Le saviez-vous? Cette année 2010 a marqué le 170e anniversaire de la naissance d'Alphonse Daudet (né en 1840).
Ce talentueux romancier qui s'intéressait au protestantisme se serait sans nul doute penché avec intérêt sur les banlieues françaises d'aujourd'hui, où fleurissent chaque semaine de nouvelles implantations évangéliques.
À la fin du XIXe siècle, Daudet s'était vivement intéressé au prosélytisme protestant, dans un contexte où l'Armée du Salut et la Mission MacAll s'implantaient à Paris.
L'Evangéliste, un grand succès d'édition
En 1883, le romancier publiait même un ouvrage entier sur le sujet, L’Évangéliste (déjà sorti en feuilleton l’année précédente). Disons le tout net, ce n'est pas le récit le plus impérissable du chantre de la Provence.
Ce texte, désormais disponible en version intégrale gratuite sur le Web, consiste en une violente charge, sous forme romancée, contre le «fanatisme» d’un certain protestantisme de type revivaliste.
Le livre a connu cinquante éditions en deux ans.
Alphonse Daudet (ci-contre) raconte, avec son talent habituel, la dérive mystique d'une jeune-femme sous l'emprise du fanatisme sectaire de Port Sauveur, haut lieu d'austérité évangélique pieuse. L'héroïne du roman en vient à rompre son projet de mariage, suscitant autour d'elle incompréhension et tristesse.
Bien documenté, dédié à Charcot, ce roman comporte aussi une violente charge contre les effets jugés délétères du Réveil évangélique sur les femmes, prises selon Daudet d’une «folie prédicante et propagante» (Alphonse DAUDET, L’évangéliste, Paris, Arthème Fayard, s.d., p. 78). On y trouve à la fois justesse d'observation (rigorisme de l'orthopraxie, dérive insulaire) et fantasmes grossièrement malveillants (usage de drogues pour fanatiser les adeptes, allusions à la mainmise de la banque protestante Autheman et de la banque juive, etc.).
Cinq références bibliographiques utiles
Pour sonder plus avant ce "roman à clefs", il existe une étude indispensable, celle de Jacques Poujol (ci-contre): «Réalité et fiction dans «L’Évangéliste» d’Alphonse Daudet », BSHPF, avril-juin 1984, 193-229. On lira par ailleurs avec grand profit les trois textes suivants (deux articles -plus orientés vers les enjeux politiques- et un ouvrage de synthèse):
Jean Baubérot, "L'antiprotestantisme politique à la fin du XIXe siècle", I., "Les débuts de l'antiprotestantisme et la question de Madagascar", Revue d'Histoire et de Philosophie Religieuse, 1972/4, p.449-484
Jean Baubérot, "L'antiprotestantisme politique à la fin du XIXe siècle", II., "Les principaux thèmes antiprotestants et la réplique protestante", Revue d'Histoire et de Philosophie Religieuse, 1973/2, p.177-221.
Jean Baubérot et Valentine Zuber, Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le “pacte laïque” (1870-1905), Paris, Albin Michel, 2000.
J'ajouterai à ces quatre références un cinquième titre, en amont de notre période: il s'agit du livre (issu d'une thèse) de Michèle Sacquin, Entre Bossuet et Maurras. L’antiprotestantisme en France de 1814 à 1870, Paris, Éd. Ecole des Chartes, 1998.
Raisons d'un succès littéraire
Revenons à L'Évangéliste. Qui s'en souvient aujourd'hui? Pas grand monde.
Même pas de notice Wikipedia spécifique! En revanche, à la fin du XIXe siècle, c'est un glorieux succès d'édition pour Alphonse Daudet. Pour comprendre les raisons de ce vrai succès littéraire, il faut rappeler trois choses.
1/ Tout d'abord, l'histoire douloureuse d'un protestantisme banni de France durant plus d'un siècle (entre 1685 et 1789).
Ce long passé d'intolérance active a renforcé une culture française quasi monoreligieuse qui pousse à suspecter tout ce qui n'est pas "très catholique" (pour paraphraser Georges Frêche). Ce qui nourrit un vrai fond de commerce de littérature de dénonciation (antijuif, antiprotestant , islamophobe etc.).
2/ Ensuite, l'histoire du modèle républicain et laïque français, bâtie dans un conflit avec le catholicisme conservateur (cf. le "combat des deux France" décrit par Emile Poulat).
