François Fillon, Premier ministre en exercice du gouvernement français, a inauguré avant-hier (28 juin) la mosquée d'Argenteuil.
Du point de vue des valeurs républicaines et laïques, il faut toujours se réjouir que des citoyens, par ailleurs pratiquant une religion, bénéficient de bonnes conditions pour célébrer leur culte.
En revanche, la présence active et ès-qualité du Premier ministre à l'inauguration du lieu de culte (une "première") pose question.
Jean Baubérot, un des spécialistes incontournables de la laïcité, observe que c'est "la première fois depuis 1905 qu'un chef de gouvernement inaugure un édifice religieux. Et le précédent est très facheux".
On lira avec profit la note qu'il a consacrée à l'événement:
Voir aussi le commentaire que le portail musulman français Oumma.com a publiée au sujet de cette manifestation:
commentaire sur Oumma.com au sujet de l'inauguration politique d'Argenteuil
Enfin, on notera sans surprise que Patrick Lozès, actif promoteur d'une lecture communautariste "branchouille" de l'actualité républicaine, ne trouve quant à lui rien à redire à la participation du Premier ministre: il se félicite même qu'on prenne ainsi ses distances avec ce qu'il appelle une "catho-laïcité" (comme s'il était courant qu'un Premier ministre inaugure une église catholique!): note de Patrick Lozès
J'ajouterai pour ma part un complément: il paraît possible d'argumenter en faveur d'une "laïcité d'intégration" (cf. l'enjeu de la formation des imams) sur la base d'une politique de soutien à la formation à la laïcité et aux réalités sociales françaises de cadres musulmans (autour d'un enseignement sans contenu théologique ou cultuel).
Mais ici, on franchit une ligne rouge, avec un Premier Ministre ostensiblement impliqué dans l'inauguration d'un espace cultuel, et qui, es-qualité, intervient lors de l'inauguration sur des questions religieuses.
Commentaires
De mon coté, j'ai quelque mal à être dans un camp ou dans un autre, dans le camp de la laïcité gouvernementale (?) ou dans le camp d'un groupe chrétien/musulman (?) qui défendrait une laïcité orthodoxe (??)... j'aurais envie de prendre l'un pour taper sur l'autre, à vrai dire.
Oui, la burqua choque la "laicité" française, il faut le dire aux musulmans... ils peuvent répondre que l'accoutrement des bonnes soeurs n'en est pas si éloigné, ou que l'image de la femme est très dégradée dans les milieux publics et privé (enfin... pas seulement l'image, malheureusement), il n'empêche que la position musulmane et toutes ses variations ne me parait nullement être une solution, bien au contraire.
Une excellente chose qui se produit en ce moment en France est le dialogue inter-religieux. Votre blog le manifeste, d'ailleurs, bravo. Mais c'est se tromper de combat que de le transformer en défense ou promotion d'une laïcité à bout de souffle, c'est la porte ouverte à de faux consensus, à des alliances de façade entre religieux.
Aujourd'hui les chrétiens défendraient la "liberté" qu'exprimerait le "choix" de la burqua, demain les musulmans rendront la pareille aux chrétiens en défendant la liberté d'un sexe dont le sens serait la procréation ? Et puis après on passe aux fumeurs pour qu'ils retrouvent la liberté de fumer partout ? C'est ce que je dis au début : il faut prendre l'un pour taper sur l'autre, c'est tout.
Le premier ministre exploite les opportunités électorales, OK. Ce n'est pas un si grand scandale que ça. Il n'y a pas si longtemps votre blog relatait la fierté des protestants d'avoir reçu le président de la république, et, comme c'était pas dans un lieu de culte (il faut dire que dans les milieux protestants la notion de lieu de culte est une notion à géométrie variable), ça allait très bien, parait-il.
