause de cette nouvelle loi. Le refus de régulariser les sans papiers après dix ans de séjour est terrible, cela brise des vies, des familles. Les entraves supplémentaires au regroupement familial (exemple: un étudiant camerounais en 4e année de théologie en région parisienne, marié depuis près de deux ans, qui ne peut faire venir son épouse qui voudrait étudier) sont également bien trop dures pour un pays riche et démocratique comme la France.
-enfin sur la question de l'homosexualité, je compte publier prochainement une note, alors rassurez-vous, je n'oublie pas cette question. A suivre donc!