Cette histoire spécifique a eu tendance à alimenter les discours 'éclairés' qui identifient la religion, surtout lorsqu'elle passe pour "fanatique", à un facteur d'aliénation qui compromet le progrès culturel et social.
3/ Les protestants ont parfois donné les verges pour se faire battre: les dérives décrites, parfois de manière très outrancières, par Daudet, reposent sur des faits. Oui, les dérapages sectaires peuvent exister chez les protestants comme ailleurs, oui, ces dérapages justifient pleinement la critique, et le livre de Daudet, de ce point de vue, n'a pas été inutile au débat social.
Ces éléments ont nourri, à la fin du XIXe siècle, des reproches justifiés contre certaines dérives protestantes, mais aussi un véritable antiprotestantisme (souvent associé à l'antisémitisme), de l'ordre de la haine sociale, ainsi que l'expliquent Jean Baubérot et Valentine Zuber dans la synthèse qu'ils ont consacrée à la question (cliquer ci-contre).
Par antiprotestantisme, on entendra donc, non pas une critique argumentée contre tel ou tel aspect du protestantisme (ce qui est parfaitement légitime et salubre), mais une attaque stigmatisante fondée sur l'amalgame, la caricature et la diffamation, destinée à nourrir une haine sociale à l'encontre des protestants.
Ses thèmes les plus rebattus? Ce sont le risque de fanatisme en raison de l'accent sur la conversion, le danger d'une rupture avec la famille, le soupçon d'anti-France, l'émancipation irresponsable des femmes, le manque de gouvernement interne et des rapports peu 'catholiques' avec l'argent.
La conversion : élément le plus choquant
Mais ce qui gênait le plus dans tout cela, c'est la dimension de changement conférée par la conversion, particulièrement mise en avant au sein du protestantisme évangélique. Un protestantisme "tranquille dans son coin", patrimonialisé à l'image des coiffes Bigouden, passe encore.
Mais un protestantisme qui convertit les gens, scandale! Car c'est porter atteinte à une conception fixiste de la nation comme "fille aînée de l'Eglise catholique" au nom d'une définition dynamique de l'identité nationale, creuset de changement individuel et social.
Qu'en est-il de l'antiprotestantisme en France aujourd'hui?
A l'heure où les protestants évangéliques français montent en puissance et se structurent par le CNEF, qu'en est-il de cet héritage antiprotestant?
Je ne répondrai pas maintenant à cette question, qui mériterait un livre, ou un article de fond (les deux viendront peut-être). Je me limiterai à faire trois remarques.
Remarque n°1/ L'antiprotestantisme, particulièrement à l'encontre des évangéliques (parfois appelés "évangélistes" dans les médias), n'est pas mort. On peut trouver, dans la presse française des dix dernières années, quelques exemples qui rappellent certains thèmes de Daudet, avec le même mélange d'enquête solide et d'amalgame dénonciateur global.
Citons en particulier ce mémorable numéro 2051 du Nouvel Observateur (voir ci-dessus), caricaturant grossièrement 500 millions de protestants évangéliques comme "la secte qui veut conquérir le monde". On pourrait citer d'autres articles, à l'image de ce dossier récent de Marianne (n°675), déjà évoqué dans ce blog, qui assimile la majorité du protestantisme américain à des "zinzins du Christ à l'assaut de Miss Liberty", des "fêlés du Christ", des "croisés" en "transe mystique"...
Je soulignerai néanmoins que les plus virulents avatars de la veine antiprotestante désertent la presse "sérieuse" et se réfugient sur internet. Un bon exemple: "La pieuvre évangéliste, la nouvelle arme américaine". Cet article fleuve, qui mélange information sérieuse et amalgames incendiaires, est diffusé online depuis bientôt 3 ans.
Sans souci de nuance, on y dénonce la vision "fasciste" qui serait celle des protestants évangéliques. Il est signé d'une certaine "Eva, journaliste résistante", et a été repris sur de nombreux sites.
Article en double page de Libération sur les protestants évangéliques (15 juin 2010)
Remarque n°2/ Cet antiprotestantisme s'est très nettement atténué. Bien-sûr, les cas de passage à l'acte antiprotestant existent encore, comme l'illustre l'affaire, médiatisée, de cette psychologue scolaire, Edith Tartar-Goddet, rejetée d'une cité scolaire de région parisienne en 2004 en raison de ses attaches protestantes.
