Du point de la laïcité et de la République, deux réactions posent problème dans la perception du refus suisse des minarets.
D'abord, celle qui consiste à approuver la discrimination antimusulmane dont la votation suisse témoigne, car toute discrimination entre les religions est contraire aux valeurs laïques et républicaines.
Ensuite, celle qui consiste à mépriser le vote suisse et à piétiner le verdict du suffrage populaire sous prétexte que les citoyens n'ont pas voté comme les élites le leur demandaient (cf. l'appel -scandaleux- à faire revoter rapidement les Suisses, lancé par un Cohn Bendit qu'on a connu plus inspiré).
Saluons la sagesse du grand rabbin de France, Gilles Bernheim, qui s'est gardé aujourd'hui de ces deux dérives.
Respectueux, lui, des principes républicains que d'autres piétinent, Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France depuis le 1er janvier 2009, a effectué ce premier rappel fort:
"Toute décision qui aboutit à donner
moins de droits aux fidèles d'une religion
qu'aux fidèles d'une autre religion
est une décision injuste"
Invoquer, pour discriminer, l'héritage religieux, est inacceptable, souligne-t-il. Les juifs en ont souffert par le passé (j'ajoute que c'est arrivé aussi aux protestants et même aux catholiques dans certains pays d'Europe).
Que les musulmans souffrent de discrimination "architecturale" aujourd'hui pour la simple raison qu'ils sont musulmans n'est pas plus acceptable que lorsque l'on pratiquait la même chose, ou pire, à l'encontre des juifs, des protestants ou des catholiques.
"Remplir les églises serait plus utile que de réduire la visibilité des mosquées"
Le Grand Rabbin adresse au passage une pique bien sentie à l'encontre de certains chrétiens: Il voit dans l'approbation du refus des minarets "une défense de l'identité chrétienne qui se trompe de méthode: remplir les églises serait plus utile que de réduire la visibilité des mosquées".
Le Grand Rabbin de France a également souligné, en vrai démocrate, qu'il fallait néanmoins respecter le vote suisse majoritaire, même si l'on n'est pas d'accord avec ce vote, car c'est là l'expression de la souveraineté populaire.
"L'opinion des Suisses doit être entendue", car elle renvoie aux "élites enseignantes" un message que ces dernières doivent entendre: elles ont failli dans leur travail de pédagogie et leurs efforts de dialogue.
Cette prise de position suisse, observe Gilles Bernheim, révèle un vrai malaise, qu'il appartient à chacun (musulman, chrétien, juif, agnostique, athée etc.) de dissiper, en travaillant davantage à une "mission de dialogue, de lutte contre les préjugés et de construction d'un avenir commun"... Au lieu de jeter de l'huile sur le feu.
Afin que la liberté, ce bien si précieux, puisse être partagée également par tous, dans le respect des règles du "vivre ensemble" laïque républicain.
Lire l'entretien accordé par Gilles Bernheim ici, ou là.
Commentaires
Me revoici, après près d'une année de silence.
Chrétien, d'obédience catholique, je reviens à l'occasion me ressourcer sur ce site passablement bien documenté.
Je trouve que les différences religieuses – ou plutôt cultuelles – sont passablement exacerbées dans le débat entourant l’affaire dite des Minarets ou … la question des signes religieux «ostentatoires» sur la place publique (concept de la république … au sens universaliste).
C’est comme si, quelques uns, quelque part, tenteraient de pousser dans l’agenda publique un soi-disant «conflit de civilisation» qui serait sur le point de nous éclater sur la tronche.
En fait, il y a énormément de désinformation, dans le sens de la manipulation des consciences au gré d’un appareillage de propagande. Propagande de guerre (Afghanistan et autres destinations…) ?
Certains sociologues, ethnologues, philosophes ou anthropologues sérieux ont fort justement fait remarquer (depuis belle lurette) que c’est l’«esprit avant la lettre» qui prime, normalement au niveau théologique. Et, dans son corollaire qui concerne l’expression de la foi au niveau du vécu sur la place publique.
Une Mosquée en sol français ou québécois n’a pas besoin d’être construite suivant un modèle saoudien ou koweitien. Elle peut, fort bien, s’intégrer à l’architecture locale, en y infusant une part de ses propres conventions architecturales. Mais, tout bon architecte vous le dira : c’est le «génie des lieux» qui préside aux destinées d’un édifice, à plus forte raison s’il s’agit d’un bâtiment de nature civique ou religieuse.
Qu’est-ce que le génie des lieux ? Ce n’est pas le génie de la Lampe d’Aladin dont il est question, ici… on parle de la typologie locale, de la couleur de la pierre ou de la brique, de l’usage du bois ou de la paille, de la topographie et des accidents naturels et… bien entendu, de la culture LOCALE.