Perso il me semble qu'il vaut mieux participer au dialogue inter-religieux, comme vous le faites si bien quelque fois (et je dis "dialogue", je dis pas "consensus"), j'avoue que je me sens un peu moins concerné par la laïcité, mais je lis tout de même votre blog avec beaucoup d'intérêt quand vous abordez ce sujet pour lui même. Et j'aime bien aussi l'actualité, bien sûr, même s'il est souvent difficile de la traiter à chaud :-)
Cordialement.
Merci beaucoup pour ces précieuses remarques.
Sur le parallèle avec la réception de Nicolas Sarkozy à la Faculté de théologie protestante, c'est un parallèle intéressant et judicieux. Certaines questions pourraient en effet être posées AUSSI, du point de vue de la pratique laïque, sur la présence présidentielle dans un lieu de formation confessionnelle. Et je pense que du point de vue politique, on s'est situé, dans les deux cas, dans la même logique: adresser un message fort de l'Etat aux "communautés" protestante puis musulmane.
Cependant, et même si la conception protestante de l'espace cultuel est souple (vous avez raison de le souligner), il y a tout de même un réel écart entre inaugurer un lieu de formation, à dimension patrimoniale, et inaugurer un lieu de culte. En terme de pratique de la laïcité, ce n'est pas la même chose.
Pour le reste, si j'ai bien compris le corps de votre propos, il s'agit d'éviter de confondre la défense de la laïcité, d'un côté, avec le respect des prérogatives religieuses, de l'autre. Car sinon, on risque d'aboutir à une solidarité des religions "contre" l'espace laïque.
C'est un vaste débat. Pour faire court, je partage votre point de vue sur l'essoufflement de la laïcité, je partage aussi une forme de vigilance critique face à la perspective d'une solidarité des religions sur le dos de la laïcité, mais je ne partage pas l'idée que ce modèle laïque n'a pas d'avenir et qu'il vaudrait mieux se focaliser sur le dialogue interreligieux.
En établissant une règle du jeu qui évite aux citoyens de se définir uniquement par leur communauté confessionnelle d'origine, en posant des garde-fous salubres contre les multiples tentations de mélange des genres (religion/politique), en favorisant l'apprentissage de l'esprit critique (rôle de l'école républicaine), le modèle laïque a bien des choses à apporter à la France de demain.
Ce modèle laïque n'est du reste pas incompatible avec le dialogue entre les religions. L'un n'exclut pas l'autre, au contraire: il y a là une forme de continuum naturel, l'espace laïque permettant justement de discuter sur un pied d'égalité, et d'éviter les tentations de prise de pouvoir comme l'histoire nationale en a connues (catholicisme d'Etat au XVIIIe siècle).
Je trouve que votre réponse est plus convaincante que le billet lui même :-)
Toutefois :
- On peut parfaitement défendre qu'il est plus grave qu'un politique aille parader dans un lieu de formation plutôt qu'un lieu de culte, car souvent le lieu de formation, même non sacré, est le véritable coeur d'une religion. Ce n'est pas loin d'être le cas chez les protestants, d'ailleurs.
- Pour un protestant, même laïc, il est me semble-t-il peu convaincant de défendre la notion de lieu sacré, alors que cette notion n'existe pas dans sa propre religion !? Vous la défendriez comme une notion religieuse moyenne ?... Mais avec les religions, si on peut faire une bonne vinaigrette, on ne peut pas faire une bonne mayonnaise, c'est mon opinion. S'il peut y avoir un dialogue entre religieux, il ne peut pas y avoir de "maison commune", à mon avis.
Il est vrai que je vois comme une horreur absolue le risque d'une solidarité des religions pour faire émerger une sorte de laïcité qui conviendrait à toutes. On en est heureusement loin.
Pour ce qui concerne la laïcité, même si le sujet ne me passionne pas, je le trouve quand même intéressant - la preuve, je vous lis :-)
Et je vous approuve complètement au sujet de votre modèle laïque. Il faudrait je pense y ajouter l'existence d'une justice indépendante d'un rapport religieux.
Mais je doute que ce modèle puisse faire l'économie d'un "dieu". Jusqu'à présent, ce dieu a été le progrès. Les promoteurs de la laïcité rêvent que ce dieu soit simplement la république, mais dans les faits le dieu véritable est le progrès, jusqu'à récemment partagé par tous, du moins en métropole.