Mais ces affaires sont exceptionnelles. Sur le long terme, le protestantisme s'est tranquillement fait sa place au soleil au sein du paysage religieux national. Il n'est pas rare de trouver, dans les médias d'aujourd'hui, écrits comme audiovisuels, des reportages objectifs, soignés, nuancés, sur la réalité protestante française contemporaine, et la population française dans son ensemble n'a pas une mauvaise image du protestantisme.
La remarquable double page que Catherine Coroller a consacrée à la naissance du CNEF, dans le quotidien Libération du 15 juin 2010 (p.8 et 9, voir ci-dessus) l'illustre bien: l'information y est d'excellente facture, dans un journal qui ne nous a pourtant pas habitués à des reportages de fond dans le domaine religieux!
Ce dernier exemple souligne que même les protestants de type évangélique, dont l'accent sur la conversion suscite plus de méfiance, bénéficient de ces évolutions à long terme. Nombre d'intellectuels, comme Jean-Claude Guillebaud, Alexandre Adler ou André Comte-Sponville, sans attache protestante, savent parler du protestantisme dans toute sa diversité sans le caricaturer.
Par ailleurs, lorsque le protestantisme est maltraité aujourd'hui, c'est bien souvent plus par ignorance (l'inculture religieuse est un bien largement partagé en France) que par malveillance.
Remarque n°3/ Quand il se manifeste aujourd'hui en France, l'antiprotestantisme suscite l'indifférence quasi générale des "maîtres censeurs" (la formule est d'Elisabeth Lévy) spécialisés dans le chahut contre les discriminations.
L'idée d'attaquer le Nouvel Observateur pour son numéro 2051 n'a pas effleuré le MRAP, bien que ce numéro de l'Obs ait à l'époque jeté le discrédit sur des centaines de milliers de protestants français... (dont certains qui ont résilié leur abonnement à l'Obs).
Du point de vue des libertés et d'une laïcité bien comprise, on ne peut que s'en réjouir (et pour ma part, en tant que citoyen, je m'en félicite). La bêtise ou la haine antireligieuses ne doivent pas se régler devant les tribunaux, mais dans le libre débat.
Mais du point de vue de la cohérence interne des professionnels autoproclamés de la tolérance, il y a de quoi s'interroger. Si "les évangéliques" avaient été remplacés, dans le fameux titre de l'Obs, par "les juifs ashkenazes" ou "les chiites", ou les (pseudo) auvergnats (cf. affaire Hortefeux), le MRAP serait-il resté si tranquille? On peut en douter... (voir aussi, au sujet du MRAP, la limpide synthèse de Jean Boulègue, à lire absolument). Alors, deux poids et deux mesures?
Les données dont on dispose inclinent à nourrir cette hypothèse: une "licence sociale" permettrait aujourd'hui d'attaquer plus facilement le protestantisme que le catholicisme (mieux connu, mieux défendu et plus répandu) ou le judaïsme.
Concernant l'islam, c'est plus compliqué. Dans l'espace médiatique, l'islam est un sujet ultra-sensible (en raison du passé colonial et de ses conséquences aujourd'hui), traité avec plus de prudence et de modération que lorsqu'on parle des évangéliques, par exemple.
Quand Le Monde des Religions a lancé sa nouvelle formule (septembre-octobre 2003), on a choisi de traiter d'un aspect de l'islam pour le dossier du n°1: thème, "Les rénovateurs de l'islam".
En illustration de couverture, de jolies arabesques.
Dans le dossier du n°2 (novembre-décembre 2003), on a ensuite traité d'un aspect du protestantisme: thème, "Ces fondamentalistes qui nous viennent d'Amérique".
En illustration de couverture, un barbu à casquette vu en contre plongée... Rien d'antiprotestant en soi dans le contenu des articles, conformes à la réputation de bonne qualité du périodique. Mais visiblement, l'accentuation choisie n'est pas tout à fait la même suivant qu'on se penche sur l'islam ou le protestantisme.
Une des raisons de ce décalage tient sans doute au fait que dans le grand public, tendances islamophobes et méfiance à l'égard de l'islam et des musulmans sont aujourd'hui plus répandues que leur équivalent en direction des protestants (un aspect récent de cette tendance islamophobe a été évoqué dans ce blog).
Exemple: quant il a été question de voir nommé Malek Boutih à la tête de la HALDE, certains milieux de droite dure, dont Gérard Longuet s'est fait le porte parole, ont crié au soupçon d'une identité française incertaine (pas dans le "corps français traditionnel", sic) l'opposant au "vieux protestant" et bon français que serait Louis Schweitzer (ancien président de la HALDE)!
Certains médias chercheraient donc à "désamorcer" cette charge antimusulmane, en prenant beaucoup plus de précautions à l'égard de l'islam que du protestantisme, supposé bien intégré.
Au total, l'antiprotestantisme serait bien plus limité aujourd'hui en France que l'islamophobie, ce qui autoriserait du coup plus de latitude dans la critique médiatique, y compris la critique outrée.
A l'appui de l'hypothèse d'une certaine "licence sociale" laissée à l'antiprotestantisme, on remarquera notamment qu'il n'existe aucune structure ad-hoc vouée à répertorier et combattre -par le débat- l'antiprotestantisme, à l'inverse de ce que l'on peut observer pour l'islam et le judaïsme.
Pourtant, il reste bel et bien aujourd'hui des résiduts d'antiprotestantisme en France, nourris par certains héritages, et les nouvelles peurs sociales liées à la globalisation, ainsi que par un soupçon d'antiaméricanisme. Par ailleurs, l'histoire passée de la France , certes fort peu glorieuse dans son traitement de la différence juive et de la différence musulmane, compte aussi son lot de drames antiprotestants (à commencer par la Saint Barthelémy, le 24 août 1572).
Ce différentiel de traitement est surtout visible lorsque ce protestantisme est évangélique, donc conversionniste. On l'associe alors (à tort ou à raison) aux fantasmes de l'impérialisme américain (qui a remplacé aujourd'hui l'impérialisme anglais de la fin du XIXe siècle), et dès lors, il arrive parfois que "tous les coups soient permis", ou presque (cf. le récent dossier de Marianne sur les "zinzins du Christ").
Quitte à englober dans une même dénonciation une réalité religieuse pourtant très diverse, où se côtoient beaucoup de paisibles chrétiens "ordinaires" soucieux de témoignage et d'autogestion, quelques dérives sectaires et une chatoyante variété de nuances locales.
Questions à poursuivre
Cette "licence sociale", concernant le protestantisme, serait-elle signe que l'antiprotestantisme n'est vraiment plus pris au sérieux?
Que ce dernier a quasiment disparu?
Ou que les protestants sont beaucoup trop mal organisés (et trop divisés) pour monter au créneau quand on les caricature aau moyen de "doctrines de haines" (Baubérot)?
Est-ce plutôt parce qu'on observerait en France un déficit persistant de spécialistes, de vulgarisateurs, voire de médias capables d'expliquer au grand public la diversité protestante?
A moins que certains protestants eux-mêmes, dans leurs propres débats internes, cautionnent clichés et outrances qu'on adresse aux plus remuants d'entre-eux, désinhibant du coup les observateurs extérieurs?
D'autres hypothèses encore?
Laissons ces questions ouvertes, comme autant de pistes pour une recherche à venir.
NB: je devais cette notice à Gédéon, commentateur sur ce blog, suite à une promesse faite le 15 janvier 2010
(note sur Agora, 12 janvier 2010: voir les commentaires postés)
Chose promise, chose due!
Commentaires
Bonjour Monsieur Fath,
Votre parfaite exactitude quant à la parole que vous m'aviez donnée, d'écrire un article pour le mois de juin, honore votre état de chercheur, aussi bien que votre engagement protestant.
J'ai été particulièrement intéressé, en le lisant, d'apprendre que l'Evangéliste de Daudet n'avait suscité pas moins de cinq références bibliographiques "contemporaines", je veux dire du 20° siècle. Ayant découvert au hasard d'internet ce roman, je n'ai lu jusqu'ici que des critiques de l'époque (du 19° donc), qui par la prodigieuse puissance du numérique, se trouvent aujourd'hui en ligne. Ainsi l'article de Brunetière, paru dans la Revue des deux Mondes et dans la Revue Littéraire ; mais aussi des textes d'auteurs tout à fait inconnus aujourd'hui, qui écrivaient dans des périodiques protestants (La Revue Chrétienne, notamment) ou évangéliques (Le Chrétien Evangélique, notamment). Merci donc, de votre évaluation d'historien sur l'importance de ce roman, et du développement personnel que vous en donnez, sur le thème de l'antiprotestantisme.