Au Québec, il n’y a pas beaucoup de Mosquée, mais il y a un certain nombre de Synagogue qui datent du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Et bien, je peux vous certifier, ces Synagogues respirent un esprit «Montréalais»… ce n’est pas une vue de l’esprit. C’est RÉEL. Une Synagogue à Venise, à Paris ou à Montréal sera TRÈS différente d’un lieu à un autre. Bien entendu, il y a les emplacements stratégiques et symboliques à l’intérieur – la meir tamid ou la bèma – qui seront disposés en fonction du minhag (rituel et coutumes en usage dans une communauté de foi ashkénaze, par exemple). Mais, la typologie de cette synagogue (ne pas confondre avec Le Temple) pourront très bien se marier avec l’environnement extérieur.
Pour revenir aux Mosquées et Minarets, je ne crois pas que l’exposition de «signes triomphalistes ou exubérants» à l’extérieur soit nécessairement une bonne stratégie d’intégration (autant dans le sens sociologique qu’au niveau de l’architecture). Le propre d’une grande religion, c’est d’être «universaliste» - sans référence à l’universalisme de la République cette fois-ci – et, par voie de conséquence, de s’adresser à l’ensemble des croyants, dans le respect de la culture locale et du tissu urbain de l’implantation.
Je m’excuse d’être aussi technique et détaillée. C’est vraiment très malheureux toute cette affaire. Les Musulmans de Russie, de Bulgarie, de la Turquie ou de l’Afrique du Nord se sont implantés en respect avec une culture locale, sauf dans les cas d’invasions et encore …
Je vous rappelle à tous, et ceux qui connaissent vraiment l’histoire seront d’accord avec moi, que les trois grandes religions du livre se sont côtoyées sans problèmes pendant près de huit siècles durant le règne de «Al Andalous», en Espagne méridionale. Cette cohabitation a entrainée, dans le cas de l’architecture, la naissance d’une typologie et d’un style qualifié de «Arte Mudéjar», dans le centre de l’Espagne ou dans le sud. La salle du trône de la Aljafería de Saragosse en est un exemple magnifique.
Légiférer parce qu’un minaret peut contrevenir au code du bâtiment, à la typologie locale ou autres considérations civiques m’apparaît plausible… dans une certaine mesure. Mais, quand le débat dérive sur le sol des convictions religieuses, c’est lamentable. Nos frères musulmans se sentent, fort justement, persécutés. Mais… encore faudrait-il s’avoir de quels frères musulmans l’on parle. Souvent, le pouvoir ambiant désigne des porte-paroles «officiels» pour représenter une communauté. Et, c’est discutable, vraiment.
Au Québec, nous avons eu l’«affaire» (pas si dramatique que ça) des femmes en Burqa qui voulaient se prévaloir du droit de vote, sans révéler leur identité pour autant (la carte d’identité étant obligatoire pour voter depuis peu). Certains médias ont révélé que dans plusieurs pays dits «musulmans» (définition très discutable au demeurant) les femmes doivent montrer leur visage pour avoir le droit de voter. Ce qui est tout à fait normal au demeurant.
Pour reprendre les paroles du Grand Rabbin de France, c’est «en travaillant davantage à une mission de dialogue, de lutte contre les préjugés et de construction d'un avenir commun ... » que nous parviendront à intégrer nos différences.
Je reprendrai une idée du Talmud (et le Grand Rabbin pourra me corriger si je me trompe) pour souligner que l’Homme (l’être humain) a été mis sur terre dans un but de perfection (ce qui n’exclue pas l’idée chrétienne de rédemption et de grâce) qui ne pourra s’atteindre qu’après une très longue période historique de transformation patiente et … réelle.
On ne parle pas d’un «surhomme», ici. On parle de l’homme nouveau. Celui qui se rapprochera de son créateur.
Je vous laisse, mes amis, sur une note d’humour. Un historien rapportait que les fidèles juifs et chrétiens furent autorisés à pratiquer leur foi librement dans plusieurs califats pour la raison suivante : les fidèles musulmans étant dispensés de payer l’impôt, seuls les infidèles devaient s’y résoudre. Je trouve cette anecdote savoureuse, et la rapporte en toute innocence. Comme quoi, c’est souvent – pour ne pas dire TOUJOURS – des considérations économiques qui règlent les rapports humains. Hélas.
Les guerres de religions, les signes distinctifs et tutti quanti, ne sont que des prétextes afin de permettre aux pouvoirs financiers et militaires de dresser les peuples les uns contre les autres.
Shalom mes frères et mes sœurs et la bise du Québec !