Je n'y résiste pas: plaidant depuis des années pour le développement de l'apprentissage de la langue arabe à l'école laïque, je voudrais applaudir vivement le superbe article publié par Brigitte Perruca dans Le Monde du 9 septembre 2009.
Son titre: La langue arabe chassée des classes
Honte pour la France
Ce que Brigitte Perruca décrit là avec une implacable précision est une des grandes hontes de notre système scolaire républicain.
Alors que l'arabe est une langue magnifique, qui ouvre à d'extraordinaires richesses culturelles.... et à des marchés économiques importants... Alors qu'elle est parlée par des dizaines de milions d'Arabophones qui cultivent par ailleurs, bien souvent, une grande proximité avec la langue française en raison de l'Histoire, il est plus que temps de mettre fin à l'incompréhensible ostracisme dont reste victime l'enseignement de la langue arabe dans l'école républicaine.
Une langue pour tous
A quand une décision politique courageuse qui vise à multiplier par dix les postes au CAPES et à l'Agrégation d'arabe, et qui multiplie d'autant les classes arabisantes dans le Second degré?
Sachant que cet essor n'aurait aucunement pour but d'intéresser uniquement les élèves aux origines nord-africaines, contrairement à cette détestable tendance décrite notamment dans un bel article du Parisien (10 nov. 2008). L'arabe est une langue pour tous, au même titre que l'espagnol, l'italien, l'anglais ou le chinois!!!
Consolider le socle national
Contrairement aux méfiances parfois ouvertement xénophobes qui s'expriment sur ce sujet, ce serait un merveilleux moyen de consolider le socle national en valorisant une dimension linguistique et culturelle portée, de près ou de loin, par plusieurs millions de Français issus de l'immigration maghrebine, qui font la France d'aujourd'hui et de demain.
Les Américains l'ont fait, avec l'espagnol (massivement enseigné aux Etats-Unis). Nous qui leur donnons souvent, pour pas cher, des leçons de républicanisme, nous sommes, sur ce plan, battus à plate couture!!!
Dommages collatéraux
En conservant l'enseignement de la langue arabe dans son ghetto actuel, la France aboutit à des dommages collatéraux considérables et affaiblit son armature républicaine et laïque. Voici quatre dommages, parmi d'autres...
-à entretenir le sentiment de relégation d'une partie de la jeunesse issue de l'immigration maghrebine, confrontée à la non-valorisation de l'héritage linguistique de leurs parents
-à freiner la réussite scolaire de nombreux jeunes qui trouveraient un vrai petit "plus" en valorisant leur connaissance de l'arabe à l'école
-à appauvrir l'univers culturel et linguistique de tous les élèves, privés de la découverte des trésors de la langue arabe, et de son ébouissante littérature (je pense entre autres aux immenses romanciers égyptiens que sont Gamal El Ghitâni, Naguib Mahfouz, Taha Hussein, Sonallah Ibrahim, Ala Al Asnawi etc...)
-à encourager le communautarisme, en provoquant par défaut le développement croissant d'écoles coraniques, qui tendent à exploiter les défauts de l'école républicaine en nourrissant une approche confessionnelle de l'arabe au risque d'accréditer le cliché Arabe=Musulman
Mais Hamdulillah ces "dommages" n'ont rien de définitif!
Encore faut-il prendre la mesure du défi, et doter notre école laïque et républicaine de ce bel outil d'intelligence collective supplémentaire que serait l'enseignement serein et ouvert à tous de la langue arabe.
Commentaires
Oui, et sans doute la langue arabe est-elle aujourd'hui plus pertinente en France que l'espagnol ou l'allemand... langues avec lesquelles je ne suis pas fâché.
Entièrement d'accord avec vous !
Attendant actuellement ma rentrée en 2° année d'Université à Dijon, j'étudie depuis un an la langue arabe, et je continuerai bien évidemment cette année. Mais même là, dans l'enseignement supérieur, et dans une filière linguistique (Langues Etrangères Appliquées) et dans une université qui a la réputation d'offrir de bonnes formations linguistiques, pas moyen de l'étudier dans le cadre de mon cursus estudiantin... je suis obligé de recourir aux cours du soir du centre de langues. Je sais bien que quelques universités françaises, notamment Besançon où j'ai été tenté d'aller pour cette même raison, proposent un apprentissage de l'arabe pour débutants (pour les étudiants ayant déjà commencé à étudier l'arabe au lycée en LV3 c'est encore plus rare), mais leur nombre est bien faible par rapport à la foule de ceux qui enseignent le japonais ou le russe, alors que les liens entre la France et les pays arabophones, notamment le Maghreb, sont infiniment plus élevés que ceux avec la Russie ou le Japon.