Aujourd'hui ce progrès creuse les inégalités, il est de moins en moins crédible. En attendant de trouver un nouveau dieu, peut être est-il mieux que le premier ministre aille draguer ceux des autres ?... (et que le président de la république honore les protestants de sa présence, bien évidemment).
Si j'ai bien suivi les propos cités dans votre article, au demeurant fort intéressant (mais aussi inquiétant, dans un certain sens), personne n'est satisfait... Certains se félicitent de l'attention portée par l'Etat aux musulmans tout en soulignant les progrès restant à faire dans la communauté musulmane, d'autres trouvent que c'est bien trop peu et "prendre les gens pour des imbéciles" en croyant que cette présence va racheter les discriminations contre les musulmans en France (avec amalgame musulmans / maghrébins ?), d'autres encore trouvent que c'est bafouer la laïcité "à la française", aggraver le "catho-bashing" à la mode en graissant la patte à la communauté musulmane... Bref. Ce cher premier ministre aurait manifestement mieux fait de s'abstenir !
Ressortissant états-unisien en France depuis plus de 23 ans, il n'y a rien de choquant, à mon sens, de voir le Premier Ministre français, lequel est aussi, sauf erreur de ma part, le Ministre des Cultes, présent où prenant la parole à l'inauguration d'un lieu de culte quelconque. Il la liberté et la prérogative de s'intéresser à telle ou telle pratique religieuse sur le territoire français et de jouer son rôle de représentant d'Etat (garant) du droit constitutionnel de la liberté de conscience et de religion.
Par ailleurs, il me semble que c'est une pratique assez commune des Eglise évangéliques françaises, d'inviter les autorités de la ville ou de la région à leurs inaugurations de lieu de culte. Vive le témoignage et les échanges !
C'est où la ligne rouge franchie ?
Cher Hunter,
Je comprends ces remarques, et je les partage même en partie. Oui, il est normal qu'un ministre des cultes s'intéresse à la vie religieuse du pays, voire même participe à certaines manifestations.
Mais là où la ligne rouge est franchie, c'est dans le mélange des genres.
Le principe de séparation des religions et de l'Etat est, en France, essentiel. Ce principe a traditionnellement tenu les ministres des culte à distances des événements cultuels internes aux communautés. Oui à une présence pour des cérémonies publiques (par exemple, l'hommage aux morts de la Seconde Guerre Mondiale), non à la présence/participation dans la vie interne des communautés.
C'est ce principe qui a été, ici, sévèrement bousculé, à plus forte raison parce que le Premier Ministre en a profité pour donner une leçon de théologie à ses interlocuteurs. Etait-ce bien son rôle, en dépit de ses bonnes intentions et de ses bons sentiments? Des catholiques ou des protestants apprécieraient-ils aussi ce genre de "lecture théologique", dans leurs lieux de culte, par un représentant politique?
C'est du confusionnisme, et une porte ouverte à de multiples dérives. Longtemps, le pouvoir politique a voulu peser, en France, sur les religions. Les juifs comme les protestants (et même parfois les catholiques) en ont beaucoup souffert. La séparation des religions et de l'Etat, en 1905, a clarifié les choses en favorisant une coexistence paisible, mais sans confusion ou interventionnisme intempestif.
L'usage qui veut qu'un Premier ministre évite, sauf cas exceptionnel, d'inaugurer un lieu de culte s'inscrivait dans cette sage tradition post-1905.
François Fillon a pris le risque de "franchir la ligne rouge" sur ce plan. C'est peut-être sans conséquences. C'est peut-être aussi l'amorce d'une nouvelle phase d'évolution qui va réintroduire de plus en plus l'initiative politique à l'intérieur des lieux de culte... et pousser aussi de plus en plus d'acteurs religieux à quémander des avantages auprès des représentants de l'Etat.
A chacun de se faire là-dessus son opinion.