Je dois dire qu'en lisant l'Évangéliste, ce n'est pas l'antiprotestantisme de Daudet qui m'a frappé, mais plutôt le clivage qu'il pose à la base de son roman, entre les "protestants", respectables, et les "évangélistes" contre lesquels il construit une satire, étonnamment en avance sur les articles négatifs à l'encontre des "Évangéliques" dans nos hebdomadaires, et que vous rappelez.
Par exemple, il est hors de doute que Daudet a puisé dans la vie d'Adolphe Monod (type même du saint protestant), l'épisode dans lequel le pasteur Aussandon refuse d'administrer la sainte cène à Jeanne Autheman (type même de la mante religieuse mystique-évangélique). Il m'apparaît donc que Daudet, dans ses recherches en vue de l'écriture de son livre, n'a pu manquer d'éprouver une certaine admiration pour le courage et la hauteur morale trouvés dans le protestantisme, tandis qu'il développait une aversion primaire pour les mouvements dissidents, dont il entendait parler, sans vraiment bien les connaître. (C'est quand même un fait divers réel de détournement prosélyte que Daudet a utilisé pour écrire l'Evangéliste.)
L'idée de vous proposer ce sujet d'article, dans mon esprit, tournait donc plutôt autour de cette question de clivage entre protestants et évangéliques. Non pour alimenter une polémique facile, mais pour simplement comprendre l'évolution des choses. Un siècle plus tard, ce clivage ne présente plus le même aspect. Je me garderai bien, de calquer comme l'auteur de l'Evangéliste, des personnages fictifs sur des noms connus, mais concevoir aujourd'hui un pasteur réformé travaillant de concert avec une folle mystique, n'est plus exclu ; et peut-être que le roman de Daudet aurait été plus intéressant et de meilleure fibre prophétique, s'il s'était achevé en faisant convoler en justes noces le Pasteur Aussandon et Jeanne Autheman. L'avenir le dira.
L'Église doit se réformer sans cesse, c'est un vieil adage protestant, dont la vérité ne reste plus à prouver. Par conséquent ne doutons nullement que si l'Histoire devait continuer encore quelques siècles, d'autres clivages verraient le jour au sein même du protestantisme, et sans doute d'autres romanciers plus ou moins éclairés pour les dépeindre, d'autres historiens sagaces pour les évaluer.
Merci encore pour votre article.
Cordialement, Gédéon.
Merci Gédéon pour votre réaction et vos compléments.
Je n'ai effectivement pas traité l'angle, pourtant intéressant aussi, que vous évoquez, à savoir l'opposition que Daudet met en scène entre le "bon protestant du terroir" et ce qu'il décrit comme des illuminées "born again".
C'est un très beau sujet aussi, que je traiterai peut-être un jour, ici ou ailleurs.
A suivre...
Bonjour M. Fath !
Excellent article, merci !
J'ajouterais une nuance à ce que vous écrivez sur l'évolution récente de la représentation du protestantisme dans les médias. Effectivement, je pense comme vous que les reportages sur les évangéliques s'améliorent globalement, sont de plus en plus équilibrés (sans pour autant tomber dans l'autre extrême, celui de l'angélisme, parce que de réelles dérives existent, et les évangéliques eux-mêmes se doivent de les dénoncer), et d'ailleurs votre travail personnel de chercheur y est sans doute pour beaucoup. Cependant, je pense que l'anti-protestantisme, ou plutôt l'anti-évangélisme, dans les médias actuels a changé de forme, mais existe toujours, bien que moins présent : aujourd'hui on ne trouverait plus d'articles militants du genre de celui du Nouvel Observateur, que vous citez, et que j'ai d'ailleurs lu, dans la presse réputée sérieuse. Mais, plutôt que l'opposition frontale militante, la mode est plutôt à la "dérision goguenarde", selon la formule de Jean-Claude Guillebaud, comme si le simple fait d'être croyant signifie d'avoir définitivement perdu toute capacité intellectuelle.
Bonjour, j'ai beaucoup apprécié votre article, donc un grand MERCI et je m'en vais lire et relire ce cher Alphonse DAUDET.
Moi mon petit doigt me dit qu'il y a une foule de petits faits "insignifiants", au quotidien qui échappent (remarques d'une prof dans une salle de classe, propos d'un voisin d'un temple, expression moqueuse d'un journaliste, d'un commerçant ou d'un conférencier).
L'antiprotestantisme bruyant a beaucoup reculé.
Mais on se fait quand même parfois regarder de travers. Prière à table par exemple, jugée plus grave par certains services sociaux que regarder des filmsX !!
Bonjour,
Quand vous dites:
"Mais un protestantisme qui convertit les gens, scandale! Car c'est porter atteinte à une conception fixiste de la nation comme "fille aînée de l'Église catholique" au nom d'une définition dynamique de l'identité nationale, creuset de changement individuel et social.", je ne pense pas ce soit à cause de l'implantation catholique dans notre pays que l'émergence de protestants évangéliques pose problème (bien que cela puisse être le cas parfois mais c'est mineur), car nous vivons dans un société désacralisée, sécularisée ou certes la cultures catholique est encore présente mais pas au point de rejeter les évangélique, ces "hérétiques".
Car pour notre société qui est post-chrétienne toute allusion à la "religion séculière" (protestante comme catholique) est relativisée et mise au même plan que d'autres philosophies, et cela est rangé dans la catégorie de la pensée qui dans notre société - bourgeoise technicienne - est subordonnée au "faire" aux affaires , ce qui rapporte et qui a plus d'importance (cf. Jacques Ellul - la métamorphose de bourgeois).
Et donc selon moi, cette antipathie manifestée à l'encontre de cette "secte" évangélique est due au fait que tout ce qui est "absolu" comme ce quoi croient ces évangéliques, fait sandale et est suspect. C'est la détermination et la fulgurance de certaines conversions qui étonne et scandalise aussi dans notre société où le sens à disparu, où les gens vivent sans valeur inconditionnelle au nom de laquelle ils sacrifieraient leur vie.
Certain trouvent Jacques Ellul un peu extrême sur ce jugement mais, moi je le trouve assez réaliste!
Je ne sais pas si on peut vraiment dire qu'il est plus "facile", aujourd'hui, en France, d'étaler des sentiments antiprotestants que d'étaler des sentiments anticatholiques : les récents scandales pédophiles concernant l'église catholique ont donné lieu à certains amalgames injustifiés, et , parfois, à un "défoulement" anti-catholique chez les anticléricaux purs et durs .......
Laurence, je suis d'accord avec vous, parfois les services sociaux trouvent "louche" de prier à table avant les repas .. mais cela ne concerne-t-il que les protestants ??? Après tout, certains catholiques aussi prient avant chaque repas : est-ce que ça "passe" mieux auprès des services sociaux ????
Laurence et Françoise, je partage votre sentiment.
Oui, une étude anthropologique qui aille au-delà des sources écrites révélerait beaucoup.
Mais oui aussi, une large composante de l'antiprotestantisme contemporain relève de la méfiance pour la religion en général, dont souffre aussi, et de plus en plus, le catholicisme, au fur et à mesure que ce dernier devient culturellement minoritaire.
je reste dubitative.
Il a ce qu'on peut savoir "noir sur blanc" (face émergée de l'iceberg?) et tout le reste.
Ce qu'on entend à droite à gauche. Peut-être de la parano? Possible après tout.
Mais que fait la fpf ? Ou ce nouveau nef ? Ce serait quand même pas mal que les instances protestantes se preoccupent un peu plus de centraliser, analyser et faire connaître l'info sur ces questions qui, quoiqu'on en disent, touchent pas mal de gens
Réponse à Laurence et Jean
L'antiprotestantisme fait partie des "discours de haine" qui ont, ça et là, marqué notre histoire nationale.
Mais attention à ne pas grossir le phénomène: il n'est pas nul, mais il est aujourd'hui très réduit par rapport à ce qu'il a pu être.
Vous soulevez l'hypothèse de la "parano", Laurence: je crois en effet que le "fantasme" d'antiprotestantisme est tout aussi repérable, sinon plus, que l'antiprotestantisme lui-même.
Certains acteurs interprètent toute opposition en termes d'intolérance, d'antichristianisme, alors que dans la plupart des cas, l'opposition rencontrée est tout simplement due à un certain nombre de contraintes objectives valables pour tous (urbanisme, sécurité, laïcité etc.). Attention au délire de persécution!
Pour finir sur votre suggestion Jean, oui, il serait peut-être intéressant qu'une observation dépassionnée de ces phénomènes puisse se faire dans un cadre institutionnel, quel qu'il soit, car décrypter les formes d'intolérance, d'où qu'elles viennent, c'est participer à "l'art du vivre ensemble" dans une société pluraliste et laïque.
Merci pour vos réponses, Sébastien Fath, et c'est vrai qu'il peut aussi y avoir de la "parano" à tout interpréter dans le sens d'une opposition antichrétienne en général ( ou antiprotestante en particulier ) : à ce moment-là, on risque de tomber dans le même travers que certains immigrés ou que certains Français d'origine étrangère, qui vont interpréter tout problème comme résultant du racisme : cela se voit même dans l'enseignement, où certains élèves vont avoir des raisonnements du genre : j'ai eu une mauvaise note en maths parce que le prof est raciste ( et non pas : parce que je n'ai pas appris ma leçon .... ) ...
Il ne faut pas confondre laïcité et antichristianisme ....et certains font cette confusion, et vont donc considérer, globalement, la France comme un état "anti-chrétien"...
Quant à l'anti-protestantisme, je ne l'ai vu que chez certains catholiques très marginaux, ou sur certains de leurs sites, comme ceux de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X et sur des sites sédévacantistes .. et ... s'ils sont parfois agressifs envers les protestants, parfois ils le sont au moins autant, voire plus, avec ce qu'ils appellent les "catholiques conciliaires" ( c'est à dire ceux qui ont accepté le Concile de Vatican II ... )
Tous les ans, moi je dors tranquillement dans la nuit du 23 au 24 août ... lol
Je veux rester en contacte avec ces informations. Je ne comprend pas tout mais je suis contente qu'on s'intéresse à cela. Je suis évangélique et je sens parfoi des regards de mépris ici en France. Mais je ne suis pas moins qu'une autre à cause de ma foi!!!! C'est bien de parler de ce problème.
La chèvre de M Seguin : une métaphore de notre condition humaine... Comment un conte d'Alphonse Daudet peut devenir une parabole de l'Evangile... : http://pour-que-tu-croies.blogspot.com/search/label/M%C3%A9taphore
@ichtus02
Nul besoin de transformer "La chèvre de Monsieur de Seguin" en parabole, puisqu'elle l'était déjà dans l'intention de son auteur. Il suffit de lire le paragraphe d'introduction généralement oublié :
"Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Gringoire !
Comment ! on t’offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l’aplomb de refuser... Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Voilà pourtant où t’a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t’ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo... Est-ce que tu n’as pas honte, à la fin ?
Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! fais- toi chroniqueur ! Tu gagneras de beaux écus à la rose, tu auras ton couvert chez Brébant, et tu pourras te montrer les jours de première avec une plume neuve à ta barrette...
Non ? Tu ne veux pas ?... Tu prétends rester libre à ta guise jusqu’au bout... Eh bien, écoute un peu l’histoire de la chèvre de M. Seguin. Tu verras ce que l’on gagne à vouloir vivre libre."
Quelle en est la morale ? Daudet conseille-t-il réellement à Gringoire de troquer sa liberté de poète contre le confort d'un bon salaire ? Mais non ! toute la sympathie va à la courageuse petite chèvre, qui choisit, méprisant le risque d'être mangée par le loup, de vivre libre, plutôt que de mener une existence assurée mais servile, dans l'étable de M. Seguin. Voilà pour la pensée de Daudet, elle est belle.
Peut-on l'adapter à une vérité de l'Evangile ? sans doute, car toute belle histoire contient nécessairement une part de vérité, qui doit se retrouver dans la pensée de Dieu. La vérité évangélique sous-jacente à la chèvre de M. Seguin, que vous vous proposiez d'exposer, n'est certainement pas un encouragement à vivre sans risque ; elle ne peut se résumer à la pensée (évidemment exacte) que l'homme, pour vivre heureux, ne doit pas s'affranchir des limites que lui impose son Créateur. Mais comment ne voyez-vous pas que cette morale vraie, serait ici un contre sens, à la fois dans la pensée de Daudet et dans celle de l'Evangile ?
Jésus a dit : "Quiconque cherchera à sauver sa vie, la perdra ; et quiconque la perdra, la conservera." (Luc 17.33) cette parole ne convient-elle pas bien mieux au caractère de la brave petite chèvre ?
Soit, le conte tout seul ne permet pas d'accéder à l'Evangile, car s'il contient bien l'idée que la liberté vaut plus que le sacrifice de la vie, il se termine par la victoire du mal, par le triomphe de la mort. Tous pécheurs, nos tentatives de vivre libres, se sont achevées par un naufrage. La bonne nouvelle, c'est qu'à la fin, Dieu a envoyé quelqu'un qui a affronté le loup, et l'a vaincu, au prix de sa vie.
Ce n'était pas Monsieur Seguin. C'est "Jésus, le chef et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui était réservée, a souffert la croix, méprisé l'ignominie, et s'est assis à la droite du trône de Dieu." Ressuscité, il offre à toute âme humaine qui se tourne vers Lui, la vie abondante et libre à laquelle elle aspire. La vrai liberté une fois goûtée, l'âme une fois affranchie de la crainte de la mort, retourner chez M. Seguin ? Jamais !
Gédéon.
A Ichtus02 et Gédéon
Merci pour ces réflexions, mais je vous propose de les poursuivre sur le blog d'Ichtus02, cadre plus adapté à la poursuite de cet échange.
Bonjour cher Sébastien Fath,
J'ai pensé à cet article hier en écoutant l'émission de France Culture que voici:http://www.franceculture.com/emission-la-fabrique-de-l-histoire-table-ronde-fiction-du-030910-2010-09-03.html
Si vous avez un peu le temps, cela vaut la peine (en plus de perles que je vous laisse la joie de découvrir,on y apprend, pour notre plus grand profit, qu'il est possible d'abjurer le protestantisme pour embrasser le "christianisme", entendre le catholicisme bien sûr!).Bref, il me semble que vous avez un peu de travail à faire à destination de vos collègues historiens du Collège de France et du CNRS!Courage!
Bonjour Sébastien,
Je trouve votre texte remarquable et d'une grande clarté. Et c'est un texte nécessaire.
Une des facettes de l'antiprotestantisme, difficile à cerner, est sa quasi absence dans l'information. Télérama est particulièrement efficace pour oublier de parler du protestantisme par exemple lors de la diffusion d'une charmante bluette de la fille d'André Chamson (je suis fatiguée son nom m'échappe) se passant dans les Cévennes et dont l'héroïne devient pasteur. Un exemple récent parmi bien d'autres... Il y a l'Islam, le judaisme et le christianisme, c'est-à-dire le catholicisme évidemment.
Ce qui me rappelle un encart d'Astrapi vu il y a bien 25 ans : "Que font les chrétiens le dimanche ? Le dimanche les chrétiens vont à la messe."
Petite précision: l'expression "Les doctrines de haines" n'est pas de J. Baubérot : c'est le titre d'une conférence du catholique libéral Anatole Leroy-Beaulieu (1901 je crois) : "Les doctrines de haines, l'anticléricalisme, l'antisémitisme, l'antiprotestantisme."
Très amicalement
Bonjour,
merci de cet article et de ressortir du "canon" de la littérature française connue ce beau texte, caricatural sous bien des aspects mais non dénué d'exactitude et de finesse, notamment dans les lettres qu'Eline écrit à la fin à sa mère.
Je me permettrais de suggérer l'hypothèse suivante : non seulement l'accentuation du clivage "luthéro-réformé/évangélique" est réelle dans le roman de Daudet, mais la revanche que prend le pasteur Aussendon sur le sectarisme de Mme Autheman apparaît comme un retournement de ce qui se passe ordinairement dans les milieux évangéliques les plus restreints : le refus de la Sainte-Cène.
Il est intéressant de constater, à l'heure où les protestants français sont devenus majoritairement évangéliques (ou alors ai-je été bercée du mythe selon lequel autrefois ils étaient minoritaires ?), que ce refus de la Sainte-Cène n'est pas motivé par un libéralisme intolérant mais bel et bien par une volonté de réconcilier ce qui a été séparé, en l'occurrence mère et fille.
La fin, tragique, du roman, a la brièveté des chutes qui donnent à penser : malgré ses nombreuses exagérations (telles que le château, la détresse de la mère d'Eline), Daudet a à mon avis pointé du doigt un abus qui peut persister dès que la prépondérance accordée à la saine doctrine amène à des décisions radicales de "sortie du monde". "Otez le mal du milieu de vous", MAIS un Evangile de réconciliation... Daudet ne propose malheureusement pas cette deuxième solution, pourtant promesse biblique (2 Corinthiens 5 : "il a mis en nous la parole de la réconciliation").