Cette langue et cette culture me fascinent. Les civilisations arabes à-travers le temps ont tant apporté au monde, que ce soit dans le domaine des mathématiques, de la médecine, ou, chose beaucoup moins connue, de la philosophie et de la littérature. La poésie arabe n'a rien à envier à nos de Musset, Lamartine, Beaudelaire ou Rimbaud nationaux. Sans exagération, je pense pouvoir affirmer que la culture arabe rivalise avec la culture chinoise pour le titre de culture la plus riche du monde.
Sans compter (puisque malheureusement en France l'argent compte plus que la culture...) les immenses intérêts pour l'économie d'une connaissance de l'arabe plus répandue ! Ne serait-ce que dans le domaine du pétrole : même si les transactions se font généralement en anglais, l'immense majorité des pays producteurs étant arabes, la maîtrise de l'arabe serait un plus énorme. A côté de cela, la Tunisie et le Maroc, pays en grande partie francophones dans lequel le tourisme est en plein essor, ouvrant les portes à des milliers de professionnels français capables de communiquer dans les langues nationales de ces pays afin d'entretenir des relations avec les agences touristiques locales (à moins que, vieux réflexe néo-colonialiste, nous continuions à exiger d'eux de nous parler en français). Enfin, pour conclure, tous ces Maghrébins vivant en France, et les nouveaux arrivants qui ont besoin de professionnels capables de leur enseigner le français, ce qui suppose évidemment de pouvoir leur parler dans leur langue maternelle.
Enfin, puisque je suis sur le blog d'un chercheur en sociologie des religions, spécialiste du christianisme évangélique, j'ajouterais que la langue arabe devrait représenter un intérêt énorme pour les chrétiens évangéliques. Le peuple arabe, descendant d'Abraham par son fils Ismaël, a un rôle prépondérant dans la Bible. Même si la bénédiction de Dieu sur la descendance d'Abraham concerne en premier lieu son fils légitime Isaac, cela n'enlève rien à l'amour de Dieu pour la descendance d'Ismaël également. Et il y a tant de prophéties bibliques, notamment du prophète Esaïe, qui font référence à différentes tribus arabes (Joktan, Saba, Madian, etc.), et disent qu'un jour ces peuples viendront adorer Dieu ensemble avec le peuple d'Israël. Parmi les chrétiens d'aujourd'hui, rares sont ceux qui savent seulement que les peuples mentionnés dans ces versets sont des royaumes arabes ! Lors de la Pentecôte, des Juifs et des prosélytes du monde entier, venus à Jérusalem pour cette fête religieuse Juive, ont entendu les apôtres leur prêcher dans leurs propres langues, et le texte précise que parmi eux il y en avait qui venaient d'Arabie : l'Evangile a donc été annoncé en arabe bien avant de l'être en français ou en anglais !
Et en plus de tous ces points théologiques mettant en avant le peuple arabe dans la Parole de Dieu, il y a tout simplement le fait que beaucoup de nos prochains ici en France sont des immigrés Maghrébins, essentiellement de religion musulmane, et de langue maternelle arabe, et Dieu nous appelle à les aimer et à leur témoigner de l'amour de Jésus-Christ. Comment pouvons-nous le faire mieux que dans leur propre langue ? Alors que l'islam fait des progrès énormes en France et inquiète même certains évangéliques de par certains côtés, certes choquants, de son message, sachant que pour les musulmans quelle que soit leur nationalité l'arabe est leur langue sacrée dans laquelle ils lisent le Coran et communiquent entre eux dans la mesure du possible, l'Eglise les néglige totalement, en grande partie par peur - une peur parfois justifiée de certaines idées choquantes qui existent réellement dans l'islam, parfois totalement injustifiée et faisant seulement état d'une peur de la différence ressemblant dangereusement au racisme. Aussi longtemps que les chrétiens français ne seront pas prêts à vaincre leurs peurs et à aimer l'islam et les musulmans, tout comme la Bible dit que "l'amour parfait exclut la crainte", et à aller vers eux, jamais les musulmans ne connaîtront l'Evangile en grand nombre. Et aller vers eux, ça passe par un respect de et un intérêt pour leurs pays d'origine, leur langue et leur culture. Je ne cache pas que pour ma part, en plus de ma passion pour les langues et de mon intérêt profond pour les cultures arabe, essentiellement Maghrébine, et Persane, c'est avant tout cette raison qui m'a donné envie de me livrer à l'apprentissage, difficile mais enrichissant, de la langue arabe.
Pour conclure, je dirais que sans vouloir tomber dans une théorie du complot qui voit du racisme partout, j'ose tout de même poser la question si les préjugés raciaux ne jouent pas leur rôle dans l'enseignement limité de l'arabe en France.
PS : En fait j'étais passé sur votre blog principalement pour vous signaler que le mien vient de repartir après une pause durant les vacances universitaires. Votre avis de chercheur sur les questions que j'aborde est toujours le bienvenu. Et j'en profite pour vous faire une proposition : pourquoi pas un article avec une recherche sur les Groupes Bibliques Universitaires et les autres groupes évangéliques dans les campus